Si vous passez par Marylebone et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à la Wallace Collection.
C’est sans nul doute le plus français des musées britanniques !
La collection Wallace pourrait s’appeler la collection Hertford, et elle a d’ailleurs pour écrin Hertford House. Le titre de marquis de Hertford est créé en 1793 pour Francis Seymour-Conway, qui était devenu comte de Hertford en 1750. Ces deux titres ont jadis été portés par son ancêtre, Edward Seymour, 1er duc de Somerset, qui n’était autre que le frère de la reine Jane Seymour, 3e femme d’Henri VIII et mère de son seul fils légitime, le futur roi Edouard VI. C’est bien sûr à ce duc de Somerset que l’on doit l’ancêtre de l’actuelle Somerset House, sur le Strand. Les Seymour-Conway sont ses descendants.
Francis Seymour-Conway (1718-1794) est un courtisan, dans le sens premier du terme. Il occupe diverses charges à la cour de Georges II et de son petit-fils, Georges III : Lord Chamberlain of the Household, Master of the Horse, etc. Il est par ailleurs ambassadeur à Versailles en 1763-1765 (il assiste aux derniers moments de la duchesse de Pompadour, dont il était devenu proche) et vice-roi d’Irlande l’année suivante. De son épouse, fille du duc de Grafton et donc descendante de Charles II, il a 13 enfants, dont l’aîné lui succède comme marquis.
Ce deuxième Francis Seymour-Conway (1743-1822) est un proche du second Pitt et se voit attribuer certaines des anciennes charges de son père (Master of the Horse, Lord Chamberlain), mais il est aussi élu plusieurs fois à la chambre des communes et devient Lord of the Treasury. Comme son père en 1756, il rejoint l’Ordre de la Jarretière en 1807, ce qui en dit long de sa proximité avec la Couronne. C’est lui qui acquiert la demeure renommée Hertford House, sur Manchester Square, où son épouse organise de fastueuses réceptions.
Le troisième Francis Seymour-Conway (1777-1842) lui succède donc en 1822. Bien que siégeant également aux Communes, il a moins de succès dans la course aux honneurs et ne devient « que » Vice-Chamberlain of the Household. Il se console avec la Jarretière, mais surtout avec la fabuleuse collection d’art qu’il commence à assembler. Son père et son grand-père avaient acquis quelques toiles de maîtres (Canaletto, Reynolds, Gainsborough), mais c’est lui qui va la développer au fil des années. Il est resté célèbre pour sa débauche (il finit sa vie entourée de prostituées) et son extravagance (pour ne pas dire son déséquilibre mental), et servit même de modèle à Disraeli et Thackeray pour des personnages de roman ! Personne ne sera étonné d’apprendre qu’il était l’un des joyeux compagnons du Prince Régent, devenu Georges IV. De son épouse, fille illégitime du duc de Queensberry, il a trois enfants, dont le 4e marquis.
Celui-ci rompt avec la tradition des Francis ! Richard Seymour-Conway (1800-1870) a grandi à Paris avec sa mère, celle-ci ayant quitté son père à cause de sa vie dissolue. En 1835, alors comte de Yarmouth, il achète un lieu devenu mythique, le petit château de Bagatelle, au milieu du bois de Boulogne. Rappelons que cette folie avait été édifiée, en 1777, par le comte d’Artois, frère de Louis XVI, suite à un défi lancé par sa belle-sœur, la reine Marie-Antoinette. Il avait parié qu’il pourrait construire un château en moins de 100 jours. Pari tenu ! Richard continue à amasser tableaux, sculptures, meubles précieux et autres trésors artistiques, devenant l’un des plus grands collectionneurs de son époque, et à mener le même genre de vie tapageuse que son père. Au début des années 1840, quand il succède à son père en tant que 4e marquis de Hertford, il embauche un certain Richard Wallace comme secrétaire particulier. Celui-ci n’est autre que son fils naturel, né le 21 juin 1818 et élevé par sa mère, la 3e marquise.
Le 25 août 1870, Richard Wallace hérite d’une grande partie de la fortune de son père, ainsi que sa fabuleuse collection d’œuvres d’art, tandis qu’un cousin hérite des titres de noblesse. Il dépense des sommes folles pour alléger les souffrances des Parisiens pendant le siège de la capitale, ce qui lui vaudra le grade de commandeur de la Légion d’honneur. Il est notamment à l’origine des fameuses fontaines Wallace.
En 1871, il épouse sa maîtresse, Julie Castelnau (1819-1897), et, l’année suivante, prend la décision de rapatrier la plus grande partie de sa collection à Londres, à Herford House, sur Manchester Square. Son fils unique, Edmond, meurt en 1887 et lui, trois ans plus tard, le 20 juillet 1890. Il est enterré au Père Lachaise et sa veuve, Lady Wallace (la reine Victoria avait fait de lui Sir Richard, baronnet) devient la gardienne de la collection Hertford, devenue collection Wallace, considérablement développée par feu son époux. En 1897, elle lègue à l’Etat britannique ces milliers de trésors. Le gouvernement rachète alors Hertford House et y ouvre la Wallace Collection le 22 juin 1900.
Aujourd’hui, les œuvres d’art sont réparties entre l’ancienne demeure, qu’il s’agisse des pièces de réception ou des appartements privés, et les galeries d’exposition construites en lieu et place des communs.
Il y a 5637 œuvres d’art conservées dans la Wallace Collection, dont 777 tableaux, 317 miniatures, 481 sculptures, 525 pièces de mobilier, 1399 armes et armures. La plupart des grands peintres sont représentés, avec 5 Rembrandt, 12 Reynolds, 4 Turner, 2 Gainsborough, 9 Rubens, 4 Van Dyck, 8 Canaletto, 9 Guardi, 2 Titien, 9 Murillo, 2 Velasquez.
Mais c’est surtout l’art français qui caractérise la Wallace et en fait, comme énoncé plus haut, le plus français des musées londoniens. Parmi les peintures françaises, citons 17 Boucher, 4 Champaigne, 1 Corot, 2 Delacroix, 8 Fragonard, 2 Géricault, 19 Greuze, 1 Lorrain, 3 Nattier, 1 Poussin, 30 Vernet (Horace) et 8 Watteau. La collection de mobilier français est l’une des plus prestigieuses du monde, avec notamment 22 Boulle et 10 Riesener.
Une grande partie de cette collection est consacrée au XVIIIe siècle et on y croise souvent la Pompadour (l’amie du 1er marquis) et Marie-Antoinette, notamment à travers quelques commodes, secrétaires et autres tables qui meublaient les appartements de cette dernière à Versailles.
La Wallace Collection est, en quelque sorte, l’équivalent londonien de la Frick Collection de New York et du musée Jacquemard-André de Paris. Elle est donc, tout simplement, l’un des plus charmants musées du monde !


