LES DOMAINES FRANCAIS DE SAINTE-HELENE

© Saint Helena Napoleonic Heritage 2021

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Le 5 mai 1821, Napoléon Ier est mort à Sainte-Hélène. L’île de l’Atlantique Sud était alors une possession de la Compagnie britannique des Indes orientales. C’est désormais un territoire d’outre-mer du Royaume-Uni. Sur le plateau de Longwood, la demeure où l’empereur des Français s’est éteint appartient à la France, tout comme les quelques autres lieux liés à la légende napoléonienne. Pour parler de ces domaines nationaux de Sainte-Hélène, nous avons le plaisir de nous entretenir avec Michel Dancoisne-Martineau, leur directeur. Ce grand spécialiste de l’Empereur est par ailleurs consul honoraire de France. Il nous parle de ce petit bout de France en territoire britannique.

Propos recueillis par Thomas Ménard, avec l’aimable autorisation des services de l’ambassade de France à Pretoria.

Pourriez-vous d’abord nous rappeler où se trouve Sainte-Hélène et comment l’on s’y rend ?
Sainte-Hélène est une île de 10 par 12 kms. Petite donc. Mais en plus, elle est extrêmement isolée géographiquement, puisque située dans l’immensité de l’océan atlantique sud, à 1900 kms des côtes de l’Angola et 3250 de celles du Brésil. Jusqu’en 2017, on ne pouvait s’y rendre depuis Le Cap, en Afrique du Sud, que par un bateau qui mettait cinq à six jours pour faire le trajet. Et bien qu’à la fin de cette année-là, un aéroport commercial ait été inauguré, se rendre à Sainte-Hélène demeurait compliqué puisqu’il n’y avait qu’un vol par semaine et, qui plus est, uniquement depuis Johannesburg.
Puis, avec la pandémie de Covid-19, tout s’est encore compliqué davantage. Dès mars 2020, l’île, pour se protéger, s’est repliée sur elle-même en fermant son port et son aéroport à tout visiteur « non essentiel ». Cette politique a été salutaire puisque, encore aujourd’hui, l’île est épargnée par la Covid. Par contre, le prix à payer est considérable, puisque le secteur touristique, qui n’avait pourtant commencé à se développer qu’en 2018, a été dévasté. Encore aujourd’hui, alors que la très grande majorité de la population a déjà reçu ses deux doses de vaccins, les vols commerciaux sont toujours interdits.

En arrivant sur l’île, Fanny Bertrand aurait dit « C’est le diable qui a chié cette ile en volant d’un monde à l’autre. » La vie à Sainte-Hélène est-elle aussi détestable que peut le laisser supposer cette déclaration ?
Cette citation est extraite d’un ouvrage publié à Paris en 1815 et intitulé Description de l’île Sainte-Hélène, séjour destiné à Napoléon Bonaparte. Lorsque les journalistes et autres chroniqueurs de l’époque apprennent, au mois de juillet 1815, que le gouvernement britannique a décidé d’y détenir Napoléon, ils découvrent alors cette île de Sainte-Hélène, totalement inconnue du public européen jusqu’alors. En recopiant littéralement des ouvrages confidentiels, souvent édités, en très peu d’exemplaires, par l’Honorable Compagnie des Indes Orientales, la presse s’empresse de publier des descriptions qui donnent une image très enluminée de ce que pouvait être l’île à l’époque.
Pour coller à l’opinion que l’on pouvait avoir de Napoléon, l’image du héros défait pour les uns, celle du  tyran exilé aux antipodes pour les autres, ce fut surtout l’image d’ « un amas de rochers où l’on trouve à chaque pas des traces d’un volcan éteint. […] On peut la comparer à un château au milieu de l’Océan, dont les murs sont trop élevés pour être escaladés avec des échelles » qui fut retenue. 
Bien entendu, nous sommes loin de la vérité. La légende noire de l’exil a réduit l’île à l’inhospitalité du plateau de Longwood, exposé aux vents constants sud-est, au brouillard et aux sauts brusques des températures. L’humidité absolue de saturation par contre, hiver comme été, se maintient à un niveau situé entre 90 et 100%.
Et pourtant, Sainte-Hélène, c’est aussi et surtout d’autres espaces bien plus agréables. Comme, par exemple, les Briars, où l’on se croirait durant tous les mois de l’année en Provence au mois de septembre. Ou encore Alarm Forest où les routes ressemblent à s’y méprendre à celles de l’intérieur de la Corse. Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre, l’île, sur une surface pourtant minuscule, offre une variété de paysages inouïe.
En se promenant sur les sentiers de l’île, il n’est pas rare de se trouver dans la situation de quitter un paysage proche de celui des vallées verdoyantes suisses à celles arides du Mexique. Ce sentiment de variété de décors est même exacerbé par la végétation. On y trouve toute une gamme qui va d’un paysage de cactus et de désolation à celui de la luxuriance des forêts tropicales. 

Que sont les domaines nationaux de Sainte-Hélène et quelle est leur histoire ?
Les propriétés de l’État français à Sainte-Hélène, qui sont au nombre de trois, sont une parfaite démonstration de cette diversité des paysages.  
Tout d’abord, commençons par le cadre idyllique dans lequel se trouve le pavillon des Briars, premier lieu de résidence de Napoléon à Sainte-Hélène, d’octobre à décembre 1815. Lorsque Napoléon séjourna dans cette belle propriété tropicale, cet édifice ne comprenait qu’une pièce et un grenier. Après 1815, cette maison devint le lieu de résidence des amiraux anglais chargés de la surveillance de l’Empereur. Ils y ajoutèrent une aile et des dépendances. La pièce occupée par Napoléon a pu être réaménagée à l’identique, grâce aux Mémoires des domestiques.
Puis ensuite vient, perchée sur un haut plateau venteux, la Maison de Longwood, principal lieu de résidence de Napoléon, de décembre 1815 à mai 1821. Cette maison était l’ancienne résidence d’été du lieutenant-gouverneur Skelton. Rénovée et agrandie grâce aux charpentiers du Northumberland et aux soldats de la garnison, elle est constituée de bâtiments disparates reliés entre eux. À l’arrivée de Napoléon, elle était équipée sommairement de tapis et de meubles achetés sur l’île. Le jardin, quant à lui, était inhospitalier. Les valets, Marchand et Ali, et l’intendant, Cipriani, parvinrent à améliorer quelque peu le confort intérieur. Le gouvernement britannique expédia également du mobilier supplémentaire depuis la Grande-Bretagne. Napoléon, à partir de 1819, dessina lui-même les jardins, dans un aménagement que l’on peut encore aujourd’hui observer.
Et enfin, la luxuriance tropicale avec la vallée de la Tombe, où Napoléon fut inhumé de 1821 à 1840.

La maison de Longwood et la vallée de la Tombe sont devenues des domaines français en 1857. Louis-Napoléon Bonaparte, dès son élection à la présidence de la République, avait été alerté de l’absence d’entretien de la maison de Longwood et de la vallée du Tombeau. Les tractations avec l’Angleterre, pour permettre l’achat de ces deux domaines, furent longues et complexes. Le pavillon des Briars fut donné à la France par une arrière-petite-nièce de son propriétaire originel, William Balcombe, en 1959. À l’avènement de la IIIe République, la question du statut du domaine fut posée, l’acte de vente ayant été rédigé en faveur de « l’Empereur des Français et […] ses héritiers ». Après plusieurs mois de négociations avec la Couronne britannique, le gouvernement français en restait propriétaire, et les lieux se voyaient confiés à un administrateur, aujourd’hui sous la tutelle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
Depuis 1858, un représentant français vit sur l’île en permanence pour administrer ces propriétés. Aujourd’hui, et depuis 1987, j’exerce également la fonction de consul honoraire sur place.

Vous êtes, donc, consul honoraire de France. Y a-t-il beaucoup de Français qui vivent à Sainte-Hélène ou qui visitent l’île (en période normale, hors pandémie) ?
La fonction de consul honoraire à Sainte-Hélène est singulière, en ce qu’elle n’est pas le fait de la présence d’une communauté française installée sur place, mais par le souci d’avoir une représentation officielle pour représenter le propriétaire des biens immobiliers sur l’île, où on ne compte qu’une dizaine de Français… tous binationaux Héléniens.
Quant au nombre de visiteurs annuels, avec un aéroport ouvert en octobre 2017 et refermé au tout début de 2020 pour cause de pandémie, Sainte-Hélène n’a, hélas, pas encore pu devenir une destination touristique.
En nous basant donc uniquement sur les chiffres de 2018 et 2019, nous n’avons reçu que 5200 visiteurs en moyenne annuelle, parmi lesquels uniquement cent-cinquante Français.

Deux siècles après sa mort, quelle marque l’Empereur a-t-il laissé dans le cœur des habitants de Sainte-Hélène ?
Globalement, l’histoire napoléonienne – comme tout autre sujet historique d’ailleurs – est abordée avec un intérêt assez superficiel, certes, mais pas sans curiosité. Pas d’indifférence. Pas de jugement à l’emporte-pièce. L’idée de « l’usurpateur Bonaparte » imposée par quelques nostalgiques de l’Empire britannique est quasiment effacée. Aujourd’hui, l’idée maîtresse est celle de l’opportunité touristique. Souvent, j’ai pu constater un attrait envers tous les visiteurs passionnés de l’épopée napoléonienne, qui font le voyage tout spécialement sur les traces de leur idole. Une certitude : la bienveillance envers tous les visiteurs pro ou antinapoléoniens est de mise. Pas de jugement de valeur. Juste le respect envers tous les touristes, toujours bienvenus.

De quelle manière avez-vous commémoré le bicentenaire de la mort de l’Empereur sur l’île ?
Ce mois de mai  a été le point d’aboutissement d’un programme de plus de dix ans de préparations. En effet, dès 2010, avec la Fondation Napoléon, nous avions lancé une campagne de recherche de financement, afin de pouvoir mener à bien les restaurations des appartements des compagnons de Napoléon et des meubles de Longwood House. Cette campagne de levée de fonds avait rencontré un tel succès que, dès 2015, nous avions achevé tous les travaux que nous avions ambitionnés. Et même davantage. Plus de 1700 donateurs ont permis cet exploit et nous leur en sommes infiniment reconnaissants.
Grâce à eux, nous disposions des moyens pour expédier à Paris les œuvres les plus emblématiques de l’exil (comme les globes terrestre et céleste, la table de billard, etc.), afin qu’elles puissent faire l’objet de restaurations très complexes. Avant d’être réexpédiées sur l’île, elles ont pu devenir, en 2016, le noyau d’une exposition Napoléon à Sainte-Hélène, la Conquête de la Mémoire au Musée de l’Armée, aux Invalides, qui a rencontré un franc succès avec des dizaines de milliers de visiteurs.
Puis, avec la création en 2015 d’une fondation de droit local, la Saint Helena Napoleonic Heritage, nous avons pu poursuivre cet effort de restauration et refaire, entre autres projets, toutes les allées creuses des jardins que Napoléon avait créés de 1819 à 1821. De tous ces ambitieux programmes de restitution de la Maison, des décorations intérieures, des jardins et des meubles de Longwood en son état du 5 mai 1821, il ne nous reste plus que la pièce qui servait de bibliothèque à rétablir. 

Les trois cérémonies que nous avons organisées les 5 mai, 6 mai et 9 mai avaient été prévues dès la fin 2019. Nous savions que plus de 1000 visiteurs devaient faire le voyage. Tout avait été conçu pour pouvoir leur offrir des commémorations dignes et respectueuses. Mais la Covid-19 nous a obligés de réviser notre copie. Pour afficher publiquement notre résilience, avec la Fondation Napoléon et les domaines nationaux, nous avions décidé, dès le début de la pandémie, de maintenir les cérémonies comme prévues. Mais de manière plus intime. Comme pour la messe catholique qui, au lieu d’avoir eu lieu sur le Green de Longwood avec plus de 800 places assises, a pu être donnée dans la simple chapelle de Napoléon à Longwood avec juste les 30 places assises. Ce faisant, nous avons gagné en capital émotionnel.  
Quant aux cérémonies qui prirent place les 5 et 9 mai à Longwood et à la Tombe, seul le nombre de visiteurs présents physiquement a été différent de ce que nous avions prévu. Par contre, paradoxalement, avec le soutien technique de Sure et de John Isaac’s contractors, nous avons pu toucher virtuellement bien plus de monde de par le monde, avec des diffusions en direct, qui, si elles peuvent paraitre anodines ailleurs dans le monde, représentent un véritable exploit technique localement.
Bien entendu, sans l’adaptabilité de toute l’équipe des domaines nationaux, sans Creative St Helena et tous ses musiciens, sans le Père David, sans le Gouvernement de Sainte-Hélène en la personne de Carol George, sans Éric Barthe qui est venu 45 jours sur l’île pour diriger la communication événementielle, rien n’aurait été possible. Nous leur devons le succès et les compliments que nous avons reçus du monde entier. 

Comment, depuis la France ou ailleurs, peut-on vous aider dans le travail de conservation de ces lieux de mémoire ?
Bien entendu, nos domaines nationaux ne disposent d’aucun budget de conservation et de muséographie. Tout ce que nous réalisons sur l’île pour préserver la mémoire de l’époque napoléonienne n’est possible qu’avec le soutien et les contributions du public. Par exemple, actuellement, un appel à contributions est proposé afin de restaurer la bibliothèque de Longwood House.
En 2019, l’historien français Jacques Jourquin a retrouvé une description détaillée de la bibliothèque par Louis-Étienne Saint-Denis, dit « Ali », le bibliothécaire de l’Empereur sur l’île.
Dans un souci de restaurer cette pièce à l’image de celle décrite par le chargé de la bibliothèque dans une note manuscrite de l’époque, plusieurs travaux sont ainsi envisagés :
– Réaliser des répliques des trois corps de bibliothèque en acajou fabriqués durant les années d’exil à Sainte-Hélène par des soldats menuisiers, avec tablette en marbre noir ;
– Refaire imprimer en France un papier peint identique à celui qui recouvre déjà la salle de bain de l’Empereur ;
– Restaurer les deux bibliothèques « apportées d’Angleterre » selon la note manuscrite laissée par le bibliothécaire ;
– Restaurer une partie du mobilier (table en acajou, pupitre, deux chaises en bois noir et un fauteuil) ;
– Refaire la porte donnant sur les jardins en y ajoutant des fenêtres ;
– Installer des rideaux conformes à ceux des autres pièces.
Vous pouvez avoir plus de détails sur cette opération en vous rendant sur la page La bibliothèque de l’Empereur à Sainte-Hélène, résurrection d’un lieu historique du site des domaines nationaux.

Nos interlocuteurs ont l’habitude de partager avec nous trois illustrations. Pourriez-vous nous expliquer le choix que vous avez fait pour nous ?
Pour répondre à cette question, j’ai sélectionné une photographie pour chacune des trois cérémonies commémoratives que nous avons organisées à Longwood et à la Tombe de Napoléon les 5, 6 et 9 mai 2021.

Photo 1 – Cérémonie à Longwood, le 5 mai 2021
© Saint Helena Napoleonic Heritage 2021  

Ce jour-là, à partir de 17h00, les jardins de Longwood House ont été ouverts et une cérémonie s’est déroulée, comprenant deux minutes de silence, l’exécution de la Sonnerie aux morts, diverses lectures et morceaux de musique, la mise en berne du drapeau et les signaux télégraphiques annonçant la mort de Napoléon. La cérémonie a été suivie d’une visite des jardins, spécialement illuminés pour l’occasion.

Photo 2 – Messe à l’église catholique avec Père David
© Saint Helena Napoleonic Heritage 2021

Une messe du souvenir a été organisée à Longwood House le jeudi 6 mai. L’eucharistie, dirigée par le père David Musgrave, prêtre catholique, s’est déroulée principalement en latin et en français et a suivi le même format que les services de l’époque napoléonienne.

Photo 3 – L’enterrement de Napoléon
© Saint Helena Napoleonic Heritage 2021

Le dimanche 9 mai, une cérémonie marquant le bicentenaire de l’enterrement de l’Empereur a eu lieu à la Tombe [voir photographie en tête d’article]. La cérémonie comportait des lectures, divers morceaux de musique et des chants interprétés par des musiciens et des chanteurs de l’île, un silence de deux minutes suivi de l’exécution du Réveil, et le dépôt de couronnes pour accompagner les mini-bouquets du public, qui avaient été déposés le 5 mai.
Ces mini couronnes/bouquets d’immortelles avaient préalablement été déposés sur la dalle de la Tombe, au nom d’organisations étrangères et de membres du public. Plus de 400 personnes originaires d’Allemagne, d’Australie, de Belgique, du Brésil, du Canada, de Chine, du Danemark, d’Espagne, des États-Unis, de France, de Grande-Bretagne, d’Israël, d’Italie, du Luxembourg, des Pays-Bas, de Pologne, du Portugal, de République tchèque, de Russie, d’Ukraine, de Suède et de Suisse ont participé à cette initiative en achetant en ligne des fleurs qui furent déposées sur la Tombe ce jour-là. 

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