Nicolas Poussin à la National Gallery

Alors que les musées ouvrent à nouveau leurs portes à travers l’Europe, la National Gallery de Londres propose une exceptionnelle exposition française. « Poussin and the Dance » (« Poussin et la Danse ») explore un aspect inédit de l’œuvre de Nicolas Poussin. Francesca Whitlum-Cooper, conservateur associé des collections de peinture 1600-1800 à la National Gallery et commissaire de l’exposition, a la gentillesse de nous donner quelques explications sur cet événement.

www.nationalgallery.org.uk

Le texte original en anglais est disponible ici.

Chère Francesca, à la National Gallery, vous occupez les fonctions de « The Myojin-Nadar Associate Curator of Paintings 1600-1800 ». Avant toute chose, pourriez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Cela signifie que je suis conservateur adjoint pour les peintures des XVIIe et XVIIIe siècles de la National Gallery. Je travaille avec trois conservateurs, qui s’occupent de toutes les œuvres peintes entre 1600 et 1800. Mon poste est financé par deux familles, les Myojin et les Nadar, avec qui le musée entretient une relation très étroite. L’intitulé de mon poste reflète cette relation et leur générosité.

Qui était Nicolas Poussin (1594-1665) ?
Nicolas Poussin est probablement l’artiste français le plus important avant Manet et les Impressionnistes du XIXe siècle. Né en Normandie, il a fait toute sa carrière à Rome, où il a été grandement inspiré par les chefs-d’œuvre de la Renaissance et de l’Antiquité qui l’entouraient. De son vivant, ses tableaux ont été collectionnés avec passion par les amateurs d’art français. Quand il est rentré en France, le roi et sa cour avaient le désir de faire de Paris une « Nouvelle Rome », notamment grâce à la fondation de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Poussin est alors devenu une des figures de proue de la peinture française et est depuis considéré comme l’un des pères fondateurs de l’école française.  

Cette exposition est centrée sur un aspect très particulier de son œuvre : la danse et les danseurs/danseuses. Comment en est-il arrivé à s’intéresser à ce thème ?
Poussin est arrivé à Rome en 1624. Il s’est immédiatement plongé dans l’étude des antiquités classiques qui l’environnaient. Nombre de ces vases et reliefs antiques représentaient des scènes de danse. Poussin a alors commencé à intégrer des danseurs ivres et des fêtes tourbillonnantes dans ses compositions. Le thème de la danse le mettait face à un défi : comment capturer le mouvement dans une œuvre d’art figée ? Comment évoquer des corps en trois dimensions sur un support en deux dimensions ? Choisir la danse comme sujet de ses toiles, c’était aussi sa manière d’égaler les maîtres anciens, et même de rivaliser avec eux.

Dans la scénographie, vous avez recréé les figurines qu’il utilisait pour peindre ses scènes de danse. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Des visiteurs de l’atelier de Poussin ont rapporté qu’il avait réalisé des figurines de cire, à peu près de la taille de sa main. Elles lui permettaient de chorégraphier ses compositions. Constituées de cire d’abeille sur une armature de métal, elles lui laissaient la possibilité de leur donner la pose exacte qu’il désirait et de peindre à partir de ce modèle. Aucune des figurines n’a survécu, mais elles furent d’une extrême importance dans son processus créatif. Nous avons donc commandé des répliques à des artistes contemporains, de manière à ramener à la vie cet aspect des méthodes de travail du peintre.

La pièce-maîtresse de « Poussin et la Danse » est une œuvre de la Wallace Collection. Pourquoi est-elle si importante dans cette exposition ?
La Danse de la vie humaine (A Dance to the Music of the Time) est le tableau de danse le plus célèbre de Poussin. C’est une œuvre infiniment belle et extrêmement émouvante, puisque cette danse est allégorique, à la différence des autres scènes de danse de Poussin. Les quatre danseurs représentent les diverses conditions humaines : la Pauvreté, qui pousse au Travail, qui nous conduit à la Richesse, qui est gaspillée dans le Plaisir, qui nous ramène à la Pauvreté. C’est la ronde des comportements humains, auxquels nous participons tous. La peinture a été exposée à la Wallace Collection pendant plus d’un siècle et c’est la première fois qu’elle est prêtée pour une exposition. Nous sommes très excités de l’avoir pour cet événement.

Vous avez également sélectionné des œuvres d’art provenant de musées du monde entier, notamment deux sculptures du musée du Louvre. Pourriez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ?
Dans cette exposition, nous avons eu la chance de pouvoir réunir presque toutes les représentations de danse produites par Poussin. Pour la première fois, nous avons montré ses peintures et ses dessins, en les associant aux œuvres de l’Antiquité qui les avaient inspirés. Par exemple, les visiteurs peuvent admirer les Danseurs Borghèse, une des sculptures romaines les plus célèbres à l’époque de Poussin, puis regarder les dessins et les tableaux dont ils sont directement inspirés.

Comment Poussin est-il d’ordinaire représenté dans les collections de la National Gallery ?
En dehors du Louvre, nous possédons la plus importante collection de Poussin dans le monde. Nous conservons des œuvres de jeunesse, des scènes de danse, des peintures religieuses et des paysages plus tardifs. C’est l’endroit où il faut venir pour admirer le travail de Poussin !

Plus généralement, quelle est la place de la peinture française dans les collections de la National Gallery ?
L’école française a toujours eu une importance considérable à la National Gallery. Lorsque le musée a été fondé en 1824, des peintures des grands maîtres du XVIIe siècle – Nicolas Poussin, Claude Lorrain, Gaspard Dughet – faisaient partie de la toute première collection. Ces artistes ne sont plus vraiment à la mode aujourd’hui, mais ils l’étaient au temps des premières années de la National Gallery. Grâce aux collectionneurs et donateurs qui ont fondé le musée, nous avons donc une collection exceptionnelle de chefs-d’œuvre français du XVIIe siècle. Sans parler de notre incroyable collection impressionniste !

Vous écrivez que « Nicolas Poussin est l’artiste français le plus important avant Manet et les Impressionnistes ». Qu’est-ce qui le distingue des Le Brun, Watteau, Boucher et autre David ?
À mes yeux, Poussin est le plus important artiste français à cause de son héritage : toutes les générations d’artistes se sont reportées à son œuvre. C’est vrai dès le XVIIe siècle, mais aussi au XVIIIe, au XIXe et au XXe siècle. Même aujourd’hui, des artistes contemporains continuent à faire des références à Poussin. Même si j’adore les artistes du XVIIIe siècle que vous citez, je pense qu’ils n’ont pas eu le même impact sur l’art que Poussin. C’est l’artiste des artistes, et son héritage est gigantesque.

Tous nos Portraits s’achèvent sur une sélection de trois illustrations. Pourriez-vous nous expliquer votre choix ?

Nicolas Poussin, A Bacchanalian Revel before a Term, 1632-3. Oil on canvas,
98 x 142.8 cm.  NG62. 2021 © Copyright The National Gallery, London.

J’ai d’abord choisi Bacchanale devant un terme de Pan (Bacchanalian Revel before a Term). Selon moi, c’est l’un des trésors secrets de la National Gallery. J’aime le contraste entre le sujet très chaleureux (un groupe de gens qui dansent et boivent dans l’atmosphère d’un après-midi ensoleillé) et la rigueur avec laquelle Poussin a construit sa composition. Il a su organiser les bras et les jambes des personnages avec beaucoup de soin et les associer avec de fantastiques formes abstraites, dans le ciel et l’arrière-plan.

Figurines de cire créées par Andrew Lacey et Sîan Lewis
pour l’exposition Poussin et la Danse 
2021 © Copyright The National Gallery, London.

Ensuite, j’ai sélectionné la photographie d’une des figurines de cire que nous avons commandées aux artistes contemporains Andrew Lacey et Sîan Lewis. Comme je l’ai dit, aucune des figurines originelles n’a survécu, mais nous savons, par des gens qui ont visité son atelier au XVIIe siècle, qu’il utilisait des modèles en cire d’abeille, à peu près de la taille de paume de sa main, dont il se servait pour chorégraphier ses compositions.

Exposition Poussin et la Danse 2021 © Copyright The National Gallery, London.
Nicolas Poussin, A Dance to the Music of Time, c. 1634-6. 2021

© The Trustees of the Wallace Collection, P108.

La troisième est une vue de l’exposition centrée sur La Danse de la vie humaine, généreusement prêtée par la Wallace Collection. Ce n’est que la seconde fois que le musée londonien autorise la sortie d’une des œuvres de sa collection, alors nous sommes très chanceux d’avoir ce tableau comme pièce maîtresse de notre exposition. C’est la scène de danse de Poussin la plus connue et une de ses œuvres les plus belles.

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