# 38 // St Pancras Old Church

Si vous passez par St Pancras et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à la St Pancras Old Church.

C’est, selon certains, la plus ancienne église du pays ! L’affirmation tient plus de la légende locale que de la réalité historique, puisque les découvertes archéologiques et archivistiques ne permettent pas de le confirmer. Mais elles ne l’infirment pas non plus. On dit qu’une première église est construite ici au début du IVe siècle, peut-être en 314. Elle aurait donc suivi de près l’édit de Constantin de 313, qui instaure la liberté religieuse dans l’Empire romain, et permet ainsi au culte chrétien d’entrer dans la légalité. Pour appuyer la thèse d’une création très ancienne, on évoque la découverte de matériaux de facture romaine dans les fondations de la tour, lors de la reconstruction de 1847. Mais il pourrait s’agir de simple remploi. Si la thèse est confirmée, reste à savoir si l’église est dédicacée à saint Pancras dès l’origine, ce qui peut paraître assez peu probable (mais reste possible), dans la mesure où le jeune martyr a été décapité en 303 ou 304, un 12 mai de notre calendrier moderne. Il s’agit d’un citoyen romain, évidemment chrétien, qui a refusé d’abjurer sa foi et est exécuté sur ordre de l’empereur Dioclétien, alors qu’il n’est âgé que de 14 ans. D’après la petite histoire, l’empereur est tellement impressionné par la volonté du jeune homme qu’il lui propose de faire sa fortune. Pancratius refuse cette offre, Dioclétien ordonne sa mise à mort.
Une autre hypothèse repousse la fondation au début du VIIe siècle. Lors de la reconstruction de 1847, on aurait aussi trouvé une pierre portant la date de 625. Cette fondation pendant les Ages sombres pourrait être étayée par des fouilles archéologiques, qui auraient mis à jour un cimetière aux caractéristiques anglo-saxonnes, c’est-à-dire propres aux peuplades germaniques, notamment des Angles et des Saxons, qui ont progressivement colonisé ce qui est devenu l’Angleterre (la terre des Angles), après le départ des Romains, dans la première décennie du Ve siècle.
D’autres parlent d’une fondation plus tardive, au IXe siècle, voire de l’époque normande, ce qui paraît peu probable puisque la paroisse de Saint-Pancras semble déjà très bien établie dans le Domesday Book, l’inventaire général des terres et des biens du royaume ordonné par Guillaume le Conquérant, en 1086, vingt ans après Hastings et la conquête du royaume d’Angleterre.

Quelle soit la plus ancienne du royaume ou non, la paroisse Saint-Pancras perd rapidement cette prospérité… pour cause d’inondations ! Elle se trouve en effet à proximité de la rivière Fleet, désormais canalisée et couverte, dont on se souvient à travers Fleet Street, dans la Cité de Londres. A causes des crues récurrentes, la communauté de villageois qui entoure St Pancras décide de se déplacer dans ce qui est devenu Kentish Town. L’église, presque abandonnée, commence à se détériorer. A la fin du XVIIIe siècle, on ne l’utilise plus qu’un seul dimanche par mois. Mais l’urbanisation galopante liée à la révolution industrielle rend nécessaire de rétablir une église dans le quartier. Plutôt que de réhabiliter St Pancras, on construit une nouvelle église, St Pancras New Church, en 1819-1822. C’est désormais l’église paroissiale. Notre église s’appelle maintenant St Pancras Old Church et est réduite au rang de chapelle. Néanmoins, comme nous l’avons déjà dit, elle est finalement restaurée en 1847 (photographie de gauche), comme des centaines d’autres églises sous le règne de la reine Victoria. Alors, pourquoi ne pas l’avoir fait 25 ans plus tôt ? Peut-être parce que, bien que relevant de l’Eglise d’Angleterre, St Pancras (Old Church) est devenue étroitement liée avec l’Eglise catholique.

On sait que, pour une histoire de divorce, Henri VIII a détaché l’Eglise d’Angleterre de la papauté. C’est l’Acte de Suprématie du 3 novembre 1534. Au départ, cela ne veut pas dire que l’Eglise d’Angleterre est devenue protestante. Encore aujourd’hui, elle prétend d’ailleurs qu’elle n’est ni protestante, ni catholique, mais un peu des deux. Il n’y a évidemment plus d’allégeance au Souverain pontife romain, mais à un gouverneur suprême, qui n’est autre que le souverain anglais, puis britannique (d’où le sens de l’Acte de Suprématie). Si la théologie et bien des aspects de l’organisation quotidienne se rapprochent plutôt du protestantisme, d’autres aspects, notamment du point de vue de la liturgie, rappellent plutôt le catholicisme, surtout dans le courant High Church. Ainsi, si l’Eglise catholique a longtemps été illégale, si les catholiques ont été discriminés jusqu’au XIXe siècle, il n’empêche qu’ils étaient très présents, parfois au plus haut niveau de l’Etat ou de la société. Rappelons que Jacques II était catholique et que la naissance de son fils, catholique, a entraîné la Glorieuse Révolution de 1688. Certaines grandes familles sont restées catholiques, notamment la branche aînée des Howard. Leurs chefs, les ducs de Norfolk successifs, premiers pairs du royaume, sont ainsi restés fidèles au Saint-Siège au fil des siècles. C’est d’ailleurs étonnant si l’on se souvient qu’Anne Boleyn, qui est la cause du schisme, était une Howard et la nièce d’un duc de Norfolk !

Si St Pancras (Old Church) est associée au catholicisme, c’est qu’il fallait bien trouver un lieu pour inhumer les catholiques lorsque cette religion était interdite. Après l’abandon relatif de l’église, on tolère que des réfractaires à l’Acte de Suprématie soient enterrés dans le cimetière qui l’entoure. Cette habitude va se perpétuer de siècle en siècle, faisant du cimetière de St Pancras l’un des plus intéressants de Londres, surtout pour les Français ! En effet, bon nombre d’Emigrés français qui avaient fui la Révolution sont inhumés ici.
L’un des plus célèbres est Arthur Richard Dillon. Fils d’un général irlandais passé au service du roi de France, il devient successivement évêque d’Evreux, archevêque de Toulouse, puis archevêque de Narbonne. A la Révolution, celui qui fut proche de la Cour et des Encyclopédiste refuse de prêter le serment constitutionnel et rejoint l’armée de Condé à Coblence. Il se réfugie plus tard en Angleterre. Il meurt à Londres le 5 juillet 1806 et est inhumé au cimetière presque catholique de St Pancras. Toutefois, ses reliques sont transférées à la cathédrale de Narbonne en 2007. Un autre éminent Français, beaucoup plus connu, est le chevalier d’Eon, dont nous avons déjà parlé dans la Balade # 19 à propos de l’exposition sur Georges IV à la Queen’s Gallery de Buckingham Palace. Citons également Pasquale Paoli, le père de la nation corse, qui finit ses jours à Londres, le 5 février 1807, et est lui aussi enterré à St Pancras, avant d’être déplacé en 1889 dans son village natal de Morosaglia, en Corse. Il en sera bientôt question dans notre « Parcours Napoléon à l’abbaye de Westminster ».

Mais il n’y a pas que des Français et des catholiques qui sont ou ont été inhumés à St Pancras. Parmi tant d’autres, citons : Johann Christian Bach (1735-1782), le 18e enfant de Jean Sébastien ; William Franklin (1730-1813), fils illégitime de Benjamin ; le scientifique et écrivain John Polidori (1795-1821), mort à 25 ans, deux ans après la publication de The Vampyre, nouvelle qui lance la mode de la littérature vampirique ; William Godwin (1756-1836) et son épouse Mary Wollstonecraft (1759-1797), deux écrivains et philosophes radicaux, qui sont par ailleurs les parents de Mary Shelley, qui publie en 1818 Frankenstein ou le mythe du Prométhée moderne ; Sir John Soane (1753-1837), architecte de la Banque d’Angleterre, de la Dulwich Picture Gallery, mais aussi de son étrange demeure de Lincoln’s Inn Fields (aujourd’hui le Sir John Soane Museum). C’est d’ailleurs Soane qui dessina l’étonnant monument qui devait abriter sa tombe et celle de son épouse (photographie du milieu) : après la Grande Guerre, Sir Giles Gilbert Scott s’en inspire pour concevoir l’un des éléments les plus iconiques du paysage britannique, les fameuses cabines de téléphone rouges !

Deux autres personnages fascinants sont associés au cimetière de St Pancras Old Church. Dans les années 1860, les travaux du Midland Railway’s London Terminus vont bon train (attention : jeu de mots !). On le connait aujourd’hui sous le nom de gare St Pancras. Les autorités décident de réduire la superficie du cimetière pour faire de la place pour les voies ferrées. On demande alors à un jeune architecte de réaménager les sépultures. Il décide de rassembler les pierres tombales autour d’un arbre, d’une manière assez extraordinaire (photographie de droite). Il est entré dans l’histoire locale sous le nom de « Hardy Tree », puisque le jeune homme n’est autre que Thomas Hardy (1840-1928), le futur écrivain, auteur notamment de Far from the Madding Crowd (Loin de la foule déchaînée) et de Tess of the d’Ubervilles (Tess d’Uberville). C’est à l’occasion de ces travaux de réaménagement que la richissime philanthrope Angela Burdett-Coutts (1814-1906) fit don du mémorial qui porte son nom, qui est aussi un cadran solaire et où sont listées les personnes dont les tombes ont été déplacées (Burdett Coutts Memorial Sundial of Lost Graves). Personnage de roman, héritière de la fameuse banque Coutts, Lady Burdett-Coutts, élevée au rang de baronne par la reine Victoria, était la femme la plus riche d’Angleterre, et, selon Edouard VII, « la femme la plus remarquable du royaume après [sa] mère ». Elle dépense une bonne partie de sa fortune en bonnes œuvres, ce qui lui vaut de devenir la première femme à se voir attribuer la « Liberté de la Cité de Londres » en 1872, tout comme celle d’Edimbourg deux ans plus tard. Le 5 janvier 1907, quelques jours après sa mort, elle a l’insigne privilège d’être enterrée dans la nef de l’abbaye de Westminster. Peut-être aurait-elle préféré rejoindre son ancêtre Henry Burdett au cimetière de la vieille église St Pancras.

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