PARCOURS NAPOLEON Waterloo Chamber

Si le palais de Saint-James est le siège officiel de la monarchie britannique depuis 1698 et le palais de Buckingham la résidence officielle des monarques depuis 1837, le château de Windsor reste la demeure royale la plus emblématique de l’histoire du pays. Presque millénaire (il a été fondé par Guillaume le Conquérant à la fin du XIe siècle), il est à la fois un château-fort médiéval, avec sa motte et son donjon, et un gigantesque complexe palatial, en partie édifié par quelques-uns des personnages que vous allez rencontrer dans ce Parcours Napoléon. Siège de la Jarretière, l’ordre de chevalerie le plus prestigieux du royaume, il est aussi le lieu de conservation d’une partie importante des collections royales, et notamment de la bibliothèque et des archives royales. De par sa longue histoire, il est lié à bien des événements qui ont marqué le destin du royaume et de la famille royale, depuis les rivalités entre princes et dynasties du Moyen Âge jusqu’aux événements plus ou moins heureux du règne d’Elisabeth II (incendie du château en 1992, mariage de Meghan et Harry en 2018), en passant par les épisodes de la Guerre civile et du Commonwealth, de la folie du roi Georges et de la mort du prince Albert, des guerres mondiales et de l’explosion du tourisme de masse.

C’est aussi là que se déroule, chaque année, le 18 juin, un événement typique de la monarchie britannique. C’est la Waterloo Ceremony, à l’occasion de laquelle le duc de Wellington vient payer son loyer. Un loyer un peu particulier ! En 1817, la nation britannique décide d’offrir le domaine de Stratfield Saye au duc de Wellington, celui qui (pour les Britanniques) a définitivement vaincu Napoléon à Waterloo. L’unique condition est de se présenter au château de Windsor, chaque 18 juin, date anniversaire de la bataille de Waterloo, pour présenter au monarque un drapeau tricolore, copie d’une bannière prise sur le champ de bataille (voir le Parcours Napoléon dans les Collections royales). Depuis la mort d’Arthur Wellesley en 1852, huit autres ducs de Wellington ont respecté la tradition. Après avoir été solennellement remise entre les mains du souverain, la bannière est accrochée dans la grande salle des gardes, en face d’une bannière fleurdelysée, quant à elle remise par les ducs de Marlborough, comme loyer de leur domaine de Blenheim et en souvenir de la victoire sur les armées de Louis XIV.

Le souvenir de la victoire contre l’empire napoléonien, et donc le souvenir de l’Empereur lui-même, sont ainsi perpétués chaque année au cœur du palais millénaire des souverains britanniques. Il renferme d’ailleurs en son sein une pièce entièrement dédiée à la victoire des Alliés contre l’Empereur : la Waterloo Chamber. C’est elle que nous vous proposons de découvrir en détail à travers ce parcours.

Ce Parcours Napoléon dans la Waterloo Chamber est assez long, puisque 38 personnages sont représentés, parmi lesquels bon nombre de souverains, de chefs militaires, de diplomates et d’hommes d’Etat qui ont marqué leur époque. Certains sont bien connus, d’autres un peu oubliés. Certains ont eu un destin hors du commun, d’autres une vie très complexe. Vous pouvez considérer ces 39 notices biographiques (y compris celle de sir Thomas Lawrence, qui a peint 30 des portraits) comme un contenu en ligne. Toutefois, si vous avez la chance de pouvoir visiter le château de Windsor, vous pouvez suivre ce parcours sur votre téléphone, qui vous servira de guide dans la Waterloo Chamber. Dans ce cas, vous n’aurez peut-être pas le temps ou le courage de lire toutes les notices. Nous vous proposons donc de télécharger des regroupements thématiques, par nationalité ou par occupation (souverain, diplomate, militaire, etc.) et même par ordre chronologique de naissance. Il vous suffit ensuite de vous reporter aux numéros de ce présent parcours « géographique ».

Important : avant de vous rendre au château de Windsor, il est essentiel que vous consultiez le site du Royal Collection Trust pour vérifier les jours et heures d’ouverture, qui peuvent changer en fonction des activités officielles de la famille royale, ainsi que l’accès aux salles et aux œuvres (par exemple, au moment où cet article est mis en ligne, les tableaux de la Waterloo Chamber ont été retirés, dans le cadre de travaux de rénovation).

Ce Parcours Napoléon dans la Waterloo Chamber du château de Windsor est l’un des parcours proposés par la Fondation culturelle francophone de Londres, dans le cadre du bicentenaire de la mort de l’empereur Napoléon Ier, survenue le 5 mai 1821, en territoire anglais. Ces parcours font partie de la programmation officielle de l’Année Napoléon 2021 et sont soutenus par la Fondation Napoléon et le British Napoleonic Bicentenary Trust.

Le présent parcours a été réalisé grâce au soutien et à la confiance du Royal Collection Trust.

Les textes ont été rédigés par Thomas Ménard, porteur du projet de création de la Fondation culturelle francophone de Londres. N’hésitez pas à lui signaler toute erreur en écrivant à t.menard (a) fcfl.uk. Le Royal Collection Trust ne saurait être tenu pour responsable du contenu de ce parcours.


Sommaire


La Waterloo Chamber

Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021

Le meilleur moyen pour comprendre la genèse de la Waterloo Chamber est sans doute de se reporter à la conférence donnée le 2 juin 2015 par Desmond Shawe-Taylor, alors Surveyor of the Queen’s Pictures (podcast et transcription sont disponibles sur le site du Royal Collection Trust, en cliquant ici). Selon lui, tout a commencé à Carlton House, avant même la bataille de Waterloo.
Carlton House, c’est la fastueuse demeure édifiée entre 1783 et 1796 pour le prince de Galles (personnage n° 16). Considérée comme l’une des plus luxueuses résidences de l’histoire londonienne, elle se trouvait là où s’élèvent désormais la colonne du duc d’York (personnage n° 18) et Carlton House Terrace, entre la bien-nommée Waterloo Place et le Mall. C’est là que l’empereur de Russie (personnage n° 32) et le roi de Prusse (personnage n° 35) viennent rencontrer le chef de l’Etat qui a en grande partie financée la lutte contre l’Empereur : le prince de Galles, devenu Prince Régent en 1811 et bientôt roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, sous le nom de Georges IV (1820). Cette rencontre au sommet se déroule quelques semaines après l’entrée des Alliés dans Paris (31 mars 1814). Après la signature du traité de Paris, et avant la réunion du congrès de Vienne, les vainqueurs viennent fêter la victoire avec le « banquier » britannique. Rappelons que le Royaume-Uni a été la seule nation a être perpétuellement en guerre contre la France, presque depuis le début de la Révolution, et à l’exception de la courte paix d’Amiens (1802-1803). Certains diront même que le Royaume-Uni était la principale cible de Napoléon, tout au long de ces années : par exemple, il faisait souvent la guerre à des pays tiers pour les forcer à appliquer le Blocus continental contre la perfide Albion. Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon, rappelle dans son magistral Dictionnaire historique (Thierry Lentz, Napoléon : dictionnaire historique, Paris, Perrin, 2020.) que Londres, pour financer la lutte, a emprunté « l’équivalent de cinq à sept fois la masse monétaire mondiale entre 1793 et 1815 […]. L’équivalent d’une quarantaine d’années du budget total français ». Une partie de cet argent servait à convaincre les puissances de combattre Napoléon et à participer à leur effort de guerre. On peut donc bien parler du gouvernement du Prince Régent comme du banquier de la lutte contre l’Empereur. C’est alors tout un symbole quand l’empereur de Russie et le roi de Prusse font un détour et traversent la Manche pour venir célébrer la fin (temporaire, mais on ne le sait pas encore) de Napoléon.
Le Prince Régent reçoit probablement ses pairs dans le salon cramoisi de Carlton House (Crimson Drawing Room), où sont pendus deux tableaux de sir Joshua Reynolds. Ils représentent deux des héros de la guerre de Sept Ans (1756-1763), le marquis de Granby et le comte de Schaumburg-Lippe. Cinquante ans avant l’épopée napoléonienne, l’alliance des Britanniques et des Allemands avait déjà permis de vaincre les Français. Signalons que les Russes étaient alors du côté de Louis XV, tout comme les Autrichiens. Il pense toutefois que ce sont peut-être ces deux tableaux et ce contexte qui lui ont donné l’envie de faire représenter les nouveaux vainqueurs de la France. Preuve s’il en est : c’est au cours du séjour des souverains alliés sur les bords de la Tamise que Thomas Lawrence commence leurs portraits. Bientôt, il fait également poser le duc de Wellington, vainqueur de l’Empereur dans la péninsule ibérique et dans le Sud de la France. Et puis, au fil des mois et des événements (congrès de Vienne, retour de l’île d’Elbe, Cent-Jours, campagne de Belgique, bataille de Waterloo, seconde abdication, congrès d’Aix-la-Chapelle, de Vérone, etc.), le nombre de personnes à peindre est décuplé. Il faut faire la place à d’autres souverains, aux chefs de guerre, aux diplomates, aux hommes d’Etat.
Au fil des portraits biographiques que nous leur consacrons au sein de ce Parcours Napoléon, nous évoquerons quelques exceptions concernant ces tableaux. Tous ne sont pas de la main de Lawrence. Certains sont des copies de portraits plus anciens. D’autres n’ont jamais été livrés par Lawrence et ont été récupérés dans son atelier après sa mort, en 1830. D’autres encore, sont largement postérieurs à l’installation de la Waterloo Chamber.
Si la galerie de portraits se constitue progressivement, il faut aussi un lieu emblématique pour l’installer. Le Prince Régent pense sans doute d’abord à Carlton House. Mais lorsqu’il succède à son père en 1820, sa mégalomanie le pousse à envisager un palais royal encore plus somptueux : il décide d’agrandir et d’embellir Buckingham House, la « modeste maison de campagne » de ses parents, Georges III (personnage n° 14) et la reine Charlotte, pour en faire le palais de Buckingham que nous connaissons aujourd’hui. Sauf que les travaux vont s’étaler sur deux règnes : le sien (1820-1830) et celui de son frère, Guillaume IV (personnage n° 13, 1830-1837). C’est finalement la reine Victoria qui est la première à s’installer à Buckingham Palace en 1837. Du coup, pour sa galerie de portraits des vainqueurs de Napoléon, Georges IV aurait pu se rabattre sur le château de Windsor, mais là aussi, il lance une fort couteuse série de travaux. C’est bien là, pourtant, que va être construite la Waterloo Chamber.
Dans la deuxième phase de travaux (1828-1830), l’architecte Jeffry Wyatville (1766-1840) propose de combler une cour intérieure, la Horn Court, pour y aménager, à l’étage noble, une salle ou une galerie consacrée à la bataille de Waterloo. Elle aurait d’abord dû abriter le Waterloo Vase de sir Richard Westmacott (voir Parcours Napoléon dans les Collections royales), mais celui-ci, sans doute à cause de son poids, est finalement installé dans les jardins du palais de Buckingham. C’est alors qu’on pense aux tableaux de Lawrence et qu’on imagine de l’appeler la Waterloo Chamber (ou Waterloo Gallery). La salle est terminée à la mort de Georges IV.
S’il y a eu quelques rares changements dans le décor (le haut des murs était d’abord peint en imitation de la pierre et les devises des ordres de chevalerie n’étaient pas présents sur les rebords du plafond), l’essentiel de la mise en scène n’a pas bougé : le fabuleux plafond de bois et les dimensions de la salle bien sûr (29,5 mètres de long, 14,3 mètres de large et 13,7 mètres de haut), les sculptures sur bois de Grinling Gibbons provenant de l’ancienne chapelle baroque et, surtout, la plupart des tableaux qui avaient trouvé leur place définitive, comme le montre une aquarelle de Joseph Nash visible ici.

A titre de comparaison, signalons que le même type de salle existe au palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg. Au lendemain de la mort d’Alexandre Ier, son frère et successeur, Nicolas Ier, avait demandé à l’architecte Carlo Rossi et au peintre anglais George Dawe de concevoir la « galerie militaire » qui devait commémorer la guerre patriotique de 1812 (la campagne de Russie du point de vue français) et servir d’antichambre à la grande salle du trône du palais. Les Romanov sont allés bien plus loin que les Hanovre puisque ce ne sont pas moins de 332 portraits qui ornent les murs de cette galerie démesurée. Il s’agit, pour la plupart, de généraux russes, mais Nicolas Ier a tout de même accepté que l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse figurent auprès de son frère aîné, Alexandre Ier.


Sir Thomas Lawrence

Sir Thomas Lawrence
After Charles Turner, 1830

Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 657847

L’auteur de la plupart des tableaux que nous allons découvrir dans ce Parcours Napoléon est né le 13 avril 1769 à Bristol, dans l’Ouest de l’Angleterre. Issu d’une famille relativement modeste, il participe, dès l’âge de dix ans, à l’entretien de ses parents et de ses frères et sœurs. Il est ce que l’on peut appeler un enfant prodige. Son talent consiste à peindre des portraits. Il commence par ceux des voyageurs qui s’arrêtent dans l’auberge de ses parents, puis de la haute société britannique venue en villégiature à Bath. Parmi les nombreuses personnalités qu’il peint pendant son adolescence, citons notamment la très populaire Georgiana Cavendish, duchesse de Devonshire.
En 1787, à peine âgé de dix-huit ans, il part s’installer à Londres, avec sa famille. Dès son arrivée, il expose plusieurs toiles au Salon de la Royal Academy, à Somerset House. Elles sont six l’année suivante, et 13 en 1789, notamment son premier portrait grandeur nature. A 20 ans, on le considère déjà comme le successeur de sir Joshua Reynolds. La reine Charlotte l’invite à réaliser son portrait, au château de Windsor. Elle n’aime guère le résultat, mais le tableau est acclamé par le public lorsqu’il est exposé à Somerset House en 1790. Du coup, l’année suivante, Georges III lui accorde le titre de peintre ordinaire du roi, après la mort de Reynolds. Il est effectivement devenu son successeur. Associé de la Royal Academy of Arts en 1791, il en devient membre en 1794.
Pendant tout le conflit avec la France révolutionnaire, puis la France napoléonienne, il est l’un des portraitistes les plus en vue de la haute société britannique. Il représente ainsi Georges III et plusieurs membres de sa famille, notamment la princesse Charlotte, fille du prince de Galles (personnage n° 16), mais aussi lord Melbourne et sa belle-fille, la scandaleuse lady Caroline (maîtresse de lord Byron), et bien d’autres sommités de l’aristocratie britannique. Lorsque le prince de Galles devient Prince Régent, en 1811, Lawrence est devenu le portraitiste à la mode. C’est donc tout naturellement que le futur Georges IV fait appel à lui pour représenter les vainqueurs de l’Empereur, venus à Londres après la prise de Paris : l’empereur de Russie et le roi de Prusse. Puis Wellington, Blücher et bien d’autres se succèdent dans son atelier. Le Prince Régent décide de l’envoyer sur le continent, pour augmenter cette collection de portraits des vainqueurs : il est à Vienne, à Aix-la-Chapelle, et même à Rome pour peindre le pape ! On lui doit aussi un charmant portrait du roi de Rome, le fils de Napoléon Ier, plus ou moins reclus à la Hofburg après la première abdication et le retour de sa mère, l’impératrice Marie-Louise, dans le giron familial habsbourgeois.
Le 30 mars 1820, sir Thomas Lawrence (il a été fait chevalier le 22 avril 1815) rentre de son séjour sur le continent. Il apprend la mort de Benjamin West, le président de la Royal Academy et, le même jour, il est élu pour le remplacer. Alors que les commandes continuent d’affluer (sir Walter Scott, la reine Marie du Portugal, lady Blessington), il tente d’avancer sur les tableaux de la future galerie militaire de Georges IV. Lorsqu’il meurt, le 7 janvier 1830, il est sommet de sa gloire artistique, mais bon nombre des tableaux ne sont pas terminés. Certains sont remis inachevés à leurs commanditaires, d’autres sont terminés par des assistants, d’autres encore attendaient tout simplement d’être livrés depuis plusieurs années. Le génie de la peinture n’était pas très bien organisé et il meurt d’ailleurs complètement ruiné, malgré sa vie plutôt frugale. Le 21 janvier 1830, il est inhumé dans la crypte de la cathédrale Saint-Paul, en présence, notamment, de J.M.W. Turner.
Sur les 38 tableaux de la Waterloo Chamber, il en a peint 30. Parmi eux, les plus grands héros de son temps… si l’on met de côté Napoléon et ses lieutenants.


Napoléon III dans la Waterloo Chamber

Napoleon III and the Empress Eugénie at the Ball at Windsor Castle, 17 April 1855
George Housman Thomas, 1855

Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 917820

Les aléas de la politique internationale ont fait qu’un autre Napoléon fut à l’honneur dans cette salle.
Après la révolution de 1848 et la chute de Louis-Philippe, Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la Deuxième République. Il est le petit-neveu de l’empereur Napoléon Ier et le petit-fils de son épouse, l’impératrice Joséphine (Louis, le frère de Napoléon, avait en effet épousé Hortense, née du mariage de Joséphine avec Alexandre de Beauharnais). Quatre ans plus tard, il proclame la renaissance de l’Empire et devient Napoléon III.
Alors que la géopolitique européenne a bien changé depuis l’abdication de son prédécesseur, Napoléon III se tourne résolument vers le Royaume-Uni, amplifiant une amitié qui deviendra plus tard la fameuse Entente cordiale. Comme Louis-Philippe avant lui, il entretient une relation très privilégiée avec la reine Victoria.
Lors de leur visite d’Etat au Royaume-Uni, en 1855, l’empereur et Eugénie sont reçus au château de Windsor. C’est à cette occasion qu’ils sont représentés par le peintre George Housman Thomas dans la Waterloo Chamber, au milieu de ceux qui avaient vaincu l’illustre « ancêtre ». Le temps est désormais à la fête et les souverains dansent le quadrille au milieu de l’élite des deux nations. A gauche, on devine la reine Victoria et Napoléon III, portant l’écharpe rouge de la Légion d’honneur. En face, le prince Albert (il sera titré Prince Consort deux ans plus tard) est le cavalier de l’impératrice Eugénie, en robe blanche.


Du côté du Grand vestibule

En haut, de gauche à droite

1 –
Rowland, vicomte Hill
(1772-1842)

Rowland, 1st Viscount Hill (1772-1842)
Par Henry William Pickersgill, vers 1835

Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405137

Né dans le Shropshire le 11 août 1772, Rowland Hill devient officier dans l’armée britannique à l’âge de 18 ans. Après le siège de Toulon en 1793, il « retrouve » Bonaparte à Aboukir en 1801. Plus tard, il est envoyé dans la péninsule ibérique. Il sert d’abord sir John Moore (batailles de Roliça et de Vimeiro en 1808, de La Corogne en 1809), avant de passer sous les ordres d’Arthur Wellesley, futur duc de Wellington. Il combat notamment à Talavera (1809) et Vitoria (1813), puis passe les Pyrénées, à la poursuite des forces impériales commandées par le maréchal Soult. Finalement, il commande le 2e corps à la bataille de Waterloo.
Au fil de ces batailles, Hill gravit les échelons de la hiérarchie militaire, jusqu’au grade de général. En 1828, il succède à Wellington en tant que commandant en chef des forces britanniques, fonction qu’il occupe pendant près de 15 ans. Il se retire quelques mois avant sa mort, survenue le 10 décembre 1842. En parallèle, Rowland Hill reçoit la plupart des distinctions militaires disponibles auprès des souverains alliés : il rejoint notamment l’ordre du Bain en 1812, avant d’en devenir grand-croix en 1815. Il est également anobli (baron en 1814, vicomte en 1842) et, en tant que proche du Prince Régent, il est choisi pour porter l’étendard du royaume d’Angleterre lors de son couronnement, sous le nom de Georges IV, en 1821. Il accumule également les charges de colonel, notamment dans l’un des régiments de la garde royale en 1830.


2 –
Charles X, roi de France
(1757-1836)

Charles X (1757-1836), King of France
Par Sir Thomas Lawrence, 1825

Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405138

Napoléon Ier n’a pas eu affaire avec Charles X, roi de France, mais avec celui qu’il était avant, le comte d’Artois.
Charles-Philippe de France, né le 9 octobre 1757 à Versailles, est le cinquième fils du dauphin Louis et de sa seconde épouse, Marie-Josèphe de Saxe. On oublie souvent, en effet, que Louis XVI, Louis XVIII et Charles X avaient eu deux frères ainés : le premier, duc de Bourgogne, était mort à l’âge de dix ans ; le second, duc d’Aquitaine, quelques mois après sa naissance. Titré comte d’Artois par son grand-père, le roi Louis XV, il est marié seize ans plus tard à Marie-Thérèse de Savoie, fille du roi de Sardaigne et d’une infante espagnole. Ce mariage vient renforcer l’alliance avec le Piémont, puisque son frère, le comte de Provence (futur Louis XVIII), avait dû épouser la sœur de Marie-Thérèse, Marie-Joséphine de Savoie, tandis que leur sœur, Madame Clotilde, était devenue l’épouse du frère de Marie-Thérèse et Marie-Joséphine. [A propos de Marie-Joséphine, voir le Parcours Napoléon à l’abbaye de Westminster.]
Son positionnement politique est assez ambigu. Franc-maçon, il est favorable à une réforme de la monarchie et notamment à une réforme financière, allant jusqu’au paiement de l’impôt par les privilégiés. En ce sens, il soutient le projet de Calonne. Il faut dire qu’il est très dépensier et qu’il apprécierait que la crise financière soit réglée. Mais il reste un farouche conservateur, défenseur des privilèges politiques et sociaux du clergé, de la noblesse et bien sûr de la royauté. C’est donc assez logiquement qu’il sera le chef de file des « ultras » lors de la Restauration et un roi réactionnaire à partir de 1824. En attendant, il est l’un des premiers à se réfugier à l’étranger, lorsque la Révolution éclate : il quitte Versailles dès le 16 juillet 1789 et se place sous la protection de son beau-père, à Turin. Il passe les années suivantes à parcourir l’Europe, pour convaincre les souverains de soutenir la Contre-Révolution.
Après l’exécution de Louis XVI (21 janvier 1793) et la mort de Louis XVII (8 juin 1795), son frère est le nouveau roi de France en titre, à défaut de l’être en fait. Artois devient Monsieur, le titre habituel du frère puiné du roi. Comme son cousin Condé, il prend les armes, mais moins brillamment, puisque l’expédition de Vendée de 1795 est un désastre. En 1799, il s’installe à Londres (46 Baker Street, puis 72 South Audley Street), où il reste jusqu’à la fin de l’Empire.
En 1814, il rentre en France, à la suite des armées alliées, en tant que lieutenant général du royaume. Le 12 avril 1814, il est à Paris, bientôt suivi par Louis XVIII. C’est la Restauration.
Pendant les Cent-Jours, Artois essaye de s’opposer au « vol de l’Aigle » en sécurisant Lyon, mais c’est un échec et il se réfugie à nouveau au Royaume-Uni. De retour après Waterloo, il semble mener une vie en retrait, mais ses appartements du pavillon de Marsan, aux Tuileries, sont le siège de l’opposition ultraroyaliste à la politique de conciliation du roi. Il lui succède en 1824, sous le nom de Charles X, à l’âge de 67 ans. Comme dit plus haut, il renoue avec une politique ultraconservatrice, tendant à un retour à l’Ancien Régime. Son sacre à Reims, le 29 mai 1825, selon les traditions ancestrales des Capétiens, en est l’une des expressions.
Cette vision réactionnaire de la politique et de la société est finalement balayée par la révolution de Juillet. Au cours des Trois Glorieuses (27, 28 et 29 juillet 1830), le régime est renversé et Charles X est contraint d’abdiquer, en son nom et en celui de son fils, le dauphin, Louis-Antoine, duc de Montpensier (personnage n° 10). Une succession d’événements, et notamment l’intervention de La Fayette, fait que la monarchie n’est pas renversée : c’est finalement le duc d’Orléans, chef de la branche cadette des Bourbons, qui monte sur le trône, sous le nom de Louis-Philippe.
Encore une fois, Artois/Charles X se réfugie au Royaume-Uni. Il réside pendant quelques temps au palais de Holyroodhouse, à Edimbourg, avant de s’exiler sur le continent, d’abord au palais royal de Prague, puis dans plusieurs châteaux en Autriche. C’est là qu’il meurt du choléra, le 6 novembre 1836. Il est inhumé à Görz, dans une partie de la ville autrichienne qui est aujourd’hui Nova Gorica, en Slovénie.
Sur ce portrait d’apparat, on voit le roi Charles X en grand uniforme et portant de nombreuses décorations (la Jarretière au mollet, les insignes de la Jarretière et du Saint-Esprit à la poitrine, la Toison d’or au col, etc.). Il pose au pied de son trône. Derrière lui, on aperçoit l’une des terrasses du palais des Tuileries, avec, au fond, le pavillon central, dit pavillon de l’Horloge. Cette terrasse sera remplacée par une série de pièces supplémentaires, par un autre Bonaparte, Louis-Napoléon, qui succédera bientôt à Louis-Philippe en tant que président de la Deuxième République, puis comme l’empereur Napoléon III.


– 3 –
Charles-Philippe, prince de Schwarzenberg
(1771-1820)

Charles Philip, Prince Schwarzenberg (1771-1820)
Par Sir Thomas Lawrence, 1819

Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405139

Comme d’autres personnages de ce parcours, Charles Philippe de Schwarzenberg a la particularité d’avoir été tour à tour l’allié et l’ennemi de Napoléon, du fait de la versatilité des alliances pendant les guerres napoléoniennes, notamment de la part de l’Autriche.
Né à Vienne le 18 avril 1771, il est le fils cadet du 5e prince de Schwarzenberg, appartenant ainsi à l’une des plus illustres familles aristocratiques de Bohême.
Engagé dans la cavalerie de l’armée autrichienne, il se bat d’abord contre les Turcs en 1789, avant de participer aux guerres de la Révolution française, aux Pays-Bas autrichiens et dans le Nord de la France. En 1799, il devient commandant d’un régiment de uhlans et, en 1804, il est créé 1er prince de Schwarzenberg, suite à l’institution d’un second majorat dans sa famille (son frère aîné est par ailleurs 6e prince de Schwarzenberg).
Pendant les guerres napoléoniennes, il partage son temps entre armée et diplomatie. Il combat contre Napoléon en 1805, notamment à Austerlitz, est ambassadeur à Saint-Pétersbourg de 1806 à 1809, participe à la bataille de Wagram en 1809, puis, après le traité de Schönbrunn (14 octobre 1809), devient ambassadeur à Paris, où il est chargé de négocier le mariage de Napoléon avec Marie-Louise, la fille de l’empereur François Ier d’Autriche. Du fait de l’alliance franco-autrichienne, il est d’abord aux côtés de Napoléon pendant la campagne de Russie, puis passe à l’ennemi en 1813, suite au renversement des alliances. Nommé feld-maréchal et commandant en chef de l’armée de Bohême, il est le plus haut gradé des armées coalisées pendant le début de la campagne de France. Le 31 mars 1814, en tant que représentant de l’empereur d’Autriche, il entre dans Paris aux côtés de l’empereur de Russie et du roi de Prusse.
Après le retour de Napoléon de l’ile d’Elbe et la restauration de l’Empire, il est nommé commandant en chef des armées alliées du Haut-Rhin, mais n’intervient pas vraiment, puisqu’il traverse le Rhin le 22 juin, après la bataille de Waterloo. Après la guerre, il devient président du conseil suprême de guerre de l’empire d’Autriche. Il meurt d’une attaque le 15 octobre 1820, à l’âge de 49 ans, alors qu’il visitait le champ de bataille de Leipzig.
Sur le tableau de sir Thomas Lawrence, on le voit accompagné de l’un de ses fidèles uhlans, portant à la main son bâton de commandement et, sur la poitrine, les nombreuses décorations qu’il s’était vu accorder au fil des années.


– 4 –
Charles de Habsbourg-Lorraine, archiduc d’Autriche
(1771-1847)

Charles, Archduke of Austria (1771-1847)
Sir Thomas Lawrence, 1819
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405140

Considéré comme l’un des plus farouches ennemis de Napoléon, cet archiduc d’Autriche a mené une vie assez exceptionnelle au sein de la famille impériale.
Né le 5 septembre 1771 à Florence, Charles-Louis de Habsbourg-Lorraine est le fils de Léopold Ier, grand-duc de Toscane, lui-même fils de l’impératrice Marie-Thérèse. Il a la particularité d’avoir été adopté et élevé par sa tante, l’archiduchesse Marie-Christine, dont l’unique enfant était mort au lendemain de sa naissance.
En 1780, à la mort de son beau-frère, Charles-Alexandre de Lorraine, l’impératrice Marie-Thérèse choisit sa fille, Marie-Christine, pour lui succéder comme gouvernante des Pays-Bas autrichiens. En fait, elle règne à Bruxelles conjointement avec son mari, Albert de Saxe, titré duc de Teschen par l’impératrice. Après Vienne, c’est donc dans l’actuelle Belgique que le jeune archiduc poursuit son éducation, avec ses parents adoptifs.
Dix ans plus tard, en 1790, son véritable père monte sur le trône impérial, sous le nom de Léopold II, succédant à son frère Joseph II. Rappelons que Marie-Thérèse, même si elle régnait pleinement sur l’Autriche, la Bohême et la Hongrie, n’était en droit qu’une impératrice consort, le titre d’empereur germanique ayant été attribué à son époux, François-Etienne de Lorraine, en 1745. A la mort de celui-ci, en 1765, le titre revint à son fils aîné, Joseph, mais ce n’est qu’après le décès de Marie-Thérèse, en 1780, que ce dernier put régner à son tour sur les possessions héréditaires des Habsbourg.
Lorsque, le 20 août 1792, l’Assemblée nationale force Louis XVI à déclarer la guerre à l’empereur (désormais son frère biologique, François II, leur père étant mort quelques mois plus tôt), Charles-Louis se trouve en première ligne, dans les Pays-Bas redevenus autrichiens, après la brève expérience des Etats belgiques unis (1789-1790). A 21 ans, il commande l’avant-garde de l’armée autrichienne qui envahit la France et il prend part à plusieurs batailles importantes. En 1793, il est à son tour nommé gouverneur des Pays-Bas autrichiens, succédant à ses parents adoptifs, mais la France l’en chasse dès l’année suivante. Il est par ailleurs élevé au grade de feld-maréchal, par son frère, malgré son très jeune âge. En 1795, il devient le commandant en chef des forces autrichiennes sur le Rhin et parvient à chasser d’Allemagne les armées de Moreau. En 1796, on prévoit de le marier à sa cousine, Madame Royale, libérée du Temple, mais celle-ci décline l’offre. Charles-Louis « rencontre » son ennemi deux ans plus tard. En 1797, en effet, il est envoyé en Italie pour stopper l’avancée du général Bonaparte. Les batailles se succèdent ensuite, en Italie, en Allemagne, en Suisse…
En 1806, son frère (devenu François Ier, empereur d’Autriche, personnage n° 33) le nomme commandant en chef des armées autrichiennes et président du conseil de guerre. En cette qualité, il profite d’une période de paix pour lancer la nécessaire réforme de l’armée et reconstituer les forces autrichiennes. Il reprend du service en 1809 lorsque la guerre éclate à nouveau, mais il accumule les défaites, sa nouvelle armée n’étant pas encore prête.
Après Wagram, il prend une retraite largement anticipée, à moins de 40 ans. C’est le prince de Schwarzenberg (personnage précédent) qui lui succède à la tête de l’armée. Charles-Louis reste en retrait pendant près de quatre décennies, mais sort parfois de l’ombre en de grandes occasions. Le 11 mars 1810, il est le témoin de Napoléon lors du mariage par procuration de celui-ci avec la nièce de celui-là, l’archiduchesse Marie-Louise. Lorsque cette dernière se réfugie à Vienne, après la première abdication, il prend en charge le fils de Napoléon, le roi de Rome, qui deviendra duc de Reichstadt. Il est bien sûr présent à Vienne lorsque les diplomates et souverains d’Europe se réunissent dans le cadre du congrès. C’est là qu’il est peint par sir Thomas Lawrence. En 1822, il succède à son père adoptif comme duc de Teschen. Il meurt à Vienne le 30 avril 1847 et est inhumé dans la crypte des Habsbourg, sous l’église des capucins de Vienne.


– 5 –
Sir Thomas Picton
(1758-1815)

Sir Thomas Picton (1758-1815)
Sir Martin Archer Shee, vers 1830-1837
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405141

Né le 24 août 1758 dans le Pembrokeshire, au pays de Galles, Thomas Picton rejoint l’infanterie britannique très jeune, au début des années 1770. A l’âge de 20 ans, il est capitaine à Gibraltar, mais son régiment est dissout et il reste sans activité pendant près de 12 ans. Finalement, en 1794, il part aux Antilles, comme aide-de-camp de sir John Vaughan, commandant en chef des forces britanniques aux Caraïbes, puis de son successeur, le général Ralph Abercrombie. Ce dernier fait de Picton le gouverneur de l’île de Trinidad, prise aux Espagnols, alors alliés de la France (traité de Bâle). Suite à de nombreuses accusations le visant (arbitraire, cruauté), on lui adjoint deux administrateurs en 1802 et il est finalement contraint à la démission le 31 mai 1803. Rentré à Londres, il est jugé en 1806 pour ses agissements en tant que gouverneur, notamment un cas de torture sur une jeune femme. Il est condamné, mais parvient à faire annuler le jugement deux ans plus tard et il peut reprendre sa carrière militaire. En 1810, Wellington l’appelle en Espagne. Il participe à certaines des batailles les plus importantes de la guerre péninsulaire (Ciudad Rodrigo, Badajoz, Vitoria). Ses exploits lui permettent d’atteindre le grade de général et Wellington le choisit pour commander les forces alliées en Catalogne.
Pendant les Cent-Jours, Wellington le rappelle et lui confie le commandement de la 5e division d’infanterie de l’armée anglo-néerlandaise. Il participe au fameux bal de la duchesse de Richmond, le 15 juin 1815 à Bruxelles, et est grièvement blessé le lendemain à la bataille des Quatre-Bras. Il est finalement tué d’une balle dans la tête, le 18, à Waterloo, alors qu’il conduit ses hommes au combat. Après avoir été inhumée à St George, Hanover Square, sa dépouille est transférée plus tard à la cathédrale Saint-Paul, où il repose désormais aux côtés du duc de Wellington.
En 2020, dans le prolongement du mouvement Black Lives Matter, sa statue est retirée de la galerie des Héros de l’hôtel-de-ville de Cardiff, en raison de ses liens avec l’esclavage, et notamment de sa brutalité à Trinidad.


En bas, de gauche à droite

– 6 –
Jean, comte Capo d’Istria
(1776-1831)

John, Count Capo d’Istria (1776-1831)
Sir Thomas Lawrence, 1818-1819
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404947

Par son parcours étonnant, Jean Capo d’Istria est sans doute l’un des personnages les plus cosmopolites de ce parcours.
Giovanni Capo d’Istria est né le 11 février 1776 à Corfou, dans les îles Ioniennes qui sont alors sous domination vénitienne. Son père, le comte Capo d’Istria, appartient à la noblesse vénitienne, tout comme sa mère. Après des études de médecine, de philosophie et de droit, à Corfou puis à Padoue, il s’installe comme médecin sur son île natale, en 1797, à l’âge de 21 ans. C’est à cette époque que les îles Ioniennes deviennent françaises, suite au traité de Campoformio, imposé à l’Autriche par le général Bonaparte le 18 octobre 1797. Deux ans plus tard, l’archipel est reconquis par les troupes russo-ottomanes de l’amiral Ouchakov. De 1800 à 1807, il devient la république des Sept-Îles, sous protectorat russe, puis français après Tilsit. Giovanni Capo d’Istria devient l’un des dirigeants de la nouvelle république, plus particulièrement en charge de Céphalonie, Sainte-Maure et Ithaque, mais également de la rédaction de la Constitution de 1803.
En 1808, fort de cette expérience, il part à Saint-Pétersbourg pour devenir diplomate au service de l’empereur de Russie. En novembre 1813, il est envoyé en Suisse pour aider le pays à se soustraire de la domination napoléonienne. Il participe au congrès de Vienne, aux côtés de l’empereur Alexandre Ier. Là, il pousse à la reconnaissance de l’unité, de l’indépendance et de la neutralité de la Suisse, qu’il parvient à obtenir. Il participe finalement à la rédaction de la Constitution de la Confédération et aide à l’adhésion de Genève et de Vaud au nouvel Etat. Finalement, de 1816 à 1822, il partage le titre de ministre des Affaires étrangères du tsar avec Nesselrode.
Puis, il est happé par la guerre d’indépendance grecque (1821-1829). Le 11 avril 1827, il est désigné comme le chef du nouvel Etat indépendant. Ioannis Kapodistrias débarque à Nauplie le 24 janvier 1828 : c’est la première fois qu’il pose le pied en Grèce continentale. Il installe son gouvernement à Egine, qui devient la première capitale de la Grèce moderne. Trois ans plus tard, le 27 septembre 1831, il est assassiné sur les marches de l’église Saint-Spyridon de Nauplie, par des opposants politiques. Son frère lui succède brièvement.
Pendant une grande partie de sa vie, il est donc directement en contact (et en opposition) avec la politique du général Bonaparte, du Premier consul et de l’empereur Napoléon Ier, que ce soit aux îles Ioniennes, en Vénétie, en Russie ou en Suisse, mais c’est surtout en tant que signataire du traité de Paris de 1815, pour la Russie, et représentant de l’empire russe au congrès de Vienne qu’il est représenté ici par sir Thomas Lawrence, arborant une décoration qui est sans doute l’ordre de Saint Alexandre Nevski.


– 7 –
Klemenz Wenzel, prince de Metternich
(1773-1859)

Clemens Lothar Wenzel, Prince Metternich (1773-1859)
Sir Thomas Lawrence, vers 1815
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404948

Si le prince de Schwarzenberg (personnage n° 3) est en quelque sorte le chef militaire de l’empire d’Autriche pendant les guerres napoléoniennes, le prince de Metternich est son équivalent politique et diplomatique.
Klemens Wenzel Nepomuk Lothar von Metternich-Winneburg zu Beilstein est né 15 mai 1773 à Coblence, dans une des plus prestigieuses familles de Rhénanie. Il porte les prénoms de son parrain, Clément Wenceslas de Saxe, archevêque-électeur de Trêves, fils d’Auguste III, roi de Pologne. Après des études de droit à Strasbourg et Mayence, il entre au service de l’Autriche. En 1795, il se marie avec la petite-fille de Kaunitz, qui fut le tout puissant chancelier d’Autriche sous quatre souverains successifs. Fort de cette alliance, il devient ambassadeur à Dresde en 1801, en Prusse en 1803, puis à Saint-Pétersbourg, très brièvement, en 1806. La même année, il est en poste à Paris. Assez proche de Talleyrand, il est aussi l’amant de la duchesse d’Abrantès (Mme Junot) et peut-être même de Caroline Bonaparte. Bien sûr, cela ne l’empêche pas d’être arrêté après le déclenchement de la guerre contre la cinquième coalition. Après la prise de Vienne, il est échangé contre des diplomates français prisonniers des Habsbourg.
Après Wagram (juin 1809), il devient ministre des Affaires étrangères de l’empire d’Autriche, doit signer le traité de Schönbrunn et négocier, en 1810, le mariage de Napoléon Ier avec l’archiduchesse Marie-Louise, fille de son souverain. En 1813, l’Autriche se retourne à nouveau contre l’Empereur et rejoint la sixième coalition. Au moment de l’abdication, Metternich soutient l’hypothèse d’une succession du roi de Rome, fils de Napoléon, et d’une régence de sa mère, Marie-Louise. Il doit finalement se ranger à l’opinion majoritaire et accepter le retour des Bourbons sur le trône de France. Il est bien sûr l’un des principaux animateurs du congrès de Vienne.
En 1821, il devient chancelier de l’empire d’Autriche, l’un des dirigeants de la Sainte-Alliance et des tenants de l’équilibre des puissances. Il sert François Ier puis Ferdinand Ier, avant d’être emporté par la poussée révolutionnaire de 1848. Il est contraint de démissionner le 13 mars 1848, à l’âge de 75 ans. Après quelques mois d’exil en Angleterre, il s’installe à Bruxelles, puis est autorisé à rentrer en Autriche. Il meurt à Vienne, le 11 juin 1859.


– 8 –
Armand-Emmanuel du Plessis, duc de Richelieu
(1766-1822)

Armand Emmanuel, Duke of Richelieu (1766-1822)
Sir Thomas Lawrence, 1818
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404949

Armand Emmanuel Sophie Septimanie de Vignerot du Plessis est né à Paris le 25 septembre 1766. Son arrière-arrière-arrière-grand-mère était la sœur du cardinal et premier duc de Richelieu (1585-1642) et c’est son arrière-grand-père qui reçut le titre de deuxième duc, 15 ans après la mort du principal ministre de Louis XIII. Armand appartient donc à l’une des familles les plus prestigieuses du royaume de France et a ses entrées à la cour de Versailles. A l’âge de 19 ans, il devient premier gentilhomme de la chambre du roi (Louis XVI). Lorsque la Révolution éclate, il reste proche de la famille royale et, en 1790, la reine Marie-Antoinette l’envoie réclamer de l’aide à son frère, l’empereur Joseph II. Celui-ci est mort avant son arrivée, alors il se rapproche de son successeur, Léopold II. Devenu duc de Richelieu l’année suivante, il rejoint l’armée des émigrés de Condé, puis l’armée russe, qu’il avait déjà brièvement servie par le passé.
Son destin se joue désormais dans le grand empire de Russie, où il devient le protégé de l’impératrice Catherine II, puis de son petit-fils, l’empereur Alexandre Ier. Celui-ci fait de lui le gouverneur d’Odessa et de la Nouvelle-Russie, c’est-à-dire tout le Sud de l’empire, du côté de la mer Noire. Pendant plus de dix ans, de 1803 à 1814, il est gouverneur de cette nouvelle région à coloniser, restant loin des guerres napoléoniennes (ce qui fait qu’il n’a jamais combattu contre la France). Du village d’Odessa, il fait une véritable capitale, où son souvenir est conservé jusqu’à aujourd’hui (rue Richelieu, lycée Richelieu, théâtre Richelieu, etc.). Il participe également à la conquête de la Bessarabie et de la Circassie.
En 1814, il devient le premier gentilhomme de la chambre du nouveau roi, Louis XVIII, et siège à la Chambre des pairs. Il est aussi l’un de ceux qui pousse l’empereur Alexandre (son ami personnel) à maintenir la puissance de la France, ce qui ne sera plus possible après les Cent-Jours. Le 24 septembre 1815, il succède à Talleyrand et devient le deuxième président du Conseil des ministres de l’histoire de France. Royaliste modéré (peut-être parce qu’il a vécu loin des affrontements politiques des 15 années précédentes), il doit lutter contre les « ultras » du comte d’Artois et finit par se rapprocher des libéraux. S’il avait dû négocier avec les Alliés l’humiliant second traité de Paris (20 novembre 1815), il est aussi le représentant de la France au congrès d’Aix-la-Chapelle (1818), qui acte la libération prochaine du territoire national, la réduction des indemnités de guerre et l’adhésion de la France à la Sainte-Alliance, et donc son retour parmi les grandes puissances. C’est à cette occasion qu’il est peint par sir Thomas Lawrence.
Il est finalement contraint à la démission fin 1818, après trois ans trois mois et trois jours de présidence du Conseil. Il le redevient pour presque deux ans entre février 1820 et décembre 1821. Il meurt quelques mois plus tard, le 17 mai 1822, à l’âge de 55 ans.


– 9 –
Fiodor Petrovitch Ouvarov
(1769-1824)

General Feodor Petrovich Uvarov (1769-1824)
Sir Thomas Lawrence, 1818
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404950

Né près de Toula le 27 avril 1769, Théodore/Fiodor Ouvarov est l’un des plus proches amis de l’empereur Alexandre Ier. Issu d’une famille noble mais pauvre, il parvient à rejoindre des régiments de la garde impériale et à y gravir les échelons de la hiérarchie militaire, jusqu’à devenir lieutenant général en novembre 1800. Bien introduit dans la société pétersbourgeoise, il est apparemment l’un de ceux qui fomentent l’assassinat de Paul Ier, l’année suivante, même s’il n’y participe pas personnellement. Après l’avènement d’Alexandre Ier, il prend part aux batailles des guerres napoléoniennes, en tant que commandant des troupes de la garde à cheval. Il est à Austerlitz (2 décembre 1805) et Friedland (14 juin 1807), et aux côtés de son souverain lors de l’entrevue de Tilsit (7 juillet 1807). Pendant la période de paix avec Napoléon Ier, il se bat contre les Turcs mais est rappelé dès 1812 lorsque l’empereur des Français lance la campagne de Russie, connue par les Russes sous le nom de guerre patriotique. Il est bien sûr à Borodino, où sa cavalerie malmène les troupes napoléoniennes (7 septembre 1812). Il accompagne Alexandre Ier en Allemagne. A la « bataille des Nations » (Leipzig, 15-19 octobre 1813), il est élevé au grade de général de cavalerie. Par la suite, il accompagne son souverain dans nombre de ses voyages diplomatiques, notamment celui en Grande-Bretagne (1814). Il meurt dix ans plus tard, le 20 octobre 1824, dans ses appartements du palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg, veillé par son fidèle ami, le tsar.


Du côté de la salle du trône de la Jarretière

De gauche à droite, y compris les tableaux du haut

– 10 –
Louis-Antoine de Bourbon, duc d’Angoulême
(1775-1844)

Louis-Antoine, Duke of Angoulême (1775-1844)
Sir Thomas Lawrence, 1825
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405142

Ce Bourbon, qui souffre souvent d’une image assez négative auprès des historiens, aurait pu être roi de France. Avec Liverpool et Castlereagh, c’est le seul personnage de ce mur qui ne soit pas membre de la famille royale britannique.
Louis-Antoine de France est né le 6 août 1775 au château de Versailles. Il est le fils du comte d’Artois (personnage n° 2), frère de Louis XVI, et de son épouse, Marie-Thérèse de Savoie. Titré duc d’Angoulême à sa naissance, il est baptisé à la chapelle royale, assez tard, à l’âge de dix ans, avec son frère puiné, quant à lui titré duc de Berry. Il est le filleul des souverains, Louis XVI et Marie-Antoinette.
Le 16 juillet 1789, les Artois quittent la France, alors qu’il n’a pas encore 15 ans. Il s’engage dans l’armée de Condé, son lointain cousin, puis suit la famille royale sur les routes de l’exil. Le 10 juin 1799, alors que les Bourbons sont réfugiés en Courlande sous la protection de l’empereur de Russie, il épouse sa cousine germaine, Marie-Thérèse Charlotte, dite Madame Royale, fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, la seule survivante du Temple. En 1807, il suit sa famille au Royaume-Uni et, en 1814, combat sous les ordres de Wellington en Espagne.
Sous la Restauration, Louis XVIII, son oncle, fait de lui le grand amiral de France, à la suite de Joachim Murat. Pendant les Cent-Jours, il tente de soulever le Sud de la France, mais échoue, malgré quelques brillantes victoires. En 1823, le roi l’envoie commander l’expédition d’Espagne, qui rétablit Ferdinand VII sur son trône, dont il avait été chassé quelques temps plus tôt. L’année suivante, son père devient roi de France, sous le nom de Charles X, et lui Monseigneur le dauphin. Six ans plus tard, les Bourbons sont emportés par les Trois Glorieuses. C’est la révolution de Juillet (1830). Alors que son père abdique, il renonce à ses droits en faveur de son neveu, le fils posthume du duc de Berry, assassiné en 1820. Mais c’est finalement leur cousin, le duc d’Orléans, qui s’empare du pouvoir. Les Bourbons partent une nouvelle fois en exil. Il meurt en Autriche, le 3 juin 1844, à l’âge de 68 ans, et est inhumé aux côtés de Charles X.


– 11 –
Adolphe de Hanovre, duc de Cambridge
(1774-1850)

Adolphus, Duke of Cambridge (1774-1850) 
Sir Thomas Lawrence, 1818-1823
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404929

Septième fils du roi Georges III et de la reine Charlotte, Adolphe Frédéric (Adolphus Frederick) est né le 24 février 1774, dans la résidence privée de la famille royale, qu’on appelait alors la Queen’s House et qui est aujourd’hui devenu le palais de Buckingham. A l’âge de 12 ans, le prince Adolphe est envoyé étudier à l’université de Göttingen, en Allemagne, avec ses frères Ernest (frère n°5, né en 1771) et Augustus (frère n°6, né en 1773). Cette université avait été fondée en 1737 par Georges II, leur arrière-grand-père, dans son électorat de Brunswick-Lüneburg, nom officiel de la principauté de Hanovre. Rappelons qu’à la mort de la reine Anne, en 1714, la couronne de Grande-Bretagne était passée à son lointain cousin protestant, l’électeur de Hanovre, après l’exclusion de plusieurs dizaines de catholiques dans la liste de succession au trône.
A partir de 1791, son destin reste lié au Hanovre puisqu’Adolphe participe aux guerres de la Révolution, puis de l’Empire, sous les couleurs de ce petit Etat allemand, tentant de le protéger face aux appétits conquérants de la Prusse et de Napoléon. En 1801, il est titré duc de Cambridge par son père. Après la première abdication, son frère, le Prince Régent (frère n°1, qui devient Georges IV en 1820), le nomme gouverneur militaire du Hanovre (1813-1816), puis gouverneur général (1816-1831). Son autre frère, le roi Guillaume IV (frère n°3 : le frère n°2, duc d’York, étant mort avant le frère n°1), fait même de Cambridge le vice-roi du Hanovre (1831-1837), l’électorat ayant été élevé au rang de royaume au congrès de Vienne. C’est à ce moment-là (1837) qu’il doit finalement quitter son pays allemand pour rentrer en Angleterre. En effet, à la mort de Guillaume IV, leur nièce Victoria (fille du frère n°4, duc de Kent) hérite du trône du Royaume-Uni, mais c’est Ernest, duc de Cumberland (le frère n°5 avec qui il avait étudié à Göttingen) qui devient roi de Hanovre, puisque la loi salique s’y applique et qu’une femme ne peut y régner. Adolphe meurt treize ans plus tard, le 8 juillet 1850, à Cambridge House, sa demeure de Piccadilly. De son mariage avec Augusta de Hesse étaient nés trois enfants, dont une fille, Marie Adélaïde, qui sera la mère de la reine Marie, épouse de Georges V.
Sur ce tableau, peint par sir Thomas Lawrence pendant le congrès d’Aix-la-Chapelle (1818), Cambridge porte l’uniforme de feld-maréchal, grade obtenu le 26 novembre 1813. Il était par ailleurs colonel en chef des Coldstream Guards, l’un des régiments d’infanterie de la garde royale (Foot Guards). A la poitrine, il porte notamment l’étoile de la Jarretière.


– 12 –
Robert Banks Jenkinson, comte de Liverpool
(1770-1828)

Robert Banks Jenkinson (1770-1828), 2nd Earl of Liverpool
Sir Thomas Lawrence, vers 1820
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404930

Né le 7 juin 1770 à Londres, Robert Jenkinson est le fils de Charles Jenkinson (1729-1808). Sa mère meurt une semaine après sa naissance, des suites de l’accouchement. Son père est un proche conseiller du roi Georges III, qui a collectionné les postes ministériels et les fonctions dans l’administration du royaume : secrétaire au Trésor, lord de l’Amirauté, lord du Trésor, président du conseil du commerce, chancelier du duché de Lancastre, etc. Fait baron Hawkesbury en 1786, il devient comte de Liverpool dix ans plus tard.
Robert a donc grandi dans un environnement très particulier, au cœur de la vie politique britannique et de la cour des Hanovre. Après des études à Oxford et un court séjour en France à l’été 1789 (!), il est élu membre du Parlement, mais n’a pas l’âge légal pour siéger. Il entreprend donc son Grand tour en Europe, qui le conduit principalement aux Pays-Bas et en Italie. A son retour, il peut désormais siéger à la Chambre des communes. L’influence de son père lui permet d’avancer rapidement au sein des tories.
En 1801, il devient ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Addington. C’est donc lui qui supervise les négociations du traité d’Amiens avec la France du Premier consul (signé le 27 mars 1802). En 1804, Pitt le Jeune fait de lui son ministre de l’Intérieur. Après une courte interruption (février 1806-mars 1807), il le redevient dans le gouvernement du comte Spencer. A partir du 1er novembre 1809, il est le ministre de la Guerre et des Colonies de Spencer Perceval et est donc l’un des responsables de la lutte contre l’empereur Napoléon Ier. Entre temps, il est devenu le 2e comte de Liverpool, son père étant mort en décembre 1808.
Un mois après l’assassinat de Perceval, il devient finalement Premier ministre, le 8 juin 1812. Il le reste pendant 14 ans et 305 jours, jusqu’au 9 avril 1827. Après lui, aucun Premier ministre n’a occupé ces fonctions aussi longtemps, jusqu’à aujourd’hui. Après lui, également, aucun Premier ministre n’a pris ses fonctions aussi jeune (41 ans et 1 jour). Au cours de ses premières années en tant que Premier ministre, sa priorité était bien sûr la guerre contre Napoléon (mais aussi celle contre les Etats-Unis). Ainsi, il dirige le pays alors que Wellington combat en Espagne, alors que Napoléon est contraint d’abdiquer, deux fois, alors que se tient le congrès de Vienne, où il représenté par Lord Castlereagh, puis par le duc de Wellington. Après la fin de l’épopée napoléonienne, il doit encore lutter contre les luddites, mais aussi les catholiques qui demandent leur émancipation.
Il se retire pour raisons de santé et meurt le 4 décembre 1828, à Kingston. Il est connu pour être le premier Premier ministre à porter un pantalon plutôt qu’une culotte et des bas de soie, ainsi que les cheveux courts !


– 13 –
Guillaume IV, roi du Royaume-Uni
(1765-1837)

William IV (1765-1837)
Sir David Wilkie, 1832
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404931

Après le duc de Cambridge (7e fils), on passe au troisième fils du roi Georges III (personnage suivant) et de la reine Charlotte.
Né le 21 août 1765 à Buckingham House, la demeure familiale, il grandit à la campagne, à Kew et Richmond. A l’âge de 13 ans, rompant avec la tradition royale, il rejoint la Royal Navy et sert en tant que cadet. Bien qu’accompagné d’un tuteur, il vit comme ses camarades, étant même arrêté avec certains d’entre eux après une soirée de beuverie. En 1781, il est basé à New York, pendant la guerre d’indépendance des Treize Colonies. Il est ainsi le premier membre de la famille royale britannique à poser le pied sur le sol américain. George Washington envisage de le faire enlever, mais ce projet n’est finalement pas mis en œuvre.
Après la guerre, en 1786, il obtient son premier commandement sur un navire de la flotte britannique (HMS Pegasus). Il sert sous les ordres de Nelson dans les Indes occidentales (Antilles) et se lie d’amitié avec lui. En 1789, il accède au grade de contre-amiral et prend son congé de la marine l’année suivante. Entre temps, le 16 mai 1789, il a été titré duc de Clarence et va donc désormais s’occuper de politique en siégeant à la Chambre des lords. Toutefois, il souhaite reprendre du service alors que la guerre éclate avec la France révolutionnaire. Pendant de longues années, il tente d’obtenir un commandement, ce qui lui sera toujours refusé. En lot de consolation, il est fait amiral en 1798 et amiral de la flotte en 1811, mais à titre purement honorifique. Il aurait pu être le seul membre de la famille royale à se battre contre Napoléon sur les mers, mais la politique en a décidé autrement.
En 1817, sa nièce, la princesse Charlotte (fille du Prince Régent, personnage n° 16) meurt après avoir donné naissance à un enfant mort-né. S’engage alors une fameuse « course » parmi les fils de Georges III, puisqu’aucun d’eux n’a d’enfants légitimes susceptibles de monter sur le trône. Depuis près de vingt ans, Clarence vit avec une actrice, Mrs Jordan, qui lui a donné une dizaine d’enfants illégitimes. Le 11 juillet 1818, il se marie officiellement avec une princesse allemande, Adélaïde de Saxe-Meiningen. Contre toute attente, le couple est heureux, même si le fameux héritier du trône n’arrive pas. Adélaïde gère désormais les affaires de son mari et éponge ses dettes colossales. Clarence semble lui avoir été fidèle. Adélaïde, elle, accueille les nombreux bâtards de son mari comme elle l’aurait fait avec ses propres enfants.
Après avoir été brièvement lord grand amiral, fonction qui n’avait pas été attribuée depuis 1709, il succède finalement, en 1830, à son frère aîné, le Prince Régent devenu Georges IV dix ans plus tôt. Le règne de Guillaume est relativement court, jusqu’à sa mort en 1837, mais assez rempli. Même s’il se mêle relativement peu de politique, il est le dernier souverain à avoir imposé un Premier ministre contre l’avis du Parlement. C’est aussi sous son règne que sont passées de nombreuses lois pour améliorer le fonctionnement démocratique du régime ou le sort des classes laborieuses.
Devenu frugal et presque sobre, grâce à la bonne influence de la reine Adélaïde, il préfère continuer à vivre simplement, dans sa demeure de Clarence House (aujourd’hui occupée par le prince de Galles et la duchesse de Cornouailles) ou au château de Windsor. Il n’a pas (ou plus) l’extravagance de son frère aîné et tente à plusieurs reprises de se débarrasser du palais de Buckingham, dont la construction et l’aménagement ne sont toujours pas achevés malgré les sommes prodigieuses qui y sont affectées. Son couronnement, le 8 septembre 1831, est également nettement plus simple que celui de son prédécesseur. Aux traditionnalistes qui menacent de boycotter un événement au rabais, il répond que leur absence laissera plus de place pour les autres dans les travées de l’abbaye de Westminster ! Le Roi-Marin, comme on l’appelle parfois, a conservé son franc-parler, comme en témoignent quelques frictions avec ses Premiers ministres successifs, mais aussi avec la duchesse de Kent, sa belle-sœur, qui est aussi la mère de la princesse héritière, la jeune Victoria.
Guillaume IV s’éteint le 20 juin 1837 au château de Windsor. Comme prévu, c’est Victoria qui lui succède comme reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, et son frère, le duc de Cumberland, comme roi de Hanovre.
C’est David Wilkie (1785-1841), le successeur de sir Thomas Lawrence au poste de peintre du roi, qui a l’honneur de peindre le portrait en majesté de son souverain. On retrouve les attributs habituels : la grande tenue de la Jarretière, les insignes de la Jarretière et du Bain, la couronne impériale. Toutefois, on devine le caractère bonhomme de ce roi, dont la reine Victoria se souviendra plus tard comme d’un « gentil vieux monsieur ».


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Georges III, roi du Royaume-Uni
(1738-1820)

George III (1738-1820)
Sir Thomas Lawrence, 1818-1823
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404932

Georges Guillaume Frédéric (George William Frederick) est né le 4 juin 1738 à Londres. Il est le fils de Frédéric, prince de Galles, et de son épouse, la princesse Augusta de Saxe-Gotha. Il est donc le petit-fils du souverain britannique, Georges II. Comme toujours chez les Hanovre (rappelons que les électeurs de Hanovre sont montés sur le trône britannique en 1714), les pères ne s’entendent guère avec leur fils aîné et le petit Georges est élevé dans une cour concurrente de la cour royale. Son père meurt le 31 mars 1751 et, à l’âge de 12 ans, Georges devient l’héritier du trône de son grand-père. Trois semaines plus tard, il reçoit le titre de prince de Galles. Finalement, le roi meurt le 25 octobre 1760 et son petit-fils lui succède sous le nom de Georges III. Il a 22 ans.
L’année suivante, le jeune roi épouse la princesse Charlotte de Mecklembourg-Strelitz. Quinze jours plus tard, le 22 septembre 1761, ils sont couronnés à l’abbaye de Westminster. Ils auront 15 enfants (9 fils et 6 filles, voir ci-dessous) et vivront une vie familiale très heureuse, souvent loin des intrigues de la cour. Si le palais de Saint-James reste le siège de la monarchie et le lieu des grandes cérémonies, la famille royale réside habituellement à Buckingham House, à Kew ou au château de Windsor.
La tranquillité du roi est toutefois perturbée par la lutte entre tories et whigs, notamment entre Pitt et Fox (voir le Parcours Napoléon à l’abbaye de Westminster), mais surtout par les grandes crises que sont la perte des Treize Colonies et la lutte contre la France révolutionnaire. En parallèle, la santé du roi se dégrade et, de plus en plus souvent, Georges III perd la raison et devient incapable de régner. On s’est longtemps interrogé sur la véritable nature de ces troubles mentaux, peut-être liés à la porphyrie, à une psychose maniaco-dépressive ou à une bipolarité. En 1811, le Regency Act permet finalement de confier la régence à son fils aîné, le prince de Galles. Georges III vit dès lors retiré au château de Windsor, n’intervenant plus dans la politique du royaume, ni dans la lutte contre Napoléon.
Lorsqu’il monte sur le trône en 1760, il est à la fois roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et roi d’Irlande, mais aussi duc de Brunswick-Lunebourg (le Hanovre), prince électeur et architrésorier du Saint Empire romain germanique. En 1801, suite à l’acte d’Union, il devient roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, puisque l’union politique des deux royaumes remplace l’union personnelle. En 1806, la dissolution de l’Empire germanique lui fait perdre ses titres de prince électeur et d’architrésorier, mais il reste duc de Brunswick-Lunebourg. Avec le congrès de Vienne, ce titre est remplacé par celui de roi de Hanovre (1814).
Il meurt le 29 janvier 1820 au château de Windsor, à l’âge de 81 ans et 239 jours, ce qui fait alors de lui le souverain le plus âgé de l’histoire anglaise, puis britannique. Il sera ensuite dépassé par sa petite-fille, la reine Victoria, puis par l’actuelle souveraine, Elisabeth II. Le même constat peut être fait pour son règne, long de 59 ans et 96 jours. Si sa maladie mentale ne lui permit pas d’être tout le temps aux commandes, c’est bien lui qui fut le roi du Royaume-Uni en titre pendant toute l’épopée napoléonienne. C’est pour cette raison qu’il occupe l’une des places centrales sur les murs de la Waterloo Chamber.
Ce tableau est une copie de l’un des premiers portraits peints par Thomas Lawrence, en 1792, lorsqu’il prend ses fonctions de peintre du roi, suite à la mort de sir Joshua Reynolds. L’original avait été offert à la Cité de Coventry et le Prince Régent commanda cette copie pour l’exposer à Carlton House. Elle fut réalisée entre 1818 et 1823, le Prince Régent étant entre temps devenu le roi Georges IV. On y voit Georges III, portant une perruque poudrée, typique de la mode du XVIIIe siècle, et en grande tenue de l’ordre de la Jarretière, dans son château de Windsor (au loin, on aperçoit la Tamise et la chapelle d’Eton).

Les fils de Georges III et de la reine Charlotte :
1. Georges (1762-1830) : prince de Galles (1762-1820), Prince Régent (1811-1820), puis Georges IV, roi du Royaume-Uni (1820-1830). Voir personnage n° 16.
2. Frédéric (1763-1827) : duc d’York, héritier du trône (1820 à 1827). Voir personnage n° 18.
3. Guillaume (1865-1837) : duc de Clarence, héritier du trône (1827-1830), puis Guillaume IV, roi du Royaume-Uni (1830-1837). Voir personnage n° 13.
4. Edouard (1767-1820) : duc de Kent, père de la reine Victoria.
5. Ernest Auguste (1771-1851) : duc de Cumberland, puis roi de Hanovre (1837-1851).
6. Auguste Frédéric (1773-1843) : duc de Sussex.
7. Adolphe (1774-1850) : duc de Cambridge. Voir personnage n° 11.
8. Octave (1779-1783).
9. Alfred (1780-1782).


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Frédéric-Guillaume, duc de Brunswick-Wolfenbüttel
(1771-1815)

Frederick William, Duke of Brunswick-Wolfenbüttel (1771-1815)
Anonyme, vers 1848-1876
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405143

Avec ce prince allemand, né le 9 octobre 1771, on reste dans la famille royale britannique. Sa mère, la princesse Augusta, est la sœur de Georges III (personnage précédent). Il est donc le cousin germain de Georges IV (personnage suivant), de Guillaume IV (personnage n° 13), du duc de Cambridge (personnage n° 11) et du duc d’York (personnage n°18). Il est par ailleurs le frère de Caroline de Brunswick et donc le beau-frère du Prince Régent.
Pourtant, ce n’est pas pour le Hanovre ou le Royaume-Uni qu’il combat contre Napoléon pendant les premières années, mais pour la Prusse, puisque son duché d’Oels, en Silésie, est vassal du roi de Prusse. Il constitue ensuite son propre régiment, la Légion noire (Black Brunswickers). Il passe finalement au service de son beau-frère, le futur Georges IV, et devient lieutenant général de l’armée britannique le 1er juillet 1809. Son régiment est envoyé en Espagne, où il est en grande partie décimé. Il est finalement tué le 16 juin 1815 à la bataille des Quatre-Bras, deux jours avant la victoire finale de Waterloo. Ce portrait, anonyme et daté de la seconde moitié du XIXe siècle, est donc posthume.


– 16 –
Georges IV, roi du Royaume-Uni
(1762-1830)

George IV (1762-1830)
Studio de Sir Thomas Lawrence, 1821
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404933

Sans doute l’un des personnages les plus flamboyants de l’Europe du début du XIXe siècle, tour à tour prince de Galles, Prince Régent et roi Georges IV, celui qu’on appelle « le premier gentilhomme de l’Europe » fut particulièrement impliqué dans la chute de Napoléon Ier… en tout cas son gouvernement.
Georges Auguste Frédéric (George Augustus Frederick) est né le 12 août 1762 au palais de Saint-James. Comme dit précédemment, il est le fils aîné du roi Georges III et de la reine Charlotte. Il est titré prince de Galles quelques jours après sa naissance. Son enfance est relativement paisible, sous la protection d’une famille unie, qu’on pourrait dire très « bourgeoise ».
Tout change à sa majorité. Doté d’une confortable pension accordée par le Parlement, et d’une autre venant de son père, il débute une vie complètement dissolue, faite de plaisirs, de banquets, de beuveries, de maitresses, de dépenses folles… tout l’inverse du roi Georges III, qui est fidèle à sa femme et gère ses finances « en bon père de famille ». Du coup, on revient au schéma propre aux Hanovre, c’est-à-dire la mésentente entre le roi et son fils aîné. Bien sûr, le fils supporte les whigs, puisque le roi s’entoure de tories. Le prince de Galles dépasse les limites du tolérable en épousant une roturière, Maria Fitzherbert, sans même demander l’autorisation du roi. De ce fait, le mariage est illégal, et donc nul… En même temps, les dettes s’accumulent.
Afin de remettre son fils dans le droit chemin, le roi lui impose un mariage avec une cousine allemande, Caroline de Brunswick. Celui-ci est célébré le 8 avril 1795, à la chapelle du palais de Saint-James. Une petite princesse Charlotte nait le 7 janvier suivant. Les époux ayant (relativement) accompli leur devoir dynastique, ils se séparent… Il faut dire qu’ils ne se sont jamais aimés. Pire, ils se détestent.
Galles reprend sa vie de débauche. S’il est déjà une sorte de « premier gentilhomme de l’Europe », c’est surtout pour le faste de ses palais, de ses fêtes, de ses tenues, de ses équipages, de ses collections… et de ses dettes ! Il se fait construire Carlton House, encore considérée comme l’une des plus luxueuses résidences de l’histoire londonienne, mais aussi le pavillon oriental de Brighton.
En 1811, la maladie du roi conduit à la Régence. Georges exerce les fonctions de son père, sans en détenir les titres. A part quelques sujets précis (l’émancipation des catholiques, à laquelle il s’oppose), le Prince Régent se mêle assez peu de politique, contrairement à son père. Cela ne fait d’ailleurs que renforcer le caractère parlementaire du régime. Il continue à amasser tableaux, conquêtes (féminines, plutôt que territoriales), dettes et kilos. Lorsqu’il succède définitivement à son père, il est déjà obèse.
Le 29 janvier 1820, la mort de Georges III fait de lui Georges IV. Il se lance dans les travaux pharaoniques de Buckingham Palace, mais aussi le réaménagement complet du château de Windsor. Son couronnement à l’abbaye de Westminster, le 19 juillet 1821, coûte une véritable fortune (25 fois plus que celui de son père) et tourne presque en comédie burlesque. Depuis plusieurs années, sa femme vit en Europe. Bien décidée à profiter des avantages liés à sa nouvelle position, Caroline rentre à Londres en urgence. Mais Georges lui refuse le titre de reine et le couronnement. Elle n’est même pas invitée à l’abbaye. Elle se présente tout de même. On lui ferme la porte au nez. Elle frappe bruyamment à la porte. Elle est éconduite. Elle meurt quelques jours plus tard. Mais Caroline était restée populaire. Son humiliation et sa mort ne font qu’empirer l’impopularité du roi.
Bientôt, il se retire au château de Windsor. Le dandy séduisant de sa jeunesse n’est plus qu’un vieillard de 130 kg, souffrant de goutte et de diverses maladies liées à ses excès de boisson et de nourriture. Pourtant, il n’y renonce pas, ne faisant qu’empirer son état. Il meurt le 26 juin 1830. C’est son deuxième frère qui lui succède sous le nom de Guillaume IV, puisque Charlotte et son premier frère étaient morts en 1817 et 1827 respectivement.
Si, finalement, son rôle politique est médiocre, y compris dans la lutte contre Napoléon, son héritage est impressionnant du point de vue de l’art et de l’art de vivre. En plus des palais royaux déjà cités, on lui doit Regent Street, Regent’s Park et bien d’autres éléments du paysage londonien. On lui doit également une part substantielle des collections royales. On lui doit, aussi, et surtout, une époque, la Régence, et un style, Regency. Alors que Talleyrand louait les années qui ont précédées la Révolution française comme une sorte d’apogée de la civilisation européenne, on pourrait dire de même, au Royaume-Uni, pour le temps du Prince Régent, et, dans une moindre mesure, pour celui de Georges IV… en un peu plus « bling-bling » !
Tout le faste du règne de ce personnage extravagant, on le retrouve sur le tableau de sir Thomas Lawrence. Comme pour celui de Georges III, il ne s’agit pas d’un original. Un premier tableau est peint en 1818 et offert par le Prince Régent aux autorités de la Cité de Dublin. Après son accession, il commande plusieurs copies au peintre, qui remplace la couronne princière par la couronne royale. Celle-ci est déposée sur la « Table des Grands Capitaines » (voir le Parcours Napoléon dans les Collections royales). Le roi porte bien sûr la grande tenue de la Jarretière, ainsi que les insignes du Bain, de l’ordre hanovrien des Guelfes, mais aussi de la Toison d’or autrichienne. Rappelons, pour terminer, que Georges avait également succédé à son père comme roi de Hanovre.


– 17 –
Robert Stewart, vicomte Castlereagh
(1769-1822)

Robert Stewart (1769-1822), Viscount Castlereagh,
later second Marquess of Londonderry
Sir Thomas Lawrence, 1816-1830
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404934

Avec Liverpool (personnage n° 12), Castlereagh est l’autre grand politicien britannique impliqué dans la lutte contre Napoléon et surtout dans sa chute.
Robert Stewart est né à Dublin, le 18 juin 1769 (il fête donc ses 46 ans le jour où se tient la bataille de Waterloo), dans une famille de l’aristocratie protestante irlandaise. Son père est créé baron Londonderry en 1789, vicomte Castlereagh en 1795, comte de Londonderry en 1796 et finalement marquis de Londonderry en 1816. Après la mort de sa mère (une Seymour-Conway, fille du 1er marquis de Hertford), son père se remarie avec la fille de Charles Pratt, 1er comte de Camden, un proche des deux Pitt. C’est cette proximité avec l’élite tory de Grande-Bretagne qui permet au père de recevoir tous ces titres de noblesse et au fils d’être éduqué à Cambridge puis d’exercer des fonctions importantes.
Ainsi, lorsque le frère de sa belle-mère devient lord lieutenant d’Irlande, il est l’un de ses principaux collaborateurs, jusqu’à devenir en mars 1798, à l’âge de 28 ans, secrétaire en chef pour l’Irlande par intérim, c’est-à-dire adjoint du lord lieutenant. C’est en cette qualité qu’il réprime la révolte irlandaise de 1798 et pousse à l’union des deux pays. C’est un succès, puisque l’acte d’Union de 1800 fonde le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, en remplacement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et du royaume d’Irlande, qui cessent d’exister le 1er janvier 1801. Cela lui permet de se faire élire en tant que député d’une des circonscriptions irlandaises au Parlement de Westminster, et donc de s’engager dans la vie politique londonienne.
En 1804, après la rupture de la paix d’Amiens, il est nommé secrétaire d’Etat pour la Guerre et les Colonies dans le gouvernement de Pitt le Jeune. Il est donc désormais en première ligne pour lutter contre Napoléon. Il le fait notamment à travers le soutien qu’il apporte au brillant général Arthur Wellesley, dont nous reparlerons. Après une courte pause suite à la mort de Pitt, il reprend son ministère dans le gouvernement du duc de Portland, de 1807 à 1809. Et finalement, en 1812, il devient secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères dans les gouvernements de Spencer Perceval, puis de lord Liverpool (après l’assassinat de Perceval, dont il est question dans le Parcours Napoléon à l’abbaye de Westminster).
En tant que responsable de la diplomatie britannique dans cette Europe troublée par les conquêtes de l’Empereur, il va s’atteler à rallier les puissances à la cause britannique, principalement en finançant la résistance et la révolte des monarchies inféodées à Napoléon Ier (parfois volontairement, par intérêt politique ; parfois contre leur gré, suite à leur défaite sur les champs de bataille). Encore une fois, la politique européenne de Castlereagh est un succès, comme le démontre le soulèvement de la plus grande partie de l’Europe après la campagne de Russie. Au cours de la campagne de France, il parvient à convaincre ses alliés autrichiens, russes et prussiens de former une alliance en vue de réorganiser l’Europe post-napoléonienne. Ce projet est formalisé par le traité de Paris de 1814, mais surtout par le congrès de Vienne, où Castlereagh représente personnellement son pays, avant de céder sa place au duc de Wellington. Rappelé à Londres, il conserve son poste de secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères jusqu’à sa mort, en 1822.
Malgré ses succès dans le règlement de la question napoléonienne, l’opinion britannique lui reproche beaucoup son soutien à des mesures de politique intérieure très impopulaires, mais aussi son soutien à des gouvernements européens très répressifs. Devenu paranoïaque, celui qui était devenu 2e marquis de Londonderry après la mort de son père en 1821, se suicide le 12 août 1822 dans sa demeure du Kent. Quelques jours plus tôt, inquiets pour lui, le roi Georges IV et son ami Wellington avaient averti le Premier ministre et les médecins de son état dépressif.
Castlereagh est resté très impopulaire dans la mémoire des Britanniques, parce qu’il est associé à la résistance contre des réformes devenues nécessaires. Il joua pourtant un rôle essentiel dans la défaite de Napoléon Ier, autant en ayant soutenu Wellington en Espagne alors qu’il était à la Guerre, qu’en forgeant l’ultime coalition contre l’Empereur alors qu’il était aux Affaires étrangères. C’est aussi grâce à son pragmatisme que la France échappa à un probable démantèlement après la campagne de France et la prise de Paris, en 1814.


– 18 –
Frédéric de Hanovre, duc d’York
(1763-1827)

Frederick, Duke of York (1763-1827)
Sir Thomas Lawrence, 1816
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404935

Dernier enfant de Georges III évoqué dans la Waterloo Chamber, le duc d’York est en fait son deuxième fils, né le 16 août 1763 au palais de Saint-James. Si son frère cadet, le futur Guillaume IV, échoue à combattre Napoléon au sein de la Royal Navy, lui fut l’un des dirigeants de l’armée britannique pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire.
Entre 1781 et 1787, alors qu’il étudie à l’université de Göttingen avec ses frères, il commence par accumuler les grades honorifiques : après avoir été colonel dès 1780, il devient colonel d’un des régiments de la garde en 1782, major général quelques mois plus tard, lieutenant général en 1784, colonel des prestigieux Coldstream Guards la même année. Il est par ailleurs titré duc d’York et d’Albany le 27 novembre 1784, ce qui lui permet de siéger à la Chambre des lords après son retour d’Allemagne.
Dans le cadre des guerres contre la France révolutionnaire, il devient général en 1793 et est envoyé en Flandre pour commander le contingent britannique des armées du duc de Cobourg. Il gagne quelques batailles, en perd d’autres, jusqu’à ce que ses troupes soient évacuées. En 1795, il est promu au rang de feld-maréchal, puis de commandant en chef des forces britanniques. Il est à nouveau sur les champs de bataille de Hollande en 1799.
Après ce nouvel échec (relatif), il lance une série de réformes pour améliorer l’armée britannique. Il soutient notamment la création de la prestigieuse académie militaire de Sandhurst, où les futurs officiers sont désormais désignés au mérite. Ces réformes portent leurs fruits, comme le montre l’engagement des forces britanniques dans la péninsule ibérique. L’armée britannique est devenue l’une des plus puissantes d’Europe et allait bientôt pouvoir dominer le monde, de l’Afrique à l’Asie (avec le support de la flotte, bien sûr).
A l’image de ses frères, il épouse une cousine allemande, Frédérique Charlotte de Prusse, fille du roi Frédéric-Guillaume II. Comme le futur Georges IV et à la différence du futur Guillaume IV, ce mariage est malheureux. A la mort de sa nièce, la princesse Charlotte de Galles, il devient l’héritier en second, puis l’héritier du trône lorsque son frère monte sur le trône, en 1820. Mais il s’éteint le 5 janvier 1827 et, faute de descendance, c’est son frère cadet, Clarence, qui succède au fastueux Georges IV en 1830.
Après sa mort, l’armée décide de verser une journée de paie de l’ensemble des soldats et officiers, pour édifier un monument à la gloire du duc d’York. C’est fait, quelques années plus tard, avec la colonne du duc d’York, construite là où se trouvait Carlton House, la demeure du Prince Régent, en haut des marches qui relient le Mall et Regent Street (ou plutôt Waterloo Place, aujourd’hui). La légende urbaine dit que la hauteur de la colonne (42 mètres) avait pour but de soustraire le duc aux assauts de ses créditeurs : à sa mort, il devait en effet plus de 2 millions de livres sterling (environ 175 millions en 2019).


– 19 –
Léopold Ier, roi des Belges
(1790-1865)

Prince Leopold of Saxe-Coburg, later Leopold I, King of the Belgians (1790-1865)
Sir Thomas Lawrence, 1821-1830
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405144

Prince allemand devenu roi des Belges, parfois ennemi de Napoléon, parfois son allié, Léopold de Saxe-Cobourg est un personnage central dans la vie de la famille royale britannique au XIXe siècle, à plus d’un titre, mais aussi dans l’histoire européenne, puisqu’il se retrouve au centre des alliances matrimoniales des dynasties d’alors.
Léopold est né le 16 décembre 1790 à Cobourg, qui est la capitale du petit Etat germanique sur lequel règne son père, le duc de Saxe-Cobourg-Saalfled. En 1826, la seigneurie de Saalfeld sera échangée avec celle de Gotha, et on parlera alors des Saxe-Cobourg-Gotha.
En 1796, Julienne, sa sœur aînée, épouse le grand-duc Constantin Pavlovitch de Russie, petit-fils de l’impératrice Catherine II. Ils se séparent en 1799 et Julienne rentre en Allemagne, mais son jeune frère est tout de même intégré à l’armée russe. En 1803, à l’âge de douze ans, il est ainsi promu major général dans un régiment de cavalerie de la garde impériale. Les retournements d’alliances au sein de l’Europe napoléonienne font que Léopold combat d’abord contre Napoléon, avant de rejoindre le rang de ses alliés. L’Empereur dira d’ailleurs de lui qu’il était le plus beau jeune homme qu’il avait croisé aux Tuileries ! Finalement, la campagne de Russie le renvoie du côté des ennemis de Napoléon et, en tant que colonel du régiment des cuirassiers de l’impératrice, il participe à la libération des territoires germaniques. Il est à Leipzig, à Brienne et, enfin, à Paris le 31 mars 1814.
Avant le congrès de Vienne (où il représente Cobourg aux côtés de son frère, le duc souverain), il accompagne Alexandre Ier en Angleterre, où il entre dans le grand jeu diplomatique. Alors que le Prince Régent souhaite marier sa fille unique, Charlotte, au prince d’Orange, une partie de l’Europe s’oppose à cette union. Alexandre propose alors Léopold. Le mariage a lieu deux ans plus tard, le 2 mai 1816, à Carlton House. Quelque mois plus tard, le jeune couple, sur lequel repose alors l’avenir de la monarchie britannique, s’installe à Claremont House, dans le Surrey. Le 5 novembre 1817, Charlotte donne naissance à un enfant mort-né et s’éteint le lendemain, à l’âge de 21 ans. C’est alors que débute la « course à l’héritier » dont nous avons déjà parlé.
Léopold, tout autant populaire que l’était sa jeune épouse, décide de rester au Royaume-Uni et se mêle à cette course. En 1818, il arrange le mariage de sa sœur Victoire avec le duc de Kent, 4e fils de Georges III. Ils seront les grands gagnants de la course, puisque leur fille, Victoria, deviendra reine en 1837. Plus tard, Léopold ira plus loin en arrangeant le mariage de Victoria avec son cousin (le fils du frère de Léopold), Albert.
Mais pour le moment, Léopold a d’autres priorités. En 1830, le séduisant veuf se voit offrir la couronne du tout nouveau royaume de Grèce, mais les exigences des Hellènes sont telles qu’il finit par renoncer. L’année suivante, une autre couronne lui tombe sur la tête : celle du royaume de Belgique, lui aussi nouvellement créé. Le 16 juillet 1831, Léopold quitte le Royaume-Uni pour devenir Léopold Ier, roi des Belges. Il continue pourtant à jouer un rôle essentiel dans la vie britannique, en tant que conseiller de sa sœur, la duchesse de Kent, puis de sa nièce, la reine Victoria, et enfin de son neveu Albert, le mari de celle-ci. Il participe aussi au rapprochement du Royaume-Uni avec la France, d’abord représentée par son beau-père, Louis-Philippe (il a épousé sa fille, la princesse Louise, en 1832), puis avec Napoléon III, petit-neveu de Napoléon Ier. Il meurt finalement le 10 décembre 1865, au château de Laeken, après une vie bien remplie, qui aurait pu le voir prince consort du Royaume-Uni ou roi de Grèce, mais fit de lui le premier roi des Belges.
Le tableau de sir Thomas Lawrence a une place un peu particulière dans la Waterloo Chamber, tout comme Léopold dans la famille royale. C’est lui, en effet, qui en passa commande au peintre du roi, son beau-père, dans les années 1820, alors qu’il avait choisi de rester au Royaume-Uni après la mort de la princesse Charlotte. C’est ainsi qu’on le voit lui aussi représenté en grande tenue de l’ordre de la Jarretière, qu’il avait rejoint quelques semaines après son mariage avec l’héritière en second du trône britannique. Léopold, devenu roi des Belges, fit cadeau du tableau à son neveu, le prince Albert (alors prince consort mais pas encore Prince Consort, ce titre lui étant accordé en 1857), pour son 22e anniversaire, le 26 août 1841. Quelques mois plus tard, Victoria et Albert décident de l’intégrer dans la galerie de portraits des ennemis de Napoléon, dans la Waterloo Chamber.


Du côté du Grand salon de réception

En haut, de gauche à droite

– 20 –
Sir James Kempt
(1764-1854)

Sir James Kempt (1764-1854)
Robert McInnes, 1836
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405145

Parmi les officiers de l’armée britannique qui ont combattu Napoléon, James Kempt le fit sur pratiquement tous les fronts.
Né à Edimbourg aux environs de 1764, il rejoint l’armée vers 20 ans, à une époque de paix avec la France. Puis revient le temps des troubles entre les deux pays. En 1799, il devient l’aide-de-camp de sir Ralph Abercrombie, d’abord aux Pays-Bas, puis pendant la campagne d’Egypte. Après la mort de ce dernier à la bataille d’Alexandrie (21 mars 1801), il reste dans l’état-major des armées combattant en Méditerranée. Il sert par exemple à la bataille de Maida, en Calabre, le 4 juillet 1806, contre les armées du nouveau roi de Naples, Joseph Bonaparte, le frère aîné de Napoléon.
Après un bref passage en Amérique du Nord, dans le cadre de la guerre contre les jeunes Etats-Unis d’Amérique, il est rappelé en Europe et rejoint Arthur Wellesley dans la péninsule ibérique. Sous les ordres de Thomas Picton (personnage n° 5), il participe avec sa brigade aux batailles de Vitoria, des Pyrénées, de la Bidassoa, de Nivelle, de Pau et de Toulouse.
La première abdication de Napoléon voit son retour sur le front américain, mais il est à nouveau rappelé en Europe pendant les Cent-Jours. Il retrouve Wellington et Picton en Belgique, commande sa brigade à la bataille des Quatre-Bras et à Waterloo. Lorsque Picton est tué d’une balle dans la tête, c’est à lui que Wellington confie le commandement de la division.
Avec le retour de la paix, il devient lieutenant-gouverneur de Portsmouth et commandant du district militaire du Sud-Ouest. Puis il est à nouveau envoyé en Amérique, d’abord en tant que lieutenant-gouverneur de Nouvelle-Ecosse, puis, en 1828, en tant que gouverneur général du Canada, mais il se retire en Angleterre après seulement deux ans d’exercice de ces fonctions prestigieuses. Il meurt à Londres en 1854.
Le tableau de la Waterloo Chamber est postérieur à la plupart des autres. Il a été peint par Robert McInnes en 1836, exposé à la Royal Academy of Arts en 1841 et acquit par la reine Victoria. Il permet de retrouver sir James Kempf, dans son uniforme de général, avec les insignes de l’ordre du Bain, mais aussi de la Légion d’honneur.


– 21 –
Matvei Ivanovitch Platov
(1753-1818)

Matvei Ivanovitch, Count Platov (1753-1818)
Sir Thomas Lawrence, 1814
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405146

Matvei Ivanovitch Platov est né le 8 août 1753, ce qui fait de lui l’un des plus vieux parmi les personnages de cette galerie, après Georges III (1738), Pie VII, Blücher et Congreve (1742) et Hardenberg (1750). Engagé à l’âge de 13 ans dans les cosaques du Don, il sert d’abord au Sud de l’empire, en Crimée, en Tchétchénie, au Daghestan, puis contre la Perse en 1796. Après la mort de l’impératrice Catherine II, il subit les foudres de Paul Ier et est emprisonné à la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg, victime d’une cabale de la cour. Rapidement réhabilité, il est couvert d’honneur par l’empereur, puis par son fils, Alexandre Ier. Ce dernier fait de lui l’ataman des cosaques du Don, un titre prestigieux.
Viennent ensuite les guerres contre Napoléon. Il sert à Eylau et Friedland, puis, évidemment, pendant la campagne de Russie, en tant que général de cavalerie. A Borodino, il tente une manœuvre contre les Français, mais elle échoue. Cependant, elle effraie Napoléon, ce qui le pousse à retirer la Garde impériale. Avec le reste des armées russes, ses cosaques pourchassent Napoléon pendant la retraite de Russie, participent à la bataille de Leipzig en octobre 1813, puis à la campagne de France.
En 1814, le victorieux et vieillissant général Platov accompagne Alexandre Ier à Londres, où il est reçu avec tous les honneurs dans la bonne société et à la cour. C’est à cette occasion qu’il pose pour sir Thomas Lawrence. Après son retour en Russie, il rejoint la capitale des cosaques, Novocherkassk, qu’il avait fondé en 1805. Il meurt le 3 janvier 1818 et est enterré dans la cathédrale de la ville.


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Arthur Wellesley, duc de Wellington
(1769-1852)

Arthur Wellesley, 1st Duke of Wellington (1769-1852) 
Sir Thomas Lawrence, 1814-1815
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405147

Pour les Britanniques, il était évident de donner la place d’honneur à Wellington. Son portrait se trouve juste en face de nous, lorsque nous pénétrons dans la Waterloo Chamber. Bien que son voisin, Blücher, y soit aussi pour quelque chose, Arthur Wellesley, duc de Wellington, est souvent considéré comme le grand vainqueur de Napoléon. Pourtant, ce tableau fut commandé par le Prince Régent, pour Carlton House, avant même le retour de l’île d’Elbe et Waterloo. C’est d’abord en tant que commandant des forces britanniques en Espagne que Wellesley est représenté par sir Thomas Lawrence.
Arthur Wellesley est né en Irlande le 1er mai 1769, quelques mois avant la naissance de son futur ennemi, Napoléon Bonaparte (15 août 1769). Fils du comte de Mornington, il a une jeunesse assez cosmopolite : après avoir étudié à Eton (1781-1785), puis à Bruxelles, dans les Pays-Bas autrichiens, il rejoint l’académie d’équitation d’Angers, dans le royaume de France. En 1787, il devient enseigne dans l’armée britannique, puis lieutenant et, pendant les cinq années suivantes, il sert comme aide-de-camp de lord Buckingham, lord lieutenant d’Irlande, puis de son successeur, le comte de Westmorland.
Continuant à gravir les échelons dans l’armée britannique, il combat une première fois contre les Français lors de la campagne de Flandre (1793), puis il est envoyé aux Indes, où il est bientôt rejoint par son frère ainé, Richard, lord Mornington, tout juste nommé gouverneur général (1798). Ils en repartent ensemble en 1805 et, sur le chemin du retour, séjournent aux Briars, lors de leur escale à Sainte-Hélène ! Pendant ces quelques années coloniales, Arthur a brillamment combattu les ennemis des Britanniques, réprimé les soulèvements, notamment celui du fameux sultan de Mysore, Tipû Sahib, exercé des commandements à la fois militaires et civils et amassé une fortune non négligeable.
De retour à Londres, alors qu’il patiente dans l’antichambre du ministre de la Guerre, il rencontre celui qui est déjà l’orgueil de la nation, le vice-amiral Horatio Nelson. Celui-ci a traqué les vaisseaux français dans toute la Méditerranée et s’apprête à repartir sur les mers. Sept semaines plus tard, il est victime d’une balle française alors qu’il vient de remporter la bataille de Trafalgar. Wellesley est quant à lui envoyé en Allemagne puis il se met en congé de l’armée pour se lancer en politique. Il est élu aux Communes en janvier 1806, dans le camp des conservateurs, et repart pour Dublin en tant que secrétaire en chef pour l’Irlande, avant de reprendre sa carrière militaire.
En 1807, il participe à la seconde bataille de Copenhague et, l’année suivante, il est envoyé au Portugal, avec le titre de lieutenant général. Le temps de la guerre péninsulaire (Peninsular War) est arrivé.
Wellesley devient l’un des principaux acteurs de ces guerres de la péninsule ibérique, qui deviendront l’un des cauchemars de Napoléon, monopolisant des régiments qui auraient été bien utiles ailleurs et participant ainsi à sa défaite finale. Cette campagne d’Espagne est une succession de victoires et de défaites, d’avancées et de reculs, dans les deux camps. Toutefois, au bout de quelques années de combats, après avoir chassé les Français du Portugal, Wellesley parvient à les bouter également hors d’Espagne, et parmi eux Joseph Bonaparte, le frère ainé de l’Empereur, qu’il avait fait roi d’Espagne en 1808. Au fil de ses victoires contre Soult ou Masséna, le commandant en chef des armées coalisées (Royaume-Uni, Portugal, Espagne) reçoit de nombreux honneurs et gravit les échelons de l’aristocratie européenne : vicomte Wellington en 1809, comte puis marquis de Wellington en 1812, et finalement duc de Wellington le 3 mai 1814, sans citer ses nombreux titres de noblesse étrangers. A cette date, il avait déjà passé les Pyrénées et définitivement vaincu les armées du maréchal Soult à la bataille de Toulouse (30 avril 1814).
Après l’abdication de l’Empereur et son départ pour l’île d’Elbe, ses triomphes et son expérience politique et administrative lui permettent d’être nommé ambassadeur du Royaume-Uni auprès du nouveau roi de France, Louis XVIII, qui vivait en exil en Angleterre depuis plusieurs années. Puis il devient le représentant de son pays au congrès de Vienne. Peut-être parce qu’il a peu combattu en Europe centrale et orientale, il est l’un des rares partisans du maintien de la France au rang de grande puissance : son ennemi, c’était Napoléon, pas la France. Mais ce dernier n’a pas dit son dernier mot. Le 26 février 1815, il s’évade de son exil méditerranéen et débarque en France quelques jours plus tard. C’est le début des Cent-Jours, qui voient la fuite de Louis XVIII et la renaissance de l’Empire. Quelques mois plus tard, c’est la défaite finale pour le Corse et la gloire pour l’Anglais. Wellington quitte Vienne pour prendre le commandement en chef d’une partie des troupes alliées en Belgique, le Prussien Blücher commandant le reste. La bataille de Waterloo se déroule le 18 juin 1815.
S’il est évident que la gloire du vaincu rejaillit sur celle du vainqueur, on peut se demander ce qu’un héros peut bien devenir après une telle victoire, l’un des épisodes les plus importants des histoires anglaises et européennes. Le duc ne se limite pas à recevoir honneurs et cadeaux, d’ailleurs fort nombreux. Il se lance en politique. Après avoir été brièvement commandant en chef des forces armées (comme le duc de Marlborough, auquel on le compare souvent), il devient Premier ministre en 1828, brièvement également, et occupe ensuite plusieurs postes ministériels. Il redevient commandant en chef des forces armées en 1842, mais cette fois pour dix ans, jusqu’à sa mort, le 14 septembre 1852, à l’âge de 83 ans. Son meilleur ennemi était mort une trentaine d’années plus tôt, le 5 mai 1821.
Sur ce tableau, Wellington est vêtu de l’uniforme de feld-maréchal, le plus haut grade de l’armée britannique, qui n’est attribué qu’en période de guerre. Au cou, il porte le collier de l’ordre de la Jarretière, avec la figure de saint Georges terrassant le dragon en pendentif. Il en est devenu membre le 4 mars 1813. Juste au-dessus, on devine les insignes de l’ordre de la Toison d’or, conféré par le roi d’Espagne le 7 août 1812, ainsi que d’autres décorations, peut-être la grand-croix de l’ordre portugais de la Tour et de l’Epée (18 octobre 1811) et celle de l’ordre autrichien de Marie-Thérèse (4 mars 1814). Debout sous un arc de triomphe, symbole du général victorieux, il brandit l’épée d’Etat (Sword of State), symbole de l’autorité royale de son souverain. A gauche, on devine son bâton de maréchal, ainsi qu’une lettre portant le sceau du Prince Régent : par cette lettre, le futur Georges IV lui annonçait sa promotion au grade de feld-maréchal et la gratitude de la Couronne. En arrière-plan, on voit la cathédrale Saint-Paul de Londres où, le 7 juillet 1814, il tint le premier rôle au cours d’un service d’action de grâce donné pour célébrer la défaite (temporaire) de Napoléon Ier. Paradoxalement, c’est donc bien le vainqueur de la Peninsular War qui est représenté dans la Waterloo Chamber, et pas encore le vainqueur de Waterloo !


– 23 –
Ghebard Leberecht von Blücher
(1742-1819)

Field-Marshal Gebhardt von Blücher (1742-1819)
Sir Thomas Lawrence, 1814
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405148

Comme cela a été dit dans l’article précédent, Blücher est l’autre grand vainqueur de Napoléon avec Wellington. On l’oublie souvent, tout comme son parcours atypique.
Gebhardt Leberecht von Blücher est né le 16 décembre 1742 dans le duché de Mecklembourg-Schwerin, un Etat du Saint Empire romain germanique situé aux confins des zones d’influence de la Suède et de la Prusse. Pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763), le jeune Blücher sert d’abord dans un régiment de hussards suédois. Lors de la campagne de Poméranie (1760), il est fait prisonnier par les Prussiens et incorporé de force dans les armées de Frédéric le Grand, qu’il quitte en 1773, avant d’y être rappelé par Frédéric-Guillaume III en 1786. Devenu lieutenant général et commandant des hussards rouges, il participe aux guerres successives de la Prusse contre les armées de la France révolutionnaire, du Directoire, du Consulat et de l’Empire.
En 1813, le roi de Prusse lui confie le commandement des troupes pendant la campagne d’Allemagne. La bataille de Leipzig (15-19 octobre 1813) lui vaut le grade de feld-maréchal. Vient ensuite la campagne de France, où il est battu à Brienne (29 janvier 1814), mais victorieux à La Rothière (1er février) et à Laon (9-10 mars). Il est alors fait prince de Wahlstatt. Le 30 mars 1814, il est le commandant en titre des forces prusso-russes lors de la bataille de Paris.
Après avoir participé au congrès de Vienne, il retrouve son commandement pendant la campagne de Belgique, après le retour de Napoléon de l’île d’Elbe. Alors qu’il est vaincu par Napoléon à Ligny, le 16 juin 1815, il parvient à sauver 34 000 hommes ; ces mêmes 34 000 hommes qui arriveront au bon moment, deux jours plus tard, pour déterminer l’issue de la bataille de Waterloo, en l’occurrence la défaite de l’Empereur et la victoire de Wellington et Blücher. Quelques jours plus tard, il entre à nouveau dans Paris. Couvert de gloire et d’honneurs, il meurt le 12 septembre 1819 en Silésie.
C’est pendant le congrès de Vienne que Thomas Lawrence commence ce portrait de Blücher, portant l’uniforme de feld-maréchal des armées prussiennes et les nombreuses décorations européennes qui lui avaient été accordées (Aigle Noir de Prusse, Croix de Fer de Prusse, ordre de Marie-Thérèse d’Autriche, ordre de Saint-Georges de Russie). Il est représenté en posture de commandement, sur le champ de bataille, à proximité d’un uhlan.


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Sir William Congreve
(1742-1814)

Sir William Congreve (1742-1814)
James Lonsdale, vers 1805-1810
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405149

Si le portrait de Congreve n’a rejoint la Waterloo Chamber qu’en 1878, on peut dire qu’il a eu un rôle déterminant dans la victoire finale contre l’Empereur.
Né le 4 juillet 1742 à Stafford, il devient en 1778 superintendant des machines militaires. C’est en effet un scientifique autant qu’un militaire, puisqu’il a rejoint les rangs de l’artillerie. En 1789, il devient contrôleur du laboratoire de Woolwich. Rappelons que, bien plus tard, le Prince Impérial, fils de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie, deviendra lui aussi un artilleur, après avoir étudié à l’Académie royale de Woolwich, au temps de l’exil de la famille impériale à Londres. Pour revenir à Congreve, disons qu’il améliore considérablement la qualité de la poudre à mousquet et à canon, participant ainsi à la supériorité des armées et de la flotte britanniques au cours du XIXe siècle.
Elevé au rang de baronnet le 7 décembre 1812, sir William Congreve meurt deux ans plus tard, le 30 avril 1814. Son fils, sir William Congreve (1772-1828), lui succède à Woolwich.
Commandé par le Prince Régent à James Lonsdale (1777-1839), un élève de George Romney, ce tableau est à Carlton House en 1816, avant d’être envoyé au château de Windsor en 1828. Il est alors placé dans le Grand corridor qui dessert les appartements privés des ailes Sud et Est. Il porte ici son uniforme de colonel commandant de l’artillerie royale.


En bas, de gauche à droite

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Wilhelm, baron von Humboldt
(1767-1835)

Charles William, Baron von Humboldt (1767-1835)
Sir Thomas Lawrence, avant 1835
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404936

Aussi brillant et presque aussi connu que son frère, le naturaliste, géographe et explorateur Alexandre von Humboldt (1769-1859), le baron Wilhelm von Humboldt est à la fois philosophe, pédagogue et linguiste, mais aussi fonctionnaire, diplomate et ministre : en résumé, un grand serviteur de l’Etat prussien.
Né le 22 juin 1767 à Postdam, il est le fils d’un chambellan au service de Frédéric le Grand. Il étudie brièvement à l’université brandebourgeoise de Francfort, puis à l’université de Göttingen, comme plusieurs des fils de Georges III. A partir de 1789, il alterne les voyages personnels en Europe (il vit à Paris sous le Directoire, de 1797 à 1799), les fonctions administratives (cour d’appel de Berlin en 1789) et gouvernementales (ministre de l’Education en 1809-1810), les missions diplomatiques (ministre plénipotentiaire à Rome en 1802, ambassadeur à Vienne en 1812, envoyé de Prusse à Londres en 1817-1818). En sa qualité de ministre de l’Education, il fonde en 1810 l’Alma Mater Berolinensis (aujourd’hui l’université Humboldt de Berlin). Il est aussi, avec Hardenberg (personnage n° 31), le représentant de la Prusse au congrès de Vienne. A la différence des Britanniques, représentés par Castlereagh puis Wellington, il est l’un des partisans d’une ligne dure contre la France vaincue. Par ses travaux intellectuels, il est considéré comme l’un des grands penseurs de son temps, notamment dans le domaine de l’éducation. Il est donc devenu membre de multiples sociétés savantes en Europe (notamment l’Académie des inscriptions et belles-lettres en France), mais aussi de l’Académie américaine des sciences et des arts. Il meurt dans le château familial de Berlin, le 8 avril 1835, à l’âge de 67 ans.
Commandé par Georges IV lors d’un passage de Humboldt à Londres, en 1828, ce tableau est achevé par Richard Evans, puisque sir Thomas Lawrence n’a peint que le visage du savant lorsqu’il meurt en 1830. A la différence des autres personnages de cette galerie, il ne porte aucune décoration ni aucun attribut de ses fonctions administratives, diplomatiques ou politiques. Il faut dire qu’en 1828, Humboldt s’était retiré de la vie publique, afin de marquer son désaccord avec la politique réactionnaire du gouvernement prussien. Il est donc représenté en simple particulier, malgré l’immense importance de son œuvre.


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George Canning
(1770-1827)

George Canning (1770-1827) 
d’après Sir Thomas Lawrence, vers 1830-35
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404937

George Canning est assez mal parti dans la vie. Se décrivant comme « un Irlandais né à Londres » (le 11 avril 1770), il est le fils d’une actrice et d’un marchand de vin, ayant fait faillite et mort dans la misère. Toutefois, le garçon semble très intelligent et il est recueilli par le frère de son père, un prospère marchand londonien, qui le fait étudier à Eton et à Oxford. Peut-être cet oncle le regretta-t-il d’ailleurs : partisan des whigs, il introduit son neveu parmi les ténors du parti, mais le jeune George préfère se lancer en politique du côté des tories. En 1793, à l’âge de 23 ans, il est élu à la Chambre des communes et devient l’un des principaux partisans de Pitt le Jeune. Dans les années qui suivent, il occupe de nombreuses fonctions gouvernementales, jusqu’à devenir secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères dans le gouvernement de lord Portland (1807-1809). C’est en cette qualité qu’il est impliqué dans la lutte contre l’Empereur. Partisan de la guerre à outrance, il est l’un des responsables de la bataille de Copenhague (1807) et de la prise de la flotte danoise. Il organise également la fuite de la famille royale portugaise vers le Brésil, afin qu’elle ne se retrouve pas prisonnière des armées napoléoniennes. En 1809, après la démission de Portland, il espère devenir Premier ministre, mais le roi choisit Spencer Perceval.
Après avoir été ambassadeur à Lisbonne en 1814-1815, puis président du conseil de contrôle de la Compagnie des Indes orientales en 1816-1820, il redevient secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères de 1822 à 1827. Il est finalement choisi comme Premier ministre le 12 avril 1827, mais il meurt le 8 août suivant, au bout de 119 jours, ce qui est le plus court mandat d’un chef de gouvernement britannique. En dehors de la lutte contre Napoléon, il a été très impliqué dans la question de l’esclavage (il était favorable à l’esclavage) et dans celle des catholiques irlandais (il était favorable à leur émancipation).
Canning n’était pas spécialement proche de Georges IV (il prit parti pour la reine Caroline) et c’est donc Guillaume IV qui commanda ce portrait.


– 27 –
Henry, comte Bathurst
(1762-1834)

Henry, 3rd Earl Bathurst (1762-1834) 
Sir Thomas Lawrence, 1818-1823
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404938

Comme le précédent, Henry Bathurst étudie à Eton et Oxford, mais lui est issu de l’aristocratie. Son père, le 2e comte Bathurst et 1er baron Apsley, est un politicien et un éminent juriste, qui accède aux fonctions de lord grand chancelier du royaume et de lord président du conseil. Le fils, après ses études, part faire son Grand tour sur le continent, en Suisse, en Italie et en France. En 1783, il rentre à Londres et est élu à la Chambre des communes, à l’âge de 21 ans (il est né le 22 mai 1762). Comme Canning, il devient l’un des plus fervents partisans de William Pitt le Jeune, qu’il accompagne pendant toute sa carrière. En 1804, ce dernier fait de lui le maître de la Monnaie (Master of the Mint), puis le président du conseil du commerce en 1807. C’est donc à lui que revient la charge de gérer les conséquences du Blocus continental imposé par l’Empereur à l’ensemble de ses alliés, afin de battre le Royaume-Uni sur le terrain économique, à défaut de pouvoir le faire par la force armée. En 1812, il continue la lutte contre Napoléon en devenant secrétaire d’Etat à la Guerre et aux Colonies. A ce poste, il soutient l’effort de guerre britannique dans la péninsule ibérique, en s’appuyant sur son allié et ami, le duc de Wellington. Il participe donc ainsi pleinement à la chute de l’Empereur, y compris à l’occasion de la bataille de Waterloo, puisqu’il conserve son portefeuille pendant une quinzaine d’années, jusqu’en 1827. L’année suivante, comme son père autrefois, il devient le lord président du conseil. Il meurt à Londres, le 27 juillet 1834, à l’âge de 72 ans. Il était devenu le 3e comte Bathurst en 1794.
Sur le portrait peint par Lawrence entre 1818 et 1823, il porte l’étoile de la Jarretière à la poitrine. On devine aussi la jarretière à son mollet. Il avait rejoint l’ordre de chevalerie le plus prestigieux de la monarchie britannique en 1817.
Pour l’anecdote, rappelons que, dans les années 1770, son père, le 1er baron Apsley, avait fait construire par Robert Adam une belle demeure néoclassique à l’angle de Hyde Park, presque en face de Buckingham House. Apsley House fut rachetée par Richard Wellesley en 1807, puis par le frère de ce dernier, Arthur Wellesley, duc de Wellington, en 1817. C’est là que se trouve, encore aujourd’hui, l’une des plus prestigieuses collections en lien avec Napoléon en dehors de France.


– 28 –
Ernst Friedrich, comte de Münster
(1766-1839)

Ernest Frederick, Count Münster (1766-1839) 
Sir Thomas Lawrence, avant 1830
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404939

Fils du maréchal de la cour du prince-évêque d’Osnabrück, Ernst Friedrich zu Münster est né le 1er mars 1766 dans ce petit Etat souverain du Saint Empire romain germanique. Il étudie lui aussi à l’université de Göttingen, avec les trois plus jeunes fils du roi Georges III. Cette proximité avec les rejetons royaux lui permet d’entrer dans l’administration du duché de Brunswick-Lunebourg (le Hanovre) et de se voir attribuer une mission très spéciale. En 1793, le roi l’envoie à Rome pour ramener son benjamin, le prince Auguste Frédéric. Celui-ci a profité d’un séjour en Italie pour convoler en secret avec une jeune aristocrate britannique, lady Augusta Murray, fille du comte de Dunmore. Or ce mariage est doublement illégal, puisqu’il n’a pas été approuvé par le roi et qu’il a été célébré en territoire catholique. Une fois sa mission remplie, Münster rentre au Hanovre.
Quelques années plus tard, en 1805, alors que Napoléon intervient déjà pleinement en Allemagne, Ernst Friedrich est nommé ministre des Affaires du Hanovre à Londres, c’est-à-dire qu’il sert de relais entre le conseil privé du Hanovre, qui administre l’Etat sur place, et le souverain du Hanovre, qui est par ailleurs roi du Royaume-Uni. C’est une véritable promotion, puisqu’il est désormais en contact direct avec Georges III, puis le Prince Régent.
Dix ans plus tard, il représente le Hanovre au congrès de Vienne et c’est lui qui négocie la transformation du duché de Brunswick-Lunebourg en royaume de Hanovre. Il conserve ses fonctions jusqu’en 1831 et meurt le 20 mai 1839, à l’âge de 73 ans.


Du côté de la salle Saint-Georges

De gauche à droite, y compris les tableaux du haut

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Henry Paget, comte d’Uxbridge et marquis d’Anglesey
(1768-1854)

Henry Paget (1768-1854), 2nd Earl of Uxbridge and 1st Marquess of Anglesey
Sir Martin Archer Shee, 1836
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 401453

Le dernier Britannique de ce parcours est un personnage haut en couleur ! C’est le moins que l’on puisse dire…
Il naît à Londres le 17 février 1768 sous le nom de Henry William Bayley. L’année suivante, son père hérite de la baronnie de son beau-père et prend son nom de famille : Paget. Puis, en 1784, il hérite à nouveau d’un lointain parent de sa femme et devient à la fois 1er comte d’Uxbridge (nouvelle création) et à la tête d’une belle fortune. Ce changement de situation permet à Henry d’étudier à la Westminster School, puis à Christ Church, l’un des plus prestigieux établissements d’Oxford.
En 1790, à l’âge de 22 ans, il est élu à la Chambre des communes et, trois ans plus tard, s’engage dans l’armée britannique. Il sert brillamment dans la cavalerie, d’abord en Flandre (1794 et 1799), puis dans la première partie de la guerre péninsulaire, sous les ordres de sir John Moore. Il protège notamment la retraite vers La Corogne en 1809. Cette même année, il participe à la piteuse expédition de Walcheren, dans le royaume de Hollande où règne alors Louis Bonaparte.
C’est à peu près à ce moment-là que sa vie personnelle bascule. Henry Paget, marié à lady Caroline, devient l’amant de lady Charlotte Wellesley, la belle-sœur du futur duc de Wellington, épouse de son plus jeune frère, Henry. Cette liaison entraîne un immense scandale dans la bonne société britannique, mais aussi parmi le peuple. Tous les ingrédients du vaudeville sont réunis : promenades coquines dans Green Park, fuite, duel, double divorce, mariage des amants. Si la toute nouvelle lady Charlotte Paget n’est pas reçu dans le monde, lord Paget peut compter sur le soutien du Prince Régent, pour continuer sa brillante carrière militaire. Comme on le sait, le futur Georges IV connait lui aussi quelques démêlés conjugaux avec son épouse, Caroline de Brunswick, et il aurait été malvenu qu’il juge le valeureux officier sur des affaires de mœurs.
C’est donc à la plus grande surprise de l’armée que le duc de Wellington doit accepter Paget, devenu 2e comte d’Uxbridge en 1812, comme commandant de la cavalerie alliée (britannique, belge et hollandaise) pendant la campagne de Belgique. Malgré l’affront fait à son frère, Wellesley accueille Paget froidement, mais poliment. Il sait qu’il peut compter sur ses compétences militaires. Effectivement, il brille à la bataille des Quatre-Bras, même si c’est une défaite pour les Alliés. Il brille tout autant pendant la bataille de Waterloo, deux jours plus tard, le 18 juin 1815. Toutefois, il est sévèrement blessé à la fin de la bataille et doit être amputé d’une jambe. Quelques années plus tard, il viendra se recueillir devant la tombe de son membre perdu ! Grâce à l’amitié du Prince Régent, cette perte est vite remplacée par deux gains : le titre de 1er marquis d’Anglesey et… la Jarretière, ce qui peut paraître un peu cruel pour quelqu’un qui a perdu une jambe ! Heureusement, la Jarretière se porte sur le mollet gauche et Paget a perdu la jambe droite.
Loin des champs de bataille, Henry « One-Leg » Paget continue une brillante carrière. En 1828, lorsque Wellington devient Premier ministre, il fait de lui son lord lieutenant d’Irlande, ce qui démontre l’absence de rancune du vainqueur de Waterloo. Puis, en 1846, après être devenu commandant en chef des forces britanniques pour la seconde fois, il fait promouvoir Anglesey au rang de feld-maréchal, à l’âge de 78 ans. Six ans plus tard, en 1852, Paget suit le cercueil de Wellington lors de ses grandioses funérailles, portant le bâton de maréchal du vainqueur de Napoléon. Il meurt deux ans plus tard, le 29 avril 1854.
Ce tableau du marquis d’Anglesey, en grand uniforme de hussard, est peint en 1836 par sir Martin Archer Shee, un peintre irlandais. Protégé du duc de Clarence, il reçoit de nombreuses commandes lorsque celui-ci devient le roi Guillaume IV et, grâce au soutien royal, succède à sir Thomas Lawrence comme président de la Royal Academy of Arts (1830-1850). C’est Guillaume IV qui commande ce portrait.


– 30 –
Ercole, cardinal Consalvi
(1757-1824)

Ercole, Cardinal Consalvi (1757-1824)
Sir Thomas Lawrence, 1819
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404940

Ce personnage, comme le pape Pie VII (personnage n°37), nous rappelle que la papauté a été l’une des puissances les plus concernées par la politique de Bonaparte. On peut d’ailleurs ouvrir une parenthèse, ici, pour s’étonner que la Waterloo Chamber ne fasse référence ni aux autres résistants italiens de l’Empereur (les Bourbons de Naples, réfugiés en Sicile, dont on parle souvent ; les Savoie, réfugiés en Sardaigne, dont on parle rarement ; les Vénitiens, et bien d’autres), ni aux Portugais et aux Espagnols qui, avec le soutien britannique, ont largement contribué à la défaite de Napoléon).
Ercole Consalvi est né le 8 juin 1757 à Rome. Jeune séminariste, il est repéré par le cardinal d’York, Henri Benoît Stuart (1725-1807), petit-fils de Jacques II et considéré comme le prétendant jacobite à partir de 1788, après la mort de son frère aîné, le fameux Bonnie Prince Charlie. Grâce à ce soutien, Ercole peut rejoindre l’Académie des nobles ecclésiastiques (actuelle Académie pontificale ecclésiastique), la plus ancienne école diplomatique du monde, ce qui lui sera fort utile pour la suite de sa carrière. En 1783, il devient chambellan au sein de la Curie romaine, puis multiplie les fonctions prestigieuses dans le gouvernement du Saint-Siège et des Etats pontificaux. Notamment chargé de lutter contre la poussée révolutionnaire à Rome, il est enfermé au château Saint-Ange par Berthier après la première entrée des Français dans la Ville éternelle (15 février 1798). Libéré, il est contraint à l’exil. Il se réfugie d’abord à Naples, puis à Venise. Là, il est désigné pour être le secrétaire du conclave, ouvert le 1er décembre 1799. Il rallie suffisamment de cardinaux pour faire élire le cardinal Chiaramonti, évêque d’Imola, qui devient Pie VII le 14 mars 1800. Quelques mois plus tard, le nouveau pape fait de lui un cardinal et surtout son secrétaire d’Etat. Il est donc en charge du gouvernement et de la diplomatie vaticanes, rude tâche en cette période plus que troublée pour le sort des catholiques en Europe et le pouvoir temporel du Saint-Père en Italie. A ces fonctions, il mène une politique d’apaisement avec le Premier consul, signe le Concordat avec la République française et la République cisalpine, et parvient à convaincre le pape de partir à Paris pour couronner Napoléon. Néanmoins, le nouvel empereur se méfie de lui et son oncle, le cardinal Fesch, demande son renvoi au Souverain Pontife : il doit quitter ses fonctions le 17 juin 1806.
Malgré tout, c’est à Paris qu’il se retire lorsque les Français envahissent à nouveau Rome, en 1809. Mais il continue à résister à l’Empereur et refuse d’assister au mariage de Napoléon et Marie-Louise, puisque le pape n’a pas encore statué sur la validité de ce mariage, ou plutôt sur l’invalidité de l’union avec Joséphine. Il est exilé à Reims en 1810, puis rejoint le pape prisonnier au château de Fontainebleau. Finalement, après la première abdication, il peut rentrer à Rome avec son maître, qui le nomme à nouveau secrétaire d’Etat. C’est en cette qualité qu’il représente le Saint-Siège au congrès de Vienne et négocie le retour des Etats pontificaux à leurs frontières d’avant la Révolution, à l’exception d’Avignon et du Comtat Venaissin, qui sont conservés par la France. Il quitte ses fonctions en 1823, à la mort de son protecteur. Il meurt quelques mois plus tard, le 24 janvier 1824. Son cœur est placé dans le Panthéon, à proximité de la tombe du grand Raphaël.
Sur le tableau de sir Thomas Lawrence, peint à Rome en 1819, on aperçoit la façade de Saint-Pierre.


– 31 –
Charles Auguste, prince von Hardenberg
(1750-1822)

Charles Augustus, Prince Hardenberg (1750-1822)
Sir Thomas Lawrence, avant 1830
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404941

On aborde ici un autre ennemi intime de Napoléon, qui le déteste, mais aussi un grand serviteur de l’Etat, ou plutôt des Etats, puisqu’il change plusieurs fois d’allégeance.
Né le 31 mai 1750, il est le fils d’un colonel de l’armée du Hanovre. Assez logiquement, il fait ses études à l’université de Göttingen et, en 1770, entre dans l’administration de la principauté allemande du roi Georges III. Sa carrière est interrompue, pendant deux ans, par un Grand tour européen qui le conduit dans plusieurs villes du Saint Empire romain germanique, mais aussi en France, au Pays-Bas et en Grande-Bretagne. En 1773, il est de retour dans l’administration du duché de Brunswick-Lunebourg, le nom officiel du Hanovre, comme nous l’avons déjà expliqué. En 1780, il est à Londres pour proposer une réforme de l’administration à son souverain. Mais la liaison de sa femme avec le prince de Galles engendre un tel scandale qu’il doit démissionner.
En 1782, il passe donc au service de la branche cadette des Brunswick et devient le conseiller du duc de Brunswick-Wolfenbüttel (le père de Frédéric-Guillaume, personnage n° 15, et de la princesse Caroline, épouse du prince de Galles, futur Georges IV, personnage n° 16). Mais encore une fois, des problèmes matrimoniaux le poussent à quitter ses fonctions.
En 1790, il devient ministre du margrave d’Ansbach-Bayreuth. Mais, dès l’année suivante, ce dernier vent ses principautés au roi de Prusse. Hardenberg entre alors dans l’administration du puissant royaume. Il occupe des fonctions de plus en plus importantes, jusqu’à devenir ministre des Affaires étrangères le 14 avril 1804. C’est en cette qualité qu’il prône un rapprochement avec Napoléon, déjà bien implanté en Allemagne. Pourtant, Napoléon le déteste et le renvoi d’Hardenberg est stipulé dans le traité de Schönbrunn (1805) et dans celui de Tilsit (1807). Malgré tout, devenu indispensable, il est finalement promu chancelier de Prusse en 1810. Avec l’appui politique de la reine Louise, il entreprend une profonde réforme du royaume et de ses satellites, tout en poussant Frédéric-Guillaume à déclarer la guerre à l’Empereur. C’est chose faite après l’échec de la campagne de Russie. Hardenberg peut triompher ! Il accompagne les souverains alliés à Paris, puis à Londres et enfin à Vienne, où il conduit la délégation prussienne au congrès. Pourtant, il ne parvient à imposer ni l’annexion de la Saxe par la Prusse, ni le démantèlement de la France. L’influence d’Hardenberg commence à décliner, surtout face à la puissance de Metternich. Ainsi, c’est à nouveau l’Autriche qui se voit attribuer le premier rôle dans la nouvelle Confédération germanique. Il conserve toutefois ses fonctions et représente la Prusse aux congrès suivants : Aix-la-Chapelle en 1818, Troppau en 1820, Laibach en 1821 et Vérone en 1822. C’est en marge du congrès de Vérone qu’il meurt, le 26 novembre 1822, à Gênes.


– 32 –
Alexandre Ier, empereur de Russie
(1777-1825)

Alexander I, Emperor of Russia (1777-1825)
Sir Thomas Lawrence, 1814-1818
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404942

Si Wellington et Blücher ont porté le coup de grâce à Napoléon le 18 juin 1815, on peut considérer que ce sont la résistance des Portugais et des Espagnols d’un côté, la résistance des Russes de l’autre, qui ont préparé, à terme, la chute de l’Empereur. Alexandre Ier est donc à placer parmi ceux qui ont fait tomber l’ « Ogre corse ». Pourtant, comme les deux souverains suivants dans ce parcours, il n’a pas toujours été l’ennemi de la France.
Alexandre Pavlovitch est né le 12 décembre 1777 à Saint-Pétersbourg. C’est alors sa grand-mère, l’impératrice Catherine II, qui règne sur la Russie, en despote éclairée. Si elle est sensible aux idées des Lumières, elle s’oppose à la Révolution, mais n’intervient pas dans les premières guerres européennes. Tout de suite après sa mort, en 1796, son fils, l’empereur Paul Ier, rompt avec la politique plus ou moins libérale de sa mère et applique ses idées conservatrices, pour ne pas dire réactionnaires, sous l’influence de la Prusse. Avec le Royaume-Uni, l’Autriche, la Turquie, le royaume de Naples et la Suède, la Russie forme la deuxième coalition en 1798. Ainsi, les Russes se battent en Méditerranée (libération des îles Ioniennes, voir Capo d’Istria, personnage n°6), aux Pays-Bas autrichiens, en Suisse, en Italie. Mais le tsar est de caractère instable et, estimant que les Autrichiens et les Britanniques n’ont pas suffisamment soutenu ses troupes, il décide de faire la paix avec le Premier consul et de former une Ligue des Neutres. Son caractère instable est surtout perceptible en politique intérieure, où il prend des mesures qui n’ont souvent aucun sens. On connait la suite : alors qu’il vivait enfermé dans un véritable coffre-fort en plein cœur de Saint-Pétersbourg, il est assassiné le 24 mars 1801 par des proches. C’est son fils aîné qui lui succède sous le nom d’Alexandre Ier.
Celui-ci a eu une enfance assez compliquée, coincé entre sa grand-mère et son père, qui se détestent. Il a été élevé par la première dans l’esprit des Lumières : elle l’a même confié aux soins d’un précepteur républicain. Elle aurait voulu faire de son cher petit-fils son héritier, mais c’est finalement Paul qui lui succède. On sait que le grand-duc Alexandre était au courant du coup d’Etat qui se tramait en 1801, mais on n’est pas sûr qu’il savait que la vie de son père était menacée. Il semble qu’il ait toujours porté le poids moral de ce péché originel, fondateur de son règne.
Au départ, le jeune empereur libéral ne souhaite pas se mêler des guerres européennes. On dit que c’est l’exécution du duc d’Enghien qui le pousse dans le camp des ennemis de Napoléon. S’il n’aime pas particulièrement les Bourbons, il les a plus ou moins côtoyés lorsqu’ils vivaient en exil en Courlande, sous la protection de son père (et à ses frais). En 1805 donc, il rejoint la troisième coalition. Il est battu à Austerlitz avec ses alliés autrichiens. Deux ans plus tard, dans le cadre de la quatrième coalition, il est défait à Eylau et Friedland, et contraint de négocier avec l’Empereur lors de la fameuse entrevue de Tilsit (7 juillet 1807). En vertu de ce traité, il s’abstient de participer à la cinquième coalition, mais prépare sa revanche. Il rompt avec Napoléon en rétablissant des liens économiques avec le Royaume-Uni, allant ainsi contre le Blocus continental imposé par l’empereur des Français, et en s’opposant à sa politique en Pologne. La réponse de Napoléon ne se fait pas attendre : c’est la campagne de Russie. Malgré les hésitations du tsar quant à la stratégie à tenir (guerre défensive avec politique de la terre brûlée préconisée par Barclay de Tolly ou guerre offensive conseillée par Koutouzov), c’est un désastre pour Napoléon. Alexandre Ier prend la tête de ses armées, à la poursuite des Français, et se pose comme le libérateur des peuples allemands. Si, à travers la guerre patriotique (version russe de la campagne de Russie), on peut le considérer comme l’un de ceux qui ont vaincu Napoléon, il semble n’en vouloir ni à sa famille, ni au peuple français. On sait que les « barbares » russes se comportent de manière extrêmement civilisée après la prise de Paris et qu’Alexandre prend sous sa protection l’impératrice Joséphine (elle conserve ce titre après l’annulation du mariage), ses enfants Eugène et Hortense (que Napoléon avait adoptés), et les fils de celle-ci (notamment le futur Napoléon III). L’année suivante, il participe en personne au congrès de Vienne et s’oppose aux projets de démantèlement de la France souhaités par la Prusse. Il y met aussi en place la Sainte-Alliance, union des puissances européennes (et de leurs dynasties) pour la préservation des valeurs prérévolutionnaires (et de ces mêmes dynasties).
Pendant les années suivantes, il tombe de plus en plus dans le mysticisme et abandonne l’exercice du pouvoir à ses conseillers. En 1825, le 1er décembre, il meurt à Taganrog, dans le Caucase, au bord de la mer d’Azov. Mais bientôt, des rumeurs prétendent que l’empereur a simulé sa mort et qu’il vit sous l’identité d’un moine. Le mystère demeure.
En 1814, après la bataille de Paris, Alexandre s’était rendu à Londres avec son auguste collègue prussien. C’est à cette occasion que Thomas Lawrence avait commencé à peindre ce portrait. Il l’acheva quatre ans plus tard, lors du congrès d’Aix-la-Chapelle. Son travail donna lieu à un quiproquo : il avait décidé de modifier la pose du souverain sur le tableau et celui-ci se vit donc avec quatre jambes ! Tout rentra bientôt en ordre et Alexandre Ier put enfin se découvrir dans toute sa dignité, portant son uniforme de feld-maréchal de l’armée russe et arborant de nombreuses décorations européennes.


– 33 –
François Ier, empereur d’Autriche
(1768-1835)

Francis I, Emperor of Austria (1768-1835) 
Sir Thomas Lawrence, 1818-1819
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404943

Entouré par Alexandre Ier, empereur de Russie, et Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse, l’empereur d’Autriche fait face à Georges III, lui-même entouré de ses deux fils et successeurs, Georges IV et Guillaume IV. Peut-être à cause de la primauté ancestrale des souverains du Saint Empire romain germanique sur l’Europe, il occupe donc l’une des places d’honneur de la Waterloo Chamber.
Lorsqu’il naît à Florence le 12 février 1768, c’est Marie-Thérèse, sa grand-mère, qui règne sur les Etats héréditaires des Habsbourg (Autriche, Bohême, Hongrie, Croatie, etc.). Rappelons que celle-ci, parce qu’elle était une femme, n’avait pu succéder à son père comme souverain du Saint Empire romain germanique et que c’est donc son mari, François-Etienne de Lorraine, qui était devenu l’empereur François Ier en 1745. A la mort de ce dernier, en 1765, c’est leur fils aîné, Joseph, qui avait officiellement succédé à son père comme empereur des Romains, sous le nom de Joseph II, mais Marie-Thérèse avait conservé sa souveraineté sur le patrimoine territorial des Habsbourg. Quant à Léopold, le troisième fils (le deuxième était mort à l’âge de 15 ans), il avait été envoyé en 1765 à Florence, pour succéder à son père comme grand-duc de Toscane. Lorsqu’il avait été contraint par Louis XV d’abandonner son duché de Lorraine à Stanislas Leszczynski, François Ier avait en effet reçu en dédommagement la souveraineté sur la Toscane, à la mort du dernier des Médicis. C’est donc bien à Florence qu’est né le François représenté sur ce tableau. Il était le fils aîné de Léopold et l’aîné des petits-fils de Marie-Thérèse.
En 1780, à la mort de la glorieuse impératrice, l’oncle Joseph devient pleinement le chef de la Maison des Habsbourg, cumulant désormais le titre d’empereur et la souveraineté sur les Etats héréditaires. Mais il meurt dix ans plus tard, sans enfant. En 1790, Léopold, le père de François, rentre donc à Vienne, avec sa famille, pour devenir Léopold II. Le jeune François devient l’héritier du trône des Habsbourg, tandis que son jeune frère, Ferdinand, succède à leur père comme grand-duc de Toscane. Mais, comme on le sait, la Révolution française est passée par là et la situation géopolitique de l’Europe a bien changé. Malgré la déclaration de Pillnitz (27 août 1791), cosignée avec Frédéric-Guillaume II de Prusse, Léopold souhaite éviter une intervention militaire contre la France, où la position de sa sœur, la reine Marie-Antoinette, est de plus en plus périlleuse. De toute façon, il n’aurait guère eu le temps de lancer ses armées contre la France révolutionnaire, puisqu’il meurt le 1er mars 1792. C’est alors que François lui succède, sous le nom de François II du Saint Empire, à l’âge de 24 ans.
Dès le 24 avril suivant, l’Assemblée nationale déclare la guerre au « roi de Bohême et de Hongrie ». Cinq ans plus tard, la première coalition est vaincue par la jeune République : c’est un nouveau venu, Napoléon Bonaparte, général en chef de l’armée française en Italie, qui impose à l’Autriche le traité de Campoformio, le 18 octobre 1797. La France récupère les Pays-Bas autrichiens, une partie de la rive gauche du Rhin et le duché de Milan. En échange, l’Autriche reçoit Venise et la Vénétie. La guerre de la deuxième coalition (1798-1802) est un nouvel échec pour François II. Le 11 août 1804, alors que le vent commence à tourner dans le Saint Empire, François II décide de se proclamer empereur héréditaire d’Autriche, sous le nom de François Ier. Il est donc à la fois François II du Saint Empire et François Ier d’Autriche. Trois mois plus tôt, le 18 mai, le Premier consul Bonaparte était devenu Napoléon Ier, empereur des Français, ou de la République française. A travers ce jeu de titre, on devine l’antagonisme personnel entre les deux hommes.
François n’est pas plus chanceux avec la troisième coalition : il est battu à Austerlitz, le 2 décembre 1805. Le traité de Presbourg (26 décembre 1805) préfigure la dissolution du Saint Empire et l’abdication de son souverain, le 6 août 1806. Il n’est donc plus que François Ier d’Autriche. Mais Napoléon n’en a pas encore fini avec lui !
S’il s’était tenu tranquille pendant la guerre de la quatrième coalition (1806-1807), François rejoint la cinquième coalition en 1809 et c’est à nouveau un échec pour lui, notamment à Wagram les 5 et 6 juillet. Par le traité de Schönbrunn du 14 octobre, l’Autriche et son souverain sont une nouvelle fois humiliés. Pire, François doit céder sa fille à l’ « Ogre corse » : le 11 mars 1810, l’archiduchesse Marie-Louise épouse Napoléon, par procuration, à Vienne. Le mariage est renouvelé en personne, civilement le 1er avril à Saint-Cloud et religieusement le 2 avril au Louvre. La fille de François devient l’impératrice des Français.
L’Autriche est cette fois muselée et des Autrichiens doivent combattre aux côtés des Français pendant la campagne de Russie. Mais la bataille de Borodino, la tragique retraite de Russie et la campagne d’Allemagne déclenchent un renversement général des alliances : la plupart des Etats vaincus et humiliés par Napoléon se retournent contre lui et marchent sur la France. L’Autriche, bien sûr, en fait partie. Le 31 mars 1814, l’empereur Alexandre Ier (personnage précédent) entre dans Paris, accompagné du roi de Prusse (personnage n° 35) et du prince de Schwarzenberg, qui représente l’empereur François Ier. Sa fille, l’impératrice Marie-Louise, se met sous sa protection, emmenant avec elle à Vienne le fils et héritier du vaincu, le petit roi de Rome. Après des années d’humiliation, l’empereur d’Autriche triomphe. Il triomphe d’autant plus que c’est sous ses auspices que se déroule le fameux congrès de Vienne, dans sa capitale plusieurs fois occupée par les Français. Grâce aux efforts de Metternich (personnage n°7), il parvient à conserver la primauté de l’Autriche dans la nouvelle Confédération germanique. Le nouvel équilibre des puissances et la Sainte-Alliance lui sont également favorables et la fin de son règne peut se dérouler dans une ambiance apaisée. Il meurt vingt ans après le congrès, le 2 mars 1835.


– 34 –
Alexandre Ivanovitch, prince Tchernychev
(1786-1857)

Alexander Ivanovich, Prince Chernyshev (1785/6-1857)
Sir Thomas Lawrence, 1818
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405150

Né le 10 janvier 1786 à Moscou, le prince Tchernychev est l’un des plus jeunes personnages de ce parcours (après Guillaume II, roi des Pays-Bas, né en 1792, et Léopold Ier, roi des Belges, né en 1790). Il est issu d’une grande famille de la noblesse russe, proche du pouvoir. Son grand-père, Grigori Petrovitch, était un ami de Pierre le Grand. Les trois fils de Grigori ont donc une carrière brillante, dans l’administration, la diplomatie et l’armée. Pierre Grigorievitch est ambassadeur à Copenhague, à Berlin, puis à Londres, et l’un des rédacteurs du traité d’Aix-la-Chapelle (celui de 1748). Zakhar Grigorievitch est quant à lui un valeureux officier. Catherine II en fait un maréchal et le président du conseil de guerre. Enfin, Ivan Grigorievitch est un mélange des deux, tour à tour ambassadeur à Londres, comme leur père, maréchal et même amiral, mais aussi sénateur.
Alexandre Ivanovitch est le fils de ce dernier. Proche compagnon de l’empereur Alexandre Ier, il sait profiter de cette amitié et de sa valeur militaire en ces temps belliqueux pour gravir les échelons, au sein de l’armée russe, qu’il s’agisse de la garde impériale ou des régiments de cosaques. Si, pendant de longues années, le Premier consul, puis l’Empereur, inflige de sérieuses défaites aux armées de la Russie et de ses alliés, Alexandre s’y conduit vaillamment et il est récompensé par de nombreuses décorations et de nombreuses promotions.
Puis vient le temps de Tilsit et de l’alliance des deux empereurs. En 1808, Tchernychev est envoyé comme représentant du tsar auprès de Napoléon Ier. Il gagne la confiance de ce dernier et reçoit la Légion d’honneur à Wagram. En 1810, il est nommé attaché militaire à Paris, ce qui signifie que, alors que la loyauté d’Alexandre Ier envers l’empereur des Français est chancelante, il est en fait le chef des espions russes en France. Il est l’un de ceux qui permettent à Jean-Baptiste Bernadotte de devenir le prince héritier de Suède.
Après le retournement de situation qu’est la campagne de Russie, il se retrouve du côté des vainqueurs. Il bat ainsi Eugène de Beauharnais à Marienwerder le 31 décembre 1812 et est le premier à entrer à Berlin pour libérer la ville, l’année suivante. Il brille également pendant la campagne de France. Promu lieutenant général par Alexandre Ier, il l’accompagne aux congrès de Vienne, Aix-la-Chapelle et Vérone.
Après la guerre, il continue de recevoir charges et honneurs de la part d’Alexandre Ier. Il est dans le Caucase lorsque celui-ci meurt et est présent lors de la signature de l’acte de décès de son ami. Il se rapproche alors du nouvel empereur, Nicolas Ier, le frère d’Alexandre.
Nicolas Ier fait de lui un comte en 1826, puis un prince en 1849. Le 26 août 1827, il devient ministre de la Guerre, et le restera pendant 25 ans, jusqu’à sa retraite, en 1852. Quatre ans plus tôt, en 1848, il était par ailleurs devenu président du Conseil d’Etat et du Cabinet des ministres. Il meurt aux environs de Naples, en Italie, le 20 juin 1857.


– 35 –
Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse
(1770-1840)

Frederick William III, King of Prussia (1770-1840)
Sir Thomas Lawrence, 1814-1818
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404944

Frédéric-Guillaume III peut paraître un peu oublié, aujourd’hui, parmi les souverains de ce parcours. Il faut dire qu’il est écrasé, dans l’histoire de la Prusse, d’un côté par son grand-oncle Frédéric II, de l’autre par son fils Guillaume Ier et le petit-fils de celui-ci, Guillaume II. Il est même éclipsé par le souvenir de son épouse, la reine Louise, l’âme de la résistance prussienne à Napoléon. Il faut dire que, comme le souverain Habsbourg, l’empereur des Français l’avait mis dans une situation bien compliquée à gérer.
Il est né le 3 août 1770, à Postdam, dans le fabuleux domaine de son grand-oncle, Frédéric le Grand, qui règne alors sur le royaume de Prusse. A la mort de celui-ci, en 1786, c’est le père de Frédéric-Guillaume qui succède au grand homme. C’est ce Frédéric-Guillaume II qui, en août 1791, publie avec l’empereur germanique la déclaration de Pillnitz, assurant Louis XVI et la reine Marie-Antoinette de leur soutien et menaçant la France révolutionnaire de nombreux tourments. Quand la guerre intervient, il conduit lui-même les troupes prussiennes pendant les campagnes de 1792 et 1793. Son jeune fils est à ses côtés, notamment au siège de Mayence (avril-juillet 1793). Il meurt le 16 novembre 1797, laissant ainsi le trône de Prusse à Frédéric-Guillaume III.
Comme nombre d’autres Etats souverains du Saint Empire romain germanique, ce qu’on désigne sous le nom de Prusse est un ensemble extrêmement morcelé sur tout le territoire du Saint Empire. Il s’agit des propriétés ancestrales des Hohenzollern, de celles acquises au fil des siècles au gré des mariages, des successions, des guerres, des traités. S’y ajoute, à l’Est, la marche de Brandebourg (autour de Berlin), tombée dans l’escarcelle des Hohenzollern en 1415. Encore plus à l’Est, il y a la Prusse. Il s’agit des anciens territoires des chevaliers teutoniques, dont le dernier grand-maître, un Hohenzollern, s’est emparé en passant à la Réforme. Il faut y ajouter les territoires pris à la Pologne lors des partages du XVIIIe siècle. Ce morcellement a un avantage stratégique, puisqu’il permet de stationner des troupes un peu partout sur le territoire germanique, et au-delà. Mais c’est aussi un sérieux inconvénient, puisque, lorsqu’un souverain français se met à rêver de conquérir l’Allemagne, il faut déplacer les troupes d’un point à l’autre des possessions prussiennes pour défendre des territoires, parfois minuscules, en traversant les territoires d’autres souverains pas toujours coopératifs. A cause de ce morcellement, la Prusse est encore, quelques décennies avant la proclamation de l’Empire allemand, une sorte de géant aux multiples pieds d’argile.
C’est sans doute pour cette raison que le nouveau roi de Prusse commence par mener une politique conciliante à l’égard du Premier consul, essayant, lorsque c’est possible, de conserver une neutralité, parfois de façade. Et puis, poussé par les Russes, Frédéric-Guillaume se rallie à la coalition. Mauvaise idée : ses troupes sont anéanties à Iéna et Auerstaedt (14 octobre 1806). Le roi de Prusse doit se réfugier dans ses Etats les plus orientaux et même au-delà, sous la protection d’Alexandre Ier. Mais celui-ci est également battu. A Tilsit, Napoléon Ier signe un premier traité avec la Russie le 7 juillet 1807 et un second avec la Prusse deux jours plus tard : le roi perd la moitié de son territoire, notamment toutes les possessions des Hohenzollern à l’ouest de l’Elbe, ainsi que les zones polonaises, et la moitié de ses 10 millions de sujets. C’est une catastrophe et une humiliation pour les Prussiens. Mais aussi une sorte d’électrochoc pour eux. C’est alors que la reine Louise (Louise de Mecklembourg-Strelitz, épousée en 1793 et qui meurt en 1810) devient l’âme de la résistance. Frédéric-Guillaume s’entoure de conseillers politiques, diplomatiques et militaires avisés, qui reconstituent l’armée et l’administration prussiennes.
Pendant la campagne de Russie, conformément aux traités, la Prusse est contrainte de marcher aux côtés de la Grande Armée. Mais, le 30 décembre 1812, le général prussien Yorck se retourne contre les troupes napoléoniennes, alors en pleine déroute hivernale. La Prusse rejoint ainsi les Coalisés, comme le font progressivement la plupart des souverains allemands. Le 31 mars 1814, Frédéric-Guillaume entre dans Paris avec Alexandre Ier et le représentant de l’empereur d’Autriche. Il est également présent à Vienne, où ses diplomates lui permettent de récupérer de vastes territoires entre Rhin et Elbe, mais sans parvenir à s’emparer du royaume de Saxe. Le roi de Prusse se rallie avec plaisir au nouvel ordre européen, très conservateur. Il meurt presque vingt ans après son redoutable ennemi, le 7 juin 1840. Sur le tableau de Lawrence, commencé à Londres en 1814 et achevé à Aix-la-Chapelle en 1818, il porte la Jarretière et les principaux ordres prussiens.


– 36 –
Charles Robert de Nesselrode
(1780-1862)

Karl Robert, Count Nesselrode (1780-1862)
Sir Thomas Lawrence, 1818
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404945

Avec Nesselrode, le dernier diplomate de ce parcours, on découvre à nouveau la vie d’un homme très cosmopolite, qui témoigne de la mobilité des élites de l’époque. Il descend d’une des plus anciennes familles de la noblesse germanique, dont la première mention date de 1303 et dont une branche s’établit dans les pays baltes, plus précisément en Livonie, passant progressivement au service de la Russie. Ainsi, son père est ambassadeur de Catherine II au Portugal, lorsqu’il nait à Lisbonne, le 14 décembre 1780. Sa mère est descendante d’une famille de huguenots, qui a fuit le Dauphiné en 1700 pour s’installer en Allemagne. Il est donc baptisé dans la seule église protestante de la capitale lusitanienne, qui est la chapelle anglicane. C’est pour cette raison que ce serviteur de la grande nation orthodoxe appartient étrangement à l’Eglise d’Angleterre. Vers 1787, son père est nommé à Berlin et c’est en Prusse qu’il parfait son éducation de jeune noble européen. L’année suivante, son père le fait entrer dans la marine impériale, où il devient l’aide-de-camp du grand-duc héritier, le futur Paul Ier.
Sa carrière prend son envol sous le règne du fils et successeur de ce dernier, l’empereur Alexandre Ier, à partir de 1801. Il rejoint la diplomatie et sert à Berlin, puis à La Haye. En tant que secrétaire diplomatique attaché à plusieurs généraux russes, il assiste à la bataille d’Eylau (7 et 8 février 1807), puis à l’entrevue de Tilsit, où il est invité à la table de Napoléon Ier. Après l’entrevue d’Erfurt, où la trahison de Talleyrand se confirme, il est choisi par Alexandre pour servir d’intermédiaire avec le « Diable boiteux ». Puis vient le temps des campagnes de Russie, d’Allemagne et de France.
Dans le contexte de la défaite de Napoléon, il devient ministre des Affaires étrangères du tsar en 1814 et est le chef de la délégation russe au congrès de Vienne. Même si, entre 1816 et 1822, il partage cette fonction avec Jean Capo d’Istria (personnage n° 6), c’est lui qui dirige la diplomatie russe pendant quatre décennies. Il est l’un des promoteurs de la Sainte-Alliance et de la politique de l’équilibre des puissances. A ce titre, il envoie l’armée russe soutenir l’empereur d’Autriche pendant les troubles révolutionnaires de 1848-1849, notamment en Hongrie. Par ailleurs, il négocie des traités avec le monde entier : la Turquie, le Japon, les Etats-Unis… A partir de 1845, il cumule son poste de ministre des Affaires étrangères avec celui de chancelier de l’empire de Russie. Il est donc aux commandes pendant la guerre de Crimée, qui oppose la Russie à la Turquie, à la France et au Royaume-Uni. Il se retire des affaires à la fin de ce conflit et meurt cinq ans plus tard, le 23 mars 1862. Il est enterré au cimetière luthérien de Saint-Pétersbourg.
Sur le tableau de sir Thomas Lawrence, peint essentiellement à Aix-la-Chapelle en 1818, il porte le cordon rouge de l’ordre de Saint-Alexandre Nevski.


– 37 –
Pape Pie VII
(1742-1823)

Pope Pius VII (1742-1823) 
Sir Thomas Lawrence, 1819
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 404946

A part peut-être les souverains espagnols, placés en résidence surveillée en France, mais surtout son prédécesseur, Pie VI, mort dans les geôles de l’Empereur, le pape Pie VII est sans doute le souverain qui a le plus souffert de l’épopée napoléonienne.
Issu d’une vieille famille de la noblesse italienne d’origine française (peut-être descendante des Clermont-Tonnerre), Barnaba Chiaramonti est né le 14 août 1742 en Romagne. A l’âge de 14 ans, il est novice dans une abbaye de sa ville natale et, deux ans plus tard, en 1758, il devient moine sous le nom de Gregorio. Plutôt ouvert aux Lumières, il se lance dans l’enseignement ecclésiastique et gravit les échelons, devenant prêtre en 1765 et abbé en 1781. L’année suivante, Pie VI, dont il avait été le confesseur, le nomme abbé de Saint-Paul-hors-les-murs, l’une des quatre basiliques majeures de Rome. Il devient ensuite l’évêque de Tivoli, puis le cardinal-évêque d’Imola en 1785. Alors que son diocèse est envahi par les Français, en 1796, il se montre plutôt conciliant et appelle ses ouailles à se soumettre, affirmant que la démocratie est compatible avec le catholicisme. Mais Chiaramonti est sans doute refroidi par le sort réservé à son protecteur : après la proclamation de la République romaine (15 février 1798), Pie VI est arrêté et trainé de prison en prison, d’abord en France puis en Italie. Il meurt d’épuisement à Valence, le 29 août 1799. Trois mois plus tard, le 30 novembre, un conclave s’ouvre à Venise, sous la protection de l’empereur Habsbourg. Après 104 jours de vote, et alors qu’il n’est pas candidat, c’est Chiaramonti qui devient le 251e pape de l’Eglise catholique, le 14 mars 1800, à l’âge de 57 ans. Il choisit le nom de Pie VII, en hommage à son prédécesseur, le « pape martyr ».
Trois mois plus tard, le 14 juin, la bataille de Marengo permet au Premier consul de mettre la main sur le Nord de l’Italie. Il restaure les Etats pontificaux et invite Pie VII à regagner Rome. Le 15 juillet 1801, le Concordat est signé, symbole de la réconciliation entre Rome et la République française. Mais Bonaparte y fait bientôt ajouter 77 articles organiques, non négociés avec le Saint-Père, qui tendent immédiatement les relations entre les deux puissances. Après bien des querelles diplomatiques, c’est pour tenter de faire plier le nouvel empereur que le pape accepte de se rendre à Paris en 1804, pour couronner Napoléon Ier, le 2 décembre. En vain.
Dans les mois qui suivent, l’Empereur conquiert une bonne partie de l’Italie et accorde le royaume de Naples à son frère aîné, Joseph Bonaparte. Le pape se retrouve isolé et contraint d’appliquer le Blocus continental, ce qu’il refuse strictement, au nom de son devoir de neutralité. L’engrenage infernal est lancé : les Français occupent Rome le 2 février 1808, les Etats pontificaux sont annexés à l’Empire le 17 mai 1809, Pie VII excommunie « les voleurs du Patrimoine de saint Pierre, les usurpateurs » et leurs complices le 10 juin 1809. Il est finalement arrêté par une troupe d’un millier d’hommes, dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809. Il est emprisonné successivement à Florence, à Alexandrie, à Grenoble, puis à Savone. Enfin, alors que Napoléon lance la campagne de Russie, il ordonne que le pape soit placé en résidence surveillée au château de Fontainebleau. Il s’y installe le 20 juin 1812 et ne sort pas de ses appartements pendant 19 mois. Le 23 janvier 1814, il quitte finalement sa prison dorée. Attaqué de toutes parts, l’Empereur est obligé de le libérer et de lui restituer ses Etats. Pie VII fait son entrée triomphale à Rome, le 24 mai. Après un bref exil pendant les Cent-Jours, il revient dans la Cité éternelle, où il reste jusqu’à sa mort, le 20 août 1823, à l’âge de 81 ans.
Si, parce qu’il était prisonnier, sa position était beaucoup plus précaire que celle de la plupart des souverains européens, il a toujours conservé un calme et une sagesse, qui ont sans doute beaucoup énervé le bouillonnant empereur. Ainsi, il n’a cessé de l’appeler « mon cher fils », précisant « un fils un peu têtu, mais un fils quand même ». Après la chute de l’Aigle, il ne montre aucune rancœur, demandant aux Anglais d’améliorer les conditions de sa détention à Sainte-Hélène ou offrant un refuge, à Rome, à Madame Mère et bon nombre des membres de sa famille, considérés comme des parias dans une grande partie de l’Europe. Avec son fidèle ami, le cardinal Consalvi (personnage n° 30), il a tenté de tenir tête à Napoléon, autant que faire se peut, mais a aussi modernisé et « libéralisé » ses Etats. On peut sans doute lui reprocher sa politique à l’égard des juifs, qu’il s’évertuait à vouloir convertir, mais, en revanche, il a été l’un des principaux promoteurs de l’abolition de l’esclavage au niveau européen. Sa résistance pacifique et son abnégation lui ont en tout cas permis de forger une véritable autorité morale sur les souverains européens, y compris ceux qui professaient le protestantisme ou l’orthodoxie. A ce titre, le cardinal Consalvi fut revêtu d’une certaine primauté au congrès de Vienne, acceptée par tous, ce qui permit aux Etats pontificaux de retrouver leur intégrité prérévolutionnaire, à l’exception d’Avignon et du Comtat Venaissin.
Le portrait de sir Thomas Lawrence est souvent considéré comme l’un de ses chefs-d’œuvre. En 1819, il s’est déplacé à Rome pour peindre le pape, qui lui a accordé neuf séances de pose. Il eut l’honneur d’être logé au palais du Quirinal, dans la demeure du Souverain Pontife. Il dépeint un souverain bienveillant et résilient, qui n’hésite pas à esquisser un sourire, malgré tout ce qu’il a dû subir. Il est bien loin des portraits martiaux ou académiques qui l’entourent. Pie VII occupe sans doute une place à part parmi les contemporains de Napoléon Ier et ce tableau le montre bien.


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Guillaume II, roi des Pays-Bas
(1792-1849)

William II (1792-1849), King of the Netherlands, when Prince of Orange
Nicaise de Keyser, 1846
Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021 / RCIN 405151

Au XVIe siècle, les Provinces-Unies s’étaient détachées des Pays-Bas espagnols, devenus par la suite autrichiens. Elles étaient dominées par les princes de la Maison d’Orange, qui avaient le statut de stathouder. Guillaume V d’Orange est chassé en 1795, lors de la création de la République batave, l’une des républiques sœurs de la France révolutionnaire. Puis, en 1806, Napoléon Ier crée le royaume de Hollande, qu’il confie à son frère, Louis Bonaparte (le mari d’Hortense de Beauharnais et le père du futur Napoléon III). Quatre ans plus tard, les provinces néerlandaises sont rattachées à l’Empire et transformées en simples départements français.
Lorsque les troupes françaises doivent être retirées en 1813, pour participer à la campagne d’Allemagne puis à celle de France, les Néerlandais constituent un gouvernement provisoire, qui rappelle le prince Guillaume d’Orange, fils de Guillaume V, lui-même mort en exil dans le duché de Brunswick-Wolfenbüttel en 1806. Le 6 décembre 1813, Guillaume devient donc prince souverain des Pays-Bas, un nouveau titre, appuyé par une Constitution, qui lui donne des pouvoirs beaucoup plus étendus que ses ancêtres stathouders. Puis les négociateurs du congrès de Vienne font de lui le souverain d’un royaume beaucoup plus vaste. Le 15 mars 1815, avant même la fin des Cent-Jours, il devient roi des Pays-Bas, un territoire qui regroupe trois ensembles antérieurs à la Révolution : les Provinces-Unies, les Pays-Bas autrichiens et la principauté de Liège. Il entre véritablement dans l’histoire sous le nom de Guillaume Ier. En outre, il reçoit en propriété personnelle le grand-duché de Luxembourg (qui a le double de la taille de l’Etat qui porte aujourd’hui ce nom).
C’est son fils, lui aussi prénommé Guillaume, qui est représenté sur ce tableau. Il est né à La Haye, le 6 décembre 1792, quelques années avant la déposition de son grand-père, Guillaume V. Sa mère et sa grand-mère étant des princesses prussiennes, les Orange se refugient à Berlin. Mais dix ans plus tard, c’est au tour de la Prusse d’être conquise par Napoléon. Guillaume rejoint alors l’armée britannique. Du fait de sa haute naissance, il est choisi pour être l’aide-de-camp d’Arthur Wellesley, le commandant en chef des armées coalisées en Espagne. Il rejoint ensuite son père au Pays-Bas, après le rétablissement de la Maison d’Orange. Pendant les Cent-Jours, Napoléon envahit le royaume de son père : c’est la campagne de Belgique. Guillaume prend la tête de l’armée néerlandaise, sous le haut-commandement du duc de Wellington. Il participe aux batailles des Quatre-Bras et de Waterloo, où il est blessé. Ceux qui visitent aujourd’hui le site de Waterloo ne savent pas forcément que la « butte du Lion », un tertre surmonté d’une statue du lion de Belgique, est située à l’endroit même où le jeune prince avait été blessé. Ce que certains considèrent comme un monument commémorant la valeur du peuple belge est en fait un hommage au prince néerlandais. Il faut dire que, après Waterloo, le contexte géopolitique a rapidement changé.
En août 1830, en effet, face à la politique autoritaire de Guillaume Ier des Pays-Bas, les provinces du Sud, correspondant peu ou prou aux anciens Pays-Bas autrichiens, se révoltent et font sécession. Malgré la popularité du prince héritier dans les provinces belges, le roi ne parvient pas à redresser la situation, ni par la négociation ni par la force militaire. Le 28 septembre, un gouvernement provisoire proclame l’indépendance de la Belgique depuis le balcon de l’Hôtel-de-Ville de Bruxelles. Quatre mois plus tard, le 20 janvier 1831, les puissances entérinent la création du nouvel Etat par le traité de Londres. Bientôt, le prince Léopold de Saxe-Cobourg (personnage n° 19) est choisi comme premier roi des Belges. S’il peut conserver son grand-duché de Luxembourg, Guillaume Ier des Pays-Bas a ainsi perdu la moitié de son royaume, avec l’approbation de tous ceux qui lui en avaient fait cadeau au congrès de Vienne.
Guillaume II en hérite après l’abdication de son père, le 7 octobre 1840. En 1848, alors que l’Europe est parcourue par une tempête révolutionnaire, il accorde à ses sujets une constitution plutôt libérale, qui est en grande partie encore appliquée aujourd’hui. Il meurt l’année suivante, le 17 mars 1849. Lui et son fils, Guillaume III, sont les seuls des sept souverains des Pays-Bas (4 rois et 3 reines) à ne pas avoir abdiqué.
Parmi les 38 tableaux exposés dans cette salle, celui de Guillaume II des Pays-Bas est le seul à ne pas avoir été exécuté par un artiste britannique, mais par un peintre belge, Nicaise de Keyser. Il a été réalisé assez tard, en 1846, alors que Guillaume est déjà le souverain des Pays-Bas. Il y est toutefois représenté dans la gloire de sa jeunesse, sur le champ de bataille de Waterloo, alors qu’il avait le titre d’aide-de-camp du Prince Régent.

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