Napoléon Bonaparte est omniprésent dans les collections de la plupart des grandes institutions culturelles britanniques. Dans la section Napoléon de ce site, nous vous avons présenté quelques Parcours Napoléon dans certaines de ces institutions : Collections royales, Wallace Collection, abbaye de Westminster, etc. Ces Parcours regroupent plusieurs dizaines d’œuvres, de documents et d’objets témoignant de l’impact de l’Empereur dans la mémoire collective britannique.
D’autres institutions tout aussi prestigieuses ont accepté de s’associer à notre contenu Napoléon, en proposant des « Choix des conservateurs », se limitant quant à eux à deux ou trois œuvres emblématiques. Vous découvrirez ci-dessous la sélection d’Henry Weeds, Collections and House Officer, à Chartwell, la demeure historique de Winston Churchill pendant plus de quarante ans.
www.nationaltrust.org.uk/chartwell
The English version is avalaible here.
Churchill fit un jour remarquer que Napoléon était « le plus grand homme d’action dans les annales de l’humanité ». Étant donné son intérêt bien connu pour l’histoire militaire, cela n’étonnera personne qu’il évoque Napoléon en des termes si élogieux. C’est toutefois assez piquant lorsque l’on considère sa propre ferveur patriotique. À Chartwell, la demeure historique de Churchill, les visiteurs peuvent ressentir cette passion pour l’histoire et le patrimoine, et notamment l’intérêt qu’il porte à l’empereur des Français et ce, à travers deux objets remarquables. Le premier, visible dans la chambre à coucher de lady Churchill, est une figurine en porcelaine de Sèvres, représentant l’Empereur à cheval, avec son bicorne et son manteau gris. Le second est encore plus évident : un buste de Napoléon en biscuit de porcelaine, placé sur le bureau de Churchill dans son cabinet de travail, la pièce la plus emblématique de Chartwell. Il est encore plus intéressant de noter que le buste occupe une place centrale, entouré par les membres de la famille. À ses côtés, une miniature de l’amiral Nelson fait assez pâle figure. Et Wellington dans tout ça ? Cela ne fait aucun doute que Winston vouait un immense respect au grand homme. D’ailleurs, une esquisse au crayon d’un « Iron Duke » vieillissant est exposée dans la chambre à coucher de Churchill.

Copyright © NTPL
La version originale du buste du cabinet de travail a été sculptée par Antoine-Denis Chaudet en 1799, avant d’être reproduite par la Manufacture de Sèvres à une plus grande échelle, souvent pour servir de cadeaux diplomatiques. Ce type de porcelaine, dit biscuit ou bisque, a la particularité d’être sans glaçure (sans émaillage), lui donnant un aspect mat. La signature AB avec un B cursif penché est celle d’Alexandre Brachard, le chef de l’atelier de sculpture, tandis que celle avec un B majuscule est celle d’Alexandre Brongniard, le directeur de la manufacture entre 1800 et 1847.

Copyright © National Trust / Amy Law
L’inscription « 28 jv. 8 no 8 » signifie que le buste a été réalisé le 8 janvier 1808 et qu’il était le huitième produit ce jour-là.


C’est Chaudet qui créa le buste en plâtre de l’Empereur et autorisa la manufacture « à faire autant de moules et de moulages en porcelaine de ce modèle en plâtre que nécessaire » et de les marquer de sa propre estampille. Le contrat de Chaudet était exclusif : aucune autre manufacture ne pouvait produire de copies. Il reçut la coquette somme de 1200 francs pour son travail. Cette représentation faisait partie d’un mouvement qui visait à remplacer les vieilles images du général Bonaparte par un nouveau style néoclassique.
La manière dont ce buste est arrivé à Chartwell n’est pas très claire. Il se peut qu’il ait été en possession de la famille depuis très longtemps. Il se trouvait sur le bureau de Churchill quand il était au ministère des Colonies en 1905. Il y fut remarqué par Lawrence d’Arabie, lors d’une visite à Winston. Lawrence se lança dans une série de comparaisons entre Napoléon et le révolutionnaire communiste Lénine, ce qui entraina une dispute entre les deux hommes.
Le thème napoléonien est également présent dans la chambre à coucher de lady Churchill. Dans les deux alcôves, on trouve une série de figurines de porcelaine représentant des officiers de cavalerie de l’armée impériale, ainsi que le grand homme lui-même, avec sa posture emblématique : le bras rentré dans son manteau. Cette série de figurines paraît légèrement incongrue au milieu du décor dépouillé voulu par lady Churchill.
Elles ont été produites à la manufacture de Postchappel, près de Dresde. Cette usine fut créée dans les années 1860 par Carl-Johann Gottlob Thieme, à partir d’une petite boutique d’antiquités spécialisée dans la porcelaine. Les marques sur les figurines laissent supposer une fabrication entre 1900 et 1950. La manière dont elles sont arrivées entre les mains des Churchill est assez tragique. Elles appartenaient à l’un de leurs très proches amis, Brendan Bracken. Celui-ci était ministre de l’Information pendant la Seconde guerre mondiale et se rendait fréquemment à Chartwell. Il mourut à l’âge de 57 ans et offrit un dernier cadeau à lady Churchill. Voici ce qu’elle écrivit dans l’une de ses lettres :
« Je viens d’apprendre par les exécuteurs testamentaires de Brendan
qu’il m’avait laissé sa collection de chevaux militaires en porcelaine.
Je suis touchée à l’idée qu’il souhaitait me laisser un témoignage de son amitié. »
Ils font toujours partie de l’histoire de Chartwell et nous continuons à en prendre soin. L’état d’un des cavaliers était devenu si dégradé que nous l’avons retiré pour le faire restaurer. Il a été complètement démonté puis remonté par un spécialiste de la céramique.
L’intérêt de Churchill pour Napoléon était tel que, lorsqu’il rencontra Charlie Chaplin pour la première fois, en 1928, il proposa d’écrire le scénario d’un film avec l’acteur dans le rôle du jeune Napoléon. D’autre part, des lettres conservées dans nos archives révèlent qu’il avait l’intention d’écrire la préface de la biographie de Napoléon par Robert Ballon. De manière très évidente, la vie et l’époque d’un des plus grands chefs militaires de l’Histoire ont profondément marqué Churchill, et on le voit encore non seulement dans la présentation de Chartwell mais aussi dans ses écrits.
Pour aller plus loin :
www.uffizi.it
Richard COHEN, Making History: The Storytellers Who Shaped the Past, Simon & Schuster, 2022.
Mary SOAMES, Speaking for Themselves: The Personal Letters of Winston and Clementine Churchill edited by their daugther Mary Soames, Stoddart Publishing, 1998.
Robin Fedden, Churchill and Chartwell, The National Trust, 1979.
Henry Weeds tient à remercier pour leur aide ses collègues de l’équipe de conservation à Chartwell, et notamment Becky Wallis.