Napoléon Bonaparte est présent dans les collections de la plupart des grandes institutions culturelles britanniques. Dans la section Napoléon de ce site, nous vous avons présenté quelques Parcours Napoléon dans quelques-unes de ces institutions : Collections royales, Wallace Collection, abbaye de Westminster, etc. Ces Parcours regroupent plusieurs dizaines d’œuvres, de documents et d’objets témoignant de l’impact de l’Empereur dans la mémoire collective britannique.
D’autres institutions tout aussi prestigieuses ont accepté de s’associer à notre contenu Napoléon, en proposant des « Choix des conservateurs », se limitant quant à eux à trois œuvres emblématiques. Vous découvrirez ci-dessous la sélection de Judy Rudoe, conservatrice au British Museum (1800 to Present / Department of Britain, Europe and Prehistory).

Snuff-box; gold; rectangular; containing antique cameo; presented to Lady Holland by Napoleon; cameo presented to Napoleon by Pope Pius VI in 1797. The box contains a piece of playing card inscribed to Lady Holland in Napoleon’s own hand. © The Trustees of the British Museum / 1846,0124.1
Cette jolie tabatière en or gravé et ciselé a été créée par Adrien Jean Maximilien Vachette (1753-1839) et Marie-Étienne Nitot (1750-1809), ce dernier étant le fondateur de ce qui deviendra la Maison Chaumet. Elle a été conçue à partir d’un camée antique, gravé dans une agate. La pierre fut offerte par le pape Pie VI à Napoléon Bonaparte, jeune général en chef de l’armée d’Italie, à l’occasion de la signature du traité de Tolentino qui, le 19 février 1797, rétablissait la paix entre la République française et les États pontificaux. Le camée ovale représente Bacchus, assis sur le dos d’une chèvre, elle-même en train de dévorer un cep de vigne. Il est enchâssé dans une composition en or, ornée de vignes et d’autres symboles bacchiques (coupe, flûte de Pan, etc.), le tout étant entouré d’une bordure en émail bleu. La tabatière mesure 7,2 x 2 x 5,2 cm.
Sa présence dans les collections anglaises vient du fait qu’elle a été léguée par Napoléon à lady Holland, l’une des égéries du parti libéral au Royaume-Uni et l’une de ses bienfaitrices. Avec ses sympathisants, elle tenta de faire pression sur le gouvernement conservateur de Londres, afin que les conditions de détention de Bonaparte à Sainte-Hélène soient améliorées. Elle lui fit également parvenir un certain nombre de présents dans sa geôle de l’Atlantique Sud, notamment de nombreux livres. Lady Holland est la seule femme qui soit mentionnée dans le testament de l’Empereur. En plus de la mention officielle dans ce document historique, qui acte le leg de la tabatière, cette dernière renferme un morceau de carte à jouer (un sept de carreau), sur lequel figure une note manuscrite de Napoléon : « L’empereur Napoléon à Lady Holland, témoignage de satisfaction et d’estime. » Compte-tenu de la valeur historique de l’objet, l’épouse du 3e baron Holland légua à son tour le cadeau de l’Empereur au British Museum, où il se trouve encore. Elle s’éteignit en novembre 1845 et l’objet fit son entrée dans les collections du musée l’année suivante.
La tabatière de lady Holland était exposée aux Invalides dans le cadre de l’exposition Napoléon n’est plus (19 mai – 31 octobre 2021).

Box; gold; oval; set with diamonds; presented by Napoleon on 1st May 1815 to the Hon. Anne Seymour Damer, sculptress, on receiving from her a bust of Charles James Fox, promised to him at the time of the Treaty of Amiens in 1802. © The Trustees of the British Museum / 1828,1111.1.
Autre tabatière, autre histoire. Cette histoire est d’ailleurs précisée sur la plaque dorée et gravée qui orne le fond de la tabatière : « Cette boite fut donnée par l’empereur Napoléon de France à l’honorable Anne Seymour Damer, comme ‘souvenir’ (le terme qu’il a utilisé) parce qu’elle lui avait offert un buste de Mr Fox, buste qu’elle avait sculpté dans le marbre. Il avait été promis lors de la paix d’Amiens, terminé en 1812 et expédié en France, où il se trouve encore. Mais il n’avait pas été remis avant le 1er mai 1815, lorsqu’Anne Seymour Damer se vit convoquée dans ce but par Sa Majesté Impériale, pour une audience au palais de l’Élysée où il résidait alors ». Le fait que l’inscription soit en anglais et le style du texte laissent supposer qu’il ne s’agit pas d’une dédicace voulue par l’Empereur, mais d’un texte commémoratif, sans doute rédigé par la récipiendaire.
La vie d’Anne Seymour Damer (1748-1828), née Conway, est une aventure à elle toute seule. Actrice, productrice de théâtre, auteure, voyageuse et sculptrice, on aurait effectivement pu l’imaginer comme une aventurière, si elle n’était pas issue d’une des meilleures familles de l’aristocratie britannique. Son père, Henry Seymour Conway, frère du premier marquis d’Hertford, était un brillant général et politicien, qui fut plusieurs fois ministre et finit sa carrière comme commandant en chef des armées britanniques. Sa mère était la fille du duc d’Argyll et la veuve du comte d’Elgin et d’Ailesbury. Son père était aussi le neveu de Robert Walpole et elle était donc la cousine d’Horace Walpole. Ce dernier fut aussi son parrain et, dans son enfance, elle passa beaucoup de temps à ses côtés à Strawberry Hill House. On imagine aisément d’où lui vient sa passion pour les arts !
Mais, par cette parenté, elle appartient aussi à l’élite du parti libéral, les fameux whigs, comme les Holland, dont nous avons parlé avec l’objet précédent. Son mari, John Damer (1744-1776) était lui aussi un politicien whig, mais mort trop tôt pour voir le vent de liberté qui allait bientôt souffler sur la France et l’Europe. Bien que séparée de lui, elle se vit accorder une confortable rente après le suicide de son mari, ce qui lui permit de mener une vie sociale épanouie, de s’adonner à ses passions artistiques et de voyager à travers l’Europe. À Naples, elle fut présentée à sir William Hamilton, à son épouse, la scandaleuse Emma Hamilton, et à l’amant de celle-ci, Horatio Nelson. Au moment de la paix d’Amiens, et comme beaucoup d’aristocrates libéraux, elle se rendit à Paris, où elle semble avoir été reçue une première fois en audience par le Premier consul Bonaparte. C’est probablement lors de cette rencontre qu’elle promit à Napoléon un buste de Charles James Fox, le héros et principal orateur du parti whig, qui lui aussi s’était empressé de voyager à Paris. On dit qu’elle sympathisa avec Joséphine et qu’elles entretinrent une correspondance à propos de leur passion commune : la botanique. On lit aussi qu’elle se rendit sur l’île d’Elbe pendant l’exil de Napoléon, ce qui est fort possible, puisqu’il y reçu de nombreux visiteurs britanniques, tout comme il le ferait bientôt à Sainte-Hélène. Mais cela semble bien être à Paris, pendant les Cent-Jours, que l’audience qui nous intéresse se déroula, tout comme l’échange de cadeau : le buste de Fox pour l’Empereur, la tabatière à l’effigie de Napoléon pour la sculptrice. On sait en effet que l’empereur revenu d’exil résidait parfois à l’Élysée-Napoléon. Il devait donc y être le 1er mai 1815. Il y reviendrait quelques semaines plus tard, dans d’autres circonstances, après la défaite de Waterloo. C’est là qu’il signa sa seconde abdication et d’où il partit pour un exil, cette fois définitif.
On en sait un peu plus sur l’audience grâce au témoignage de John Cam Hobhouse, un des plus proches amis de lord Byron qui séjournait également à Paris pendant les Cent-Jours. Il indique que la sculptrice fut convoquée au palais de l’Élysée à 10h00 et qu’elle fut introduite auprès de Napoléon deux heures plus tard. La reine de Hollande était présente mais n’intervint pas dans la conversation. Rappelons qu’Hortense de Beauharnais était la fille de la première impératrice (Joséphine, morte un an plus tôt) et la belle-sœur de l’Empereur, épouse de son frère Louis, éphémère roi de Hollande. L’audience dura une dizaine de minutes : ils parlèrent de Fox et du peintre David. Avant son départ, Napoléon lui demanda s’il ne lui faisait pas peur. Elle répondit : « Non, Sire, les grands hommes n’effrayent pas ».

Death-mask; plaster-of-Paris cast copy; Napoleon Bonaparte; shows Napoleon bald, eyes sunken and closed, cheeks hollow and mouth slightly open, revealing teeth; back hollow; at top of head are remains of bronze suspension loop. © The Trustees of the British Museum / OA.4277.
Terminons cette courte sélection par un masque funéraire de Napoléon. Il semble y avoir eu, dans les années 1870, des négociations au sein du British Museum pour acquérir un masque de bronze, mais il s’agit là d’une copie en plâtre, dont les origines semblent incertaines. Si les historiens spécialistes de l’Empereur ont aujourd’hui démêlé les intrigues sur les nombreux masques qui peuplent depuis deux siècles collections publiques et privées, leur diffusion a longtemps été entourée d’un voile de mystère. En se référant au passionnant catalogue de l’exposition Napoléon n’est plus, on comprend que c’est Fanny Bertrand qui parvint à convaincre les Britanniques de faire un moulage du visage de l’Empereur, mort le 5 mai 1821. L’opération eut lieu deux jours plus tard, sous la responsabilité d’un médecin anglais, le Dr Burton, et du médecin de l’Empereur, le Dr Antommarchi. Le lendemain, les Britanniques découvrirent avec stupeur qu’une partie du masque avait été subtilisée par les Français pendant la nuit. Rapidement, ce masque fut dupliqué et on se trouva en présence de plusieurs « originaux », dont l’un fut donné à Madame Mère, un autre conservé par les Bertrand, un autre encore par Antommarchi. C’est lui qui, dans les années 1830, lança la reproduction de son « original », à grande échelle, selon différents modèles (avec ou sans coussin) et sur différents supports (bronze, plâtre…). Peut-être le masque funéraire du British Museum est-il l’une des copies de celui d’Antommarchi ?