Napoléon Bonaparte est omniprésent dans les collections de la plupart des grandes institutions culturelles britanniques. Dans la section Napoléon de ce site, nous vous avons présenté quelques Parcours Napoléon dans certaines de ces institutions : Collections royales, Wallace Collection, abbaye de Westminster, etc. Ces Parcours regroupent plusieurs dizaines d’œuvres, de documents et d’objets témoignant de l’impact de l’Empereur dans la mémoire collective britannique.
D’autres institutions tout aussi prestigieuses ont accepté de s’associer à notre contenu Napoléon, en proposant des « Choix des conservateurs », se limitant quant à eux à trois œuvres emblématiques. Vous découvrirez ci-dessous la sélection de Kirsty Archer-Thompson, Collections and Interpretation Manager, à Abbotsford, la demeure de sir Walter Scott.
Les textes originaux, en anglais, sont disponibles ici.

Située à un jet de pierre de la rivière Tweed, dans les Scottish Borders, Abbotsford était la demeure adorée de sir Walter Scott, l’écrivain du XIXe siècle et icone culturelle écossaise. On en parle souvent comme du joyau du « pays de Scott ». Sir Walter a lui-même supervisé la conception et le développement de sa résidence et de son domaine, à partir de 1812 et jusqu’à sa mort en 1832. Ce n’est pas un hasard si cette « œuvre du cœur » coïncide avec ses années de gloire et son succès sans précédent en tant qu’auteur de romans aussi marquants que Waverley, Rob Roy et Ivanhoé. À la fois château de conte de fées et source d’inspiration, Abbotsford a été rempli par Scott de toutes les collections historiques amassées au long de cette véritable histoire d’amour qu’il a entretenu avec le passé.
Scott et Napoléon
Scott était tout autant fasciné que consterné par Napoléon Bonaparte. Cela l’a conduit à mener des recherches sur la vie de cet individu extraordinaire, avec qui il partageait non seulement une date de naissance [NDLR : le 15 août], mais aussi l’expérience d’une ascension fulgurante vers la célébrité, même si leurs manières d’y parvenir étaient diamétralement opposées.
Les guerres napoléoniennes ont sans conteste été l’événement majeur de l’époque de Walter Scott. Elles ont eu des conséquences énormes sur tous les aspects de la vie, notamment les arts, la littérature et la politique. Comme écrivain et historien, Scott a consacré beaucoup d’énergie à identifier ce processus historique. Il a compris que l’influence de Napoléon, son règne et sa défaite finale à Waterloo ont été des cataclysmes qui occuperaient les historiens du futur.
Il a collectionné des artefacts napoléoniens avec enthousiasme. Mais on oublie souvent que ces objets étaient contemporains de ses invités à Abbotsford. Exposés à la vue de tous dans sa demeure, dans le contexte plus large des géographies historiques et culturelles qu’elle offrait, ils avaient pour but initial de susciter la conversation et le débat.
Sous-main et plumier de Napoléon


Avec l’aimable autorisation de The Abbotsford Trust
Compte-tenu de ses propres intérêts, Scott était particulièrement intrigué par les habitudes de lecture et d’écriture de Bonaparte. Des éléments de son cabinet de travail à Abbotsford font d’ailleurs écho à celui de l’Empereur au palais de l’Élysée, notamment par l’ajout d’une galerie dont les murs étaient recouverts de livres. Cet intérêt se manifeste également au travers de deux « articles de papeterie » conservés dans les collections d’Abbotsford : le plumier de Napoléon et un porte-document sous-main, en velours de soie décoré de broderies de fil de fer très élaborées et représentant le monogramme impérial et les emblèmes du Premier Empire. Le porte-document ne renferme plus qu’une seule feuille de papier filigrané, métaphore visuelle du destin de son fameux propriétaire à qui le temps et la bonne fortune vinrent finalement à manquer.
Le plumier fut récupéré sur la table de travail de Napoléon, après qu’il eut eu abandonné le palais de l’Élysée en 1815. Il fut « sauvé » par Marie Joséphine Louise, duchesse de Gontaut, puis passa à la vicomtesse Hampden, qui l’offrit à Scott en juillet 1829. Quant au sous-main, qui fait visiblement partie du même ensemble de bureau, on dit qu’il provient du carrosse de Napoléon après la bataille de Waterloo, mais aucune preuve ne vient étayer cette origine.
Exemplaire de An account of the last illness, decease,
and post mortem appearances of Napoleon Bonaparte (1822)
ayant appartenu à sir Walter Scott

Avec l’aimable autorisation de The Faculty of Advocates Abbotsford Collection Trust
Arnott fut l’un des derniers médecins de Napoléon à Sainte-Hélène et l’un de ceux en qui il eut le plus confiance. Il participa ensuite aux examens post-mortem de sa dépouille. En février 1826, Arnott fit parvenir à Scott le compte-rendu médical des derniers jours de l’Empereur, ouvrage qui figure toujours dans la bibliothèque d’Abbotsford, aux côtés des nombreux volumes consacrés à Napoléon. C’était alors une période d’intenses recherches pour ce qui allait devenir la plus grande contribution de Scott à la science historique : sa Vie de Napoléon Buonaparte (Life of Napoleon Buonaparte) en neuf volumes et près d’un million de mots. Scott avait été profondément affecté par la description détaillée de la mort de l’Empereur et il avoua même dans son journal intime avoir fait des cauchemars à propos des derniers moments de Napoléon : « Mort horrible – un cancer du pylore… » (« Horrible death – a cancer on the pylorus… »).
Recueil manuscrit de chansons françaises
provenant du champ de bataille de Waterloo


Avec l’aimable autorisation de The Abbotsford Trust
Scott considérait ce petit livre de chansons comme l’objet le plus précieux de sa collection napoléonienne, du fait de son « grand intérêt moral ». Dans Paul’s Letters to His Kinsfolk (1816), le compte-rendu pré-journalistique qu’il fit de sa visite sur le champ de bataille de Waterloo en août 1815, il oppose les chansons joyeuses qu’il contient au destin tragique de son ancien propriétaire, piétiné dans la poussière et le sang de Waterloo. Après une enquête plus poussée, il conclut que le recueil appartenait à un officier et que le manuscrit, cadeau du père d’un ami, avait été trouvé à l’endroit même où s’était déroulée la fameuse charge des Scots Greys. Il porte d’ailleurs toujours des taches de sang et de terre très marquées. Scott, qui avait toujours adoré collecter les paroles de ballades et de chansons, tenta de retranscrire et de traduire en anglais les textes de ce manuscrit. Deux d’entre eux furent ainsi publiés dans Paul’s Letters, avec comme titres « Romance of Dunois » et « The Troubadour ».