
Vue et perspective du Palais de Monaco du côté de la Place d’Armes,
par Dominique-Joseph Bressan, 1732, Palais princier de Monaco.
© Reprod.G. Moufflet – Archives du Palais Princier de Monaco
C’est dans un palace de Monte-Carlo que la jeune fille dont on ne connaît pas le prénom tombe amoureuse du séduisant Maxim de Winter. Celui-ci l’arrache aux mains de la très américaine Mrs Danvers, avant d’en faire son épouse et la nouvelle maîtresse de Manderley, le domaine familial des Cornouailles. Là, flotte le souvenir de Rebecca.
C’est ainsi que débute l’intrigue de Rebecca, le célèbre roman de Daphné du Maurier. Les plus jeunes l’ont découvert à travers la récente production de Netflix. Les autres se souviennent sans doute du flamboyant et angoissant film d’Alfred Hitchcock, la seule œuvre du cinéaste à avoir reçu l’Oscar du meilleur film en 1941.
Rebecca amène à s’interroger sur les relations entre les Anglais et Monaco, et notamment à l’histoire du tourisme britannique dans la principauté francophone. Thomas Fouilleron, directeur des Archives et de la Bibliothèque du Palais princier de Monaco, nous a fait l’honneur de répondre à nos questions. Nous verrons que, bien avant Maxim de Winter, le destin d’un autre Anglais s’était joué à l’ombre du Rocher.
www.palais.mc
Propos recueillis par Thomas Ménard.
L’histoire des relations anglo-monégasques débute avec un drame, celui du duc d’York. Que s’est-il passé en 1767 ?
Ce duc d’York, Édouard-Auguste de Hanovre, né en 1739, est le second fils du prince de Galles, lui-même fils du roi Georges II. Son frère aîné succède à leur grand-père et Edouard-Auguste devient le prince héritier jusqu’à la naissance du futur Georges IV, en 1762.
A la fin de l’été 1767, York est à bord d’un bateau qui vogue de Marseille vers Gênes, quand il tombe malade. On doit le débarquer au port de Monaco et, sur ordre d’Honoré III, qui est alors au palais, il est installé dans la grande chambre d’apparat des appartements princiers. C’est là qu’il meurt, le 17 septembre 1767, malgré les soins prodigués par des médecins niçois. La chambre est transformée en chapelle ardente et, quelques jours plus tard, le corps du prince est transféré sur le HMS Montreal, avant d’être enterré à l’abbaye de Westminster.
Depuis, cette chambre porte le nom de chambre d’York. Pourriez-vous nous en parler ?
Comme dans la plupart des résidences princières, un appartement du palais de Monaco est réservé aux hôtes de marque de rang royal. On parle donc de quartier royal, d’antichambre et de chambre royale. Elle apparait aussi sous le nom de Chambre à l’alcôve dorée, à cause de son somptueux décor, conçu certainement vers 1688, à l’époque du mariage du futur prince Antoine Ier avec Marie de Lorraine, lorsqu’ils reçoivent, dans l’étiquette de Versailles, le rang de prince étranger. Le duc d’York pousse son dernier soupir sous le regard de la Renommée, qui porte l’écu des Grimaldi, mais aussi de Junon, qui trône au-dessus du baldaquin. L’ensemble a été peint par des maîtres italiens et restauré au XIXe siècle. Très vite, cette pièce va être valorisée par le nom de l’illustre qui y est mort. Ce fait est ainsi signalé au voyageur Sulzer, qui découvre le palais en 1775.
On parle aussi d’une légende autour de la mort du prince anglais.
Selon cette légende locale, une femme serait restée sur la pointe de la Vigie, à Roquebrune, pendant toute l’agonie du duc, les yeux tournés vers le palais. Elle s’y trouvait encore lorsque le bateau transportant la dépouille fit voile vers l’Angleterre. Au moment où le navire disparut derrière le Rocher, elle se serait jetée dans la mort en poussant un terrible cri de douleur.
Cet épisode peut-il être considéré comme le début d’une longue relation entre la cour des Grimaldi et celle de Saint-James ?
Georges III fut très touché par les soins prodigués et les honneurs rendus par Honoré III, et il tint à l’inviter officiellement à Londres. Le prince s’embarqua en 1768. Nous conservons, dans les archives du palais, un dossier très complet concernant ce séjour. Il s’agit principalement de correspondances, mais également des pièces comptables qui permettent de reconstituer avec détail le voyage*.
Les contacts seront ensuite plus ou moins réguliers. Bien que souverains, les princes de Monaco ne sont pas au même niveau de prestige que la monarchie britannique et il n’y aura jamais de voyage d’État d’un souverain britannique à Monaco. Lorsque la reine Victoria séjourne à Cimiez, c’est le prince Albert Ier qui se déplace pour lui rendre visite. Son fils, le prince de Galles, futur Edouard VII, vient à Monte-Carlo pour jouer au casino, mais incognito ! Le souverain monégasque est invité au couronnement de Georges V, et représenté par son fils, le prince Louis II. Aujourd’hui, le prince Albert II est, lui aussi, régulièrement convié aux grandes cérémonies britanniques, comme les autres souverains d’Europe. C’est lui qui établit la première ambassade de Monaco à Londres, il y a une dizaine d’années.
A la Belle Epoque, une « Anglaise » de cœur est reçue avec tous les honneurs à Monaco : l’ex-impératrice des Français Eugénie, exilée à Chislehurst puis à Farnborough, rend de fréquentes visites à Albert Ier, lorsqu’elle réside dans sa villa Cyrnos, au Cap Martin.
Est-ce que c’est aussi cet épisode du duc d’York qui lance la mode du tourisme anglais à Monaco ?
Non, pas directement. En fait, il a longtemps été difficile de se rendre à Monaco. On pouvait le faire soit par bateau, soit par la route de la Corniche, mais il fallait alors descendre à Monaco par des sentiers muletiers pas forcément adaptés aux habitudes de l’aristocratie britannique. C’est l’arrivée du chemin de fer en 1868, sous le règne de Charles III, qui ouvre la principauté aux touristes. Avant cela, on s’arrêtait souvent à Monaco par accident, comme le duc d’York, ou alors on faisait un détour parce qu’on avait entendu parler des riches collections du palais princier. Les récits de voyageurs français ou italiens évoquent parfois une visite au palais, visite privée, bien sûr, sous la conduite d’un officier du prince. Mais Monaco n’était pas sur l’itinéraire du Grand Tour des aristocrates anglais.
Du coup, quand et comment naît cette mode ?
Pour être précis, avant que lord Brougham et James Henry Bennett ne lancent la mode de la Riviera, de Cannes à Menton, entre 1834 et 1860, il y eut bien quelques précurseurs. Car, en termes de villégiature de santé, Montpellier est alors supplanté par Nice et la Riviera. En 1788, à la veille de la Révolution française, lord Camelford séjourne au palais de Carnolès, la résidence d’été des princes de Monaco à Menton, qui fait alors encore partie de la principauté. Thomas Pitt, baron Camelford, n’est autre que le cousin germain de Pitt l’Ancien, Premier ministre de Georges III au moment de la mort du duc d’York. C’est sans doute lors de son séjour à Londres qu’Honoré III a fait la connaissance de Camelford. Ils sont restés en contact épistolaire et le prince l’a invité à séjourner chez lui. Le baron fera élever une colonne néoclassique au Cap Martin, en souvenir de ce séjour à Menton. Elle existe encore, dans le parc d’une résidence privée.
Et donc tout commence vraiment avec l’arrivée du train ?
Oui, la colonie britannique de Monaco s’étoffe progressivement à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Il peut s’agir de simples voyageurs qui s’arrêtent pour un court séjour, de gens qui s’installent en villégiature pour quelques mois, voire qui décident de vivre à Monaco une bonne partie de l’année. D’après les chiffres qu’on peut trouver, ils représenteraient environ un quart de la population étrangère en 1889-1890, mais près du tiers à la veille de la Première guerre mondiale. Les chiffres sont à peu près les mêmes à Cannes.
Parmi ces visiteurs, trouve-t-on des noms célèbres ?
Premier ministre de 1916 à 1922, David Lloyd George est un habitué. L’un de ces successeurs, bien plus connu, Winston Churchill, réside souvent au Cap d’Ail, chez son ami lord Beaverbrook. Il passe des heures à peindre les paysages de la Côte d’Azur. Et, bien sûr, il y a Alfred Hitchcock, venu tourner La Main au collet avec Grace Kelly.

La chambre d’York, au Palais princier de Monaco
© Detaille – Archives du Palais Princier de Monaco

Le prince héréditaire Louis
à l’occasion du couronnement du roi Georges V d’Angleterre.
© BASSANO LTD. – Archives du Palais Princier de Monaco
Le prince est entouré (de gauche à droite) du comte Fernand Balny d’Avricourt (1844-1930), envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Monaco près du président de la République française, de Robert Balny d’Avricourt (1886-1961), capitaine du 11e régiment de cuirassiers, et du comte Henri de Maleville (1870-1955), envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Monaco en Italie.

À bord du yacht royal anglais Victoria and Albert,
à Kiel, le 29 juin 1904
[avec Edouard VII et Guillaume II]
© DR – Archives du Palais Princier de Monaco
* Voir René DIANA, « Le voyage du prince Honoré III en Angleterre (1768) (d’après les lettres et rapports du général Millo », Annales monégasques. Revue d’histoire de Monaco, n° 12, 1988, p. 7-52.
Cet article est consultable sur le site des Annales Monégasques. L’abonnement au volume de l’année (25 euros) donne accès à l’ensemble des passionnantes archives numériques de la revue. L’article peut également être téléchargé, en fichier pdf, au prix de 3 euros.