Un portrait de Catherine de Médicis et des derniers Valois
Strawberry Hill House
par Silvia Davoli
Research Curator
Catherine de Médicis et ses enfants (Catharine de’ Medici and her children), atelier de François Clouet, 1561, 198 x 137,2 cm © Strawberry Hill House / Matt Chung
La présentation en anglais est disponible ici.
Strawberry Hill House, la villa gothique construite par Horace Walpole au XVIIIe siècle, se trouve à Twickenham et est aujourd’hui ouverte au public. Jusqu’en 1842, ses pièces étaient remplies d’œuvres d’art et de splendides tableaux, qui ont malheureusement été dispersés lors d’une vente aux enchères cette année-là. Par chance, certains des trésors de Walpole ont finalement retrouvé le chemin de Strawberry Hill. Par exemple, un imposant portrait de Catherine de Médicis et de ses enfants est revenu au musée récemment, au titre d’une dation en paiement (Acceptance in Lieu), négociée par le Arts Council. [NDLR : dans le cadre d’une succession, l’Etat accepte la donation d’une œuvre ou d’un objet d’importance nationale, en lieu et place des droits de succession.]
Le portrait représente Catherine de Médicis (1519-1589), alors veuve et donc vêtue de noir. Elle tient la main de son troisième fils, Charles IX (1550-1574). Il a été couronné roi de France le 5 décembre 1560, à l’âge de 10 ans, et c’est elle qui a exercé la régence pendant les trois premières années de son règne. L’inscription située en dessous de lui, ANN AETA SUAE XI (« dans sa onzième année »), permet de dater l’œuvre et de dire que Charles est récemment monté sur le trône. A ses côtés, on voit son frère, qui est aussi son héritier, le futur Henri III, représenté de la même manière que Charles ; leur sœur, Marguerite de Valois (1553-1615), future reine de Navarre, apparaît derrière eux ; leur frère, François-Hercule (1555-1584), duc d’Alençon et futur duc d’Anjou, se trouve en avant, séparé, du fait de son âge et de son statut. La posture de Catherine est hautement symbolique : elle présente le jeune monarque et, tout à la fois, le garde auprès d’elle dans une attitude protectrice.
Catherine de Médicis n’a jamais gouverné en son propre nom, mais elle est tout de même l’une des figures politiques les plus influentes de l’Histoire de France, en même temps que l’une des plus controversées. Dès son époque, l’image de Catherine a pâti de la combinaison de plusieurs facteurs : son manque d’autorité légitime, le fait qu’elle soit une femme et de surcroit une étrangère, les difficultés engendrées par la guerre civile religieuse. Ainsi Catherine a-t-elle immédiatement été jugée comme coupable du massacre des Huguenots, qui cherchaient quelqu’un à blâmer pour ce crime. Mais c’est seulement à partir du XVIIIe siècle qu’une légende noire a commencé à l’entourer. Depuis presque trois siècles, Catherine de Médicis a personnifié quelques-uns des traits de caractère les plus déplaisants : froide, cruelle, calculatrice, perfide, méchante. C’était un monstre d’ambition égoïste, qui était prête à tout sacrifier pour satisfaire son propre désir de pouvoir. Walpole partageait cette image et considérait Catherine comme une reine italienne méchante et machiavélique. Des recherches historiques plus récentes et plus précises ont démontré que les charges qui pesaient contre elle étaient complètement fausses et dénuées de fondements historiques. Pourtant, le mythe de la mauvaise reine perdure, comme le montre une nouvelle série télévisée au nom évocateur : The Serpent Queen.
Notre tableau a clairement été commandé afin de mettre en avant la souveraineté des Valois. Il s’agit sûrement d’une commande royale. Pourtant, la qualité de la peinture n’est pas comparable à celle d’autres portraits, comme ceux de François Clouet. Une autre difficulté provient du fait qu’il n’apparaît pas dans les archives, notamment dans les inventaires très complets qui ont été réalisés à la mort de Catherine. Cette absence de preuve concrète continue à intriguer les spécialistes. L’analyse technique confirme que l’œuvre a été peinte au XVIe siècle et la référence à l’année 1561 laisse supposer qu’il s’agit bien de l’année de sa création. Il représente les derniers membres de la dynastie des Valois, dont le règne, nous l’avons vu, a été marqué par les guerres de Religion. Le tableau est à la fois unique d’un point de vue historique, puisque c’est le seul portrait contemporain de Catherine de Médicis avec quatre de ses douze enfants, et rare d’un point de vue artistique, parce que très probablement le premier portrait en pied de ce type, lançant une mode qui devait devenir une sorte de norme dans l’art du portrait royal.
Horace Walpole était un avide collectionneur de portraits historiques et s’intéressait énormément à l’Histoire de France et à ce qu’on appellerait aujourd’hui la culture visuelle. C’est surprenant, mais il n’y aucune référence à ce tableau dans l’énorme correspondance de Walpole. La première mention apparait dans la Description de la Villa et de son contenu (Description of the Villa and its contents), publiée par Walpole en 1774 : « un grand tableau de Catherine de Médicis et ses enfants, Charles IX, Henri III, le duc d’Alençon et Marguerite, reine de Navarre, en pied, par Janet. (69) » (« A large piece of Catharine de’ Medici and her children, Charles 9th. Henry 3rd. the duke d’Alençon, and Margaret’s queen of Navarre; whole lengths, by Janet. (69) ») C’est seulement dans la nouvelle édition de la Description, publiée en 1784, que Walpole évoque clairement la provenance de l’œuvre : elle a été acquise auprès de Monsieur Byde, résidant dans le Hertfordshire. Le livre de compte de Walpole précise qu’elle a été achetée pour 25 livres. Une somme considérable pour l’époque !