# 20 // Lloyd’s of London

Si vous passez par Leadenhall Street et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous au pied du bâtiment de la Lloyd’s of London.
Situé en plein cœur de la Cité de Londres, l’étonnant édifice voisine aujourd’hui avec certains des immeubles les plus emblématiques de la capitale britannique : le Leadenhall Building, la Willis Tower, et, un peu plus loin, le 30 St Mary Axe (le Gherkin) et le 20 Fenchurch Street (le Walkie Talkie). Le Lloyd’s Building a aussi son surnom : le Inside-Out ! Pourquoi ? Parce que l’architecte Richard Rogers, aujourd’hui The Lord Rogers of Riverside, a éparpillé tout au long des façades extérieures les gaines électriques, conduits de ventilation, tuyaux d’eau, ascenseurs et autres escaliers, afin de complètement dégager l’espace intérieur. Ce qui est normalement dedans est dehors : Inside-Out !
Concrètement, le bâtiment, achevé en 1986 et inauguré par la reine Elizabeth, se compose de six tours réparties autour d’une cour centrale, de forme rectangulaire. Aux premiers niveaux, les espaces sont entièrement ouverts sur cette cour, qui forme une sorte d’atrium, entourée de vastes balcons et fermée par une voûte en berceau complètement vitrée. Cet atrium, c’est la fameuse Underwriting room, que les gens de la Lloyd’s appellent tout simplement The Room.
Au commencement, à la fin du XVIIe siècle, il y avait la Lloyd’s Coffee House, un « café » ouvert sur Tower Street par un certain Edward Lloyd, vers 1686. C’était un établissement fréquenté par des marchands, des armateurs et des capitaines de navires. On y parlait donc de navigation, de commerce, de voyages à travers le monde. On y prit l’habitude de traiter ses affaires et on commença à négocier des assurances pour les bateaux et leurs cargaisons. La Lloyd’s of London est ainsi la plus ancienne institution d’assurance maritime du pays, qui allait bientôt s’installer sur Lombard Street, puis au Royal Exchange.
Sa particularité, c’est que ce n’est pas une compagnie d’assurance, comme toutes les autres firmes, mais un marché d’assurances. Si elle fut d’abord spécialisée dans le transport maritime, ses activités se sont diversifiée et la Lloyd’s of London est aujourd’hui connue pour assurer des « choses » peu communes comme, dit-on, les cordes vocales de Céline Dion, les jambes de Tina Turner, le sourire d’America Ferrera (Ugly Betty), les doigts de Keeth Richards et l’outil de travail d’un célèbre acteur de films pour adultes… Apparemment, une troupe de comiques serait également assurée si un de ses spectateurs venait à mourir de rire ! Peut-être, dans ce cas-là, la cloche de la Lloyd’s viendrait-elle à sonner.
Au milieu de The Room, sous un impressionnant édicule dénommé le Rostrum, la cloche de la Lutine (Lutine Bell) a été réinstallée après la construction du bâtiment de Rogers. Frégate de la Marine française lancée le 11 septembre 1779, la Lutine (la femme du lutin !) fut capturée par la Royal Navy et passa sous pavillon britannique en 1793. Elle fut coulée quelques années plus tard, le 9 octobre 1799, au large des Pays-Bas. La cloche de 48 kg et 46 cm de diamètre fut redécouverte le 17 juillet 1858 et transportée à la Lloyd’s, qui siégeait alors au Royal Exchange de Cornhill. On prit l’habitude de sonner la cloche dès lors qu’on avait des nouvelles d’un navire et de sa cargaison : deux coups s’ils étaient arrivés à bon port, un coup s’ils étaient perdus, comme en avril 1912, lorsqu’on apprit le naufrage du Titanic, assuré par la Lloyd’s pour un million de livres sterling quelques semaines plus tôt. La cloche commençant à se fissurer, on ne l’utilisa plus que pour marquer des grands événements, comme la mort d’un membre de la famille royale ou celle de Winston Churchill, les attentats du 11 septembre ou le tsunami de 2004.
Autre curiosité du Lloyd’s Building, la salle du Conseil (Committee Room), qu’on appelle également Adam Room. Située au onzième étage, elle renferme des intérieurs conçus en 1763 par Robert Adam (voir la balade # 8) pour Bowood House, la demeure du deuxième comte de Shelburne, dans le Wiltshire. En 1956, alors que des représentants de la Lloyd’s assistaient à une vente aux enchères dans le but d’acquérir la cheminée en marbre de la salle à manger de Bowood House, pour le bureau de leur président, ils achetèrent en fait l’intégralité du décor de la pièce, soit 30 tonnes de pierre, stuc, marbre et autre ornements néoclassiques. Ils furent découpés en 1500 pièces numérotées et remontés dans l’ancien siège de la Lloyd’s, avant d’être déplacés dans le bâtiment actuel.
De cet ancien siège, il reste également la monumentale entrée située au 12 Leadenhall Street (l’entrée actuelle est sur Lime Street). C’est un parfait exemple de façadisme (on parle parfois de bruxellisation, tellement cette pratique est devenue commune dans la capitale belge) : lorsqu’on a démoli l’ancien siège pour construire le nouveau, on a conservé la façade de l’entrée historique. Edifiée par Sir Edwin Cooper entre 1925 et 1928, elle est centrée sur une niche demi-circulaire, coiffée d’un demi-dôme à caissons, qui surplombe la porte et sa fine balustrade. L’étage d’attique est percé de cinq fenêtres carrées et couronné par un colossal fronton, sculpté par Charles Leighfield Jonah Doman. Tout cela tranche évidemment avec les tubes en acier et les piliers en béton armé de Richard Rogers.