Si vous passez pas Hampstead Heath et que vous avez un peu de temps, arrêtez-vous à The Hill Garden and Pergola.
Pour y accéder, il faut suivre North End Way et tourner dans Inverforth Close. Le jardin, qui appartient à la Cité de Londres, est assez connu du grand public, mais les visiteurs s’interrogent sans doute souvent sur son histoire et, surtout, sur la magnifique demeure dont il dépendait autrefois.
Une première demeure avait été édifiée ici en 1807, mais elle fut entièrement reconstruite vers 1895, dans un style dit néogéorgien, par les architectes Grayson and Ould (George Enoch Grayson et Edward Ould), de Liverpool. Elle aurait été édifiée pour (ou aurait été rachetée juste après sa construction par) un certain George Fisher, marchand d’art et commissaire-priseur fortuné. Il est le père de Sir Ronald Fisher (1890-1962), considéré comme un des pères de la science des statistiques, mais dont les idées sur l’eugénisme et les races feraient sans doute scandale aujourd’hui. Kate, épouse de George et mère de Ronald, mourut en 1904 et, quelques mois plus tard, son mari fit faillite, obligeant ce qui restait de la famille a quitter la belle demeure d’Hampstead pour s’installer à Streatham.
Elle fut alors rachetée par William Lever, industriel qui avait fait fortune dans le savon. En 1885, il avait créé, avec son frère James, la compagnie Lever Brothers. Ils furent les premiers à produire des savons à partir d’huile végétale. En 1930, après la mort de William, la compagnie fusionna avec une marque néerlandaise de margarine, Margarine Unie, pour former la fameuse compagnie Unilever. Mais c’est une autre histoire. Député libéral de 1906 à 1909, il fut l’un des plus ardents défenseurs de l’Empire britannique et de la colonisation de l’Afrique et de l’Asie. Il faut dire que l’huile de palme, produite dans les colonies, était le principal ingrédient de ses savons. William Lever serait lui-aussi contesté de nos jours, puisqu’il fut complice des atrocités commises en Afrique, notamment dans le Congo du roi Léopold II des Belges. Sa fortune, en tout cas, lui permit d’améliorer considérablement sa nouvelle demeure, qui n’en était d’ailleurs qu’une parmi tant d’autres. Il fit appel à Grayson et Ould, qui avaient construit le manoir quelques années plus tôt, mais aussi à l’architecte Leslie Mansfield et au paysagiste Thomas Hayton Mawson. Deux ailes latérales furent ajoutées, dans le style Queen Anne, ainsi qu’une véranda d’ordre ionique qui court tout au long de la façade, du côté des jardins (photographie de gauche). Du côté de l’entrée, une nouvelle aile abritait une splendide bibliothèque (photographie du milieu). Quand à la terrasse, elle cachait une véritable salle de bal ! A l’intérieur, Lever exposait ses œuvres d’art et son mobilier précieux dans une série de periods rooms, allant du style jacobéen (du nom de Jacques Ier, qui régna sur l’Angleterre de 1603 à 1625), au style William and Mary (fin XVIIe-début XVIIIe), en passant par le style Adam (voire la balade # 8). En 1911, il devint Sir William, puis Lord Lever, comme baron Leverhulme le 21 juin 1917 (Hulme était le nom de jeune fille de sa femme, Elizabeth) et finalement vicomte Leverhulme le 27 novembre 1922. Le 7 mai 1925, à l’âge de 73 ans, il s’éteignit d’une pneumonie dans sa demeure d’Hampstead. Ses funérailles furent suivies par 30 000 personnes.
Il convient de noter qu’il était également le propriétaire d’une demeure historique. En 1825, York House avait été édifiée aux abords du palais de Saint-James, pour le duc d’York, frère de Georges IV. Elle devint Stafford House lorsqu’elle fut rachetée par le marquis de Stafford. C’est Lever qui la renomma Lancaster House (il était né dans le Lancashire), lorsqu’il en fit l’acquisition en 1912, avant de l’offrir à la Nation l’année suivante. On connait toujours sous ce nom l’élégant édifice qui trône à l’angle de Green Park et du Mall et dont les intérieurs sont souvent utilisés dans les films censés se passer au palais de Buckingham.
En 1925, la résidence du vicomte Leverhulme, connue sous le nom de The Hill, fut acquise par un autre self-made-man : Andrew Weir, 1er baron Inverforth. D’origine écossaise, il avait fait fortune dans les transports maritimes, à travers la Bank Line, devenue la plus importante compagnie de navigation commerciale britannique. Lui aussi mourut à Hampstead, le 17 septembre 1955, dans la maison qui porte encore son nom : Inverforth House. Elle fut offerte au Manor House Hospital, qui en fit le Orthopaedic Society Hospital. Elle conserva cette fonction pendant une trentaine d’années avant d’être transformée en appartements de luxe dans les années 1990.
Une partie des sublimes jardins constitués par Mawson, et notamment l’immense pergola, fut offerte à la Cité de Londres et est aujourd’hui ouverte au public sous le nom de The Hill Garden and Pergola (photographie de droite).


