ENVISIONING AN EMPIRE

Du 20 mai au 27 juin 2021, dans la cadre de l’exposition Envisioning an Empire: Napoleon and Josephine Reunited After 200 Years, la galerie d’art Robilant+Voena a présenté au public deux des plus anciens portraits de Napoléon et Joséphine Bonaparte. L’un d’eux appartient au comte de Rosebery et a été prêté dans le cadre de l’exposition. Le texte qui suit a été traduit de l’anglais et adapté par Thomas Ménard, avec l’aimable autorisation de la galerie Robilant+Voena.

Robilant+Voena
38 Dover Street / London W1S 4NL

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Robilant+Voena a le plaisir de présenter une exposition qui fera date, en réunissant les premiers portraits de Napoléon et Joséphine Bonaparte. Jeunes, amoureux, au début d’une campagne militaire largement victorieuse, le couple se présente à nos yeux à une étape précoce de leur remarquable histoire d’amour et au commencement d’un empire qui va changer le monde.
Robilant+Voena a récemment découvert que les Napoléon et Joséphine d’Appiani sont arrivés en Grande-Bretagne dans les bagages du comte de Wycombe vers 1797, et que c’est probablement le premier portrait d’après nature de Napoléon à entrer dans ce pays. Alors que les aspirations de Napoléon et du politicien whig étaient très proches, pour un très court moment, l’acquisition du portrait d’Appiani d’un Napoléon triomphant était un choix politique astucieux, puisque le tableau était utilisé pour défendre la prise de pouvoir de Napoléon.
Marié le 9 mars 1796, Napoléon partit deux jours plus tard pour prendre le commandement de l’armée française en Italie. L’artiste milanais Andrea Appiani peignit ce portrait après sa victoire à la bataille de Lodi, le 10 mai 1796. Enchanté par cette oeuvre, Napoléon commanda le portrait de sa nouvelle épouse, qui vint le rejoindre en Italie en juillet. Ensemble, ils constituent une paire de tableaux nuptiaux, remplis de symboles exprimant les espoirs du couple quant à leur union et à leur ascension vers le pouvoir.
Le portrait de Napoléon, et probablement celui de Joséphine également, furent ramenés en Grande-Bretagne par le comte de Wycombe peu après leur réalisation. En tant que politicien du parti whig, il espérait que Bonaparte pourrait limiter les excès de la Révolution française. En 1800, Wycombe diffusa une gravure tirée du portrait de Napoléon. Cet élément de propagande justifiait les succès du jeune général. Nous savons maintenant que ces tableaux sont les premières œuvres d’art qui illustrent les relations longues et souvent paradoxales entre les Britanniques et Napoléon.
Conscient du pouvoir des allusions à l’art classique, Napoléon est déjà en train de forger son image de futur empereur. Il tend sa main vers le Génie de la Victoire, qui inscrit les noms des triomphes militaires de Napoléon en Italie. Le portrait de Joséphine est bien différent, illustrant son amour pour les fleurs et empli d’allégories et d’images évoquant la naissance d’une dynastie.
Robilant+Voena remercie le comte de Rosebery pour le prêt généreux de Napoléon Bonaparte et le Génie de la Victoire, qui fait partie des collections de Dalmeny House depuis 1885.

Commissaire de l’exposition : Carolyn H. Miner.

Andrea Appiani (1754-1817), Napoleon Bonaparte with the Genius of Victory, 1796.
Huile sur toile, 96 x 76 cm.

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Napoléon se tient debout, triomphant, avec la bataille de Lodi en arrière-plan. Il fait signe au génie ailé de la victoire, qui inscrit sur un bouclier resplendissant la liste de ses succès militaires en Italie.
Ce tableau est le premier portrait en pied de Napoléon et le premier portrait du jeune général à arriver en Grande-Bretagne. Il revêt donc une importance considérable dans l’histoire de Napoléon et de sa remarquable carrière, ainsi que dans celle de ses relations avec la Grande-Bretagne.
Dans son Napoléon Bonaparte et le Génie de la Victoire, Andrea Appiani célèbre la conquête de l’Italie par ce général de 27 ans. Il le représente au début de ce qui allait être une ascension vers le pouvoir météorique. Même si la bataille de Lodi n’a pas été décisive au cours de la campagne, c’est un moment clé dans la légende napoléonienne. Napoléon la cite elle-même comme l’épisode qui l’a convaincu de sa supériorité face aux autres généraux et de l’inexorabilité de sa route vers le gloire. Ce portrait est d’ailleurs le premier exemple où Napoléon utilise une bataille pour forger l’image du futur empereur.
Marié le 9 mars 1796, Napoléon partit seulement deux jours plus tard pour prendre le commandement de l’armée française en Italie. Après la victoire du pont de Lodi, le 10 mai 1796, il se rendit à Milan, où il entra en triomphe cinq jours plus tard. Il engagea rapidement l’artiste milanais Andrea Appiani et posa pour un portrait au charbon et à la craie. Ravi par sa ressemblance, il commanda un portrait en pied pour commémorer le succès de la campagne d’Italie. Il y apparaît foulant du pied le drapeau autrichien.
Appiani joua un rôle essentiel dans la création de l’héritage visuel de Napoléon en Italie. Après que ses premiers portraits du jeune général eurent été reçus favorablement, il fut couvert d’honneurs, de commandes et d’opportunités pour les années à venir. Il fut nommé « commissaire supérieur » en charge de la sélection des œuvres d’art de Lombardie et de Vénétie à expédier à Paris. Alors qu’il visite la ville sur ordre de Napoléon, en 1801, il découvre le néoclassicisme austère de Jacques-Louis David, qui va avoir un impact décisif sur son propre style. En 1800, Appiani avait été invité à concevoir un important cycle de fresques à la gloire de Napoléon pour la salle des Cariatides du palais royal de Milan. De la fin des années 1790 aux années 1810, il a également réalisé de nombreux portraits de Bonaparte et de membres de sa famille. Appiani a reçu le titre de « premier peintre » en 1805, l’année où il a peint le plus fameux de ses portraits de Napoléon, celui où il le représente en roi d’Italie, et dont on connait plusieurs versions.
Napoléon Bonaparte et le Génie de la Victoire fait l’objet d’un article assez long dans un journal milanais du 9 juin 1796, qui évoque la rapidité avec laquelle l’œuvre a été exécutée, une nécessité étant donné l’extrême versatilité du climat politique. Le texte décrit ainsi le portrait : « La figure du général Bonaparte se dresse, sublime, avec une grande dignité, avec de la majesté mais sans pompe, foulant du pied les drapeaux de l’Empire et de la Sardaigne, tenant dans ses mains un sabre dégainé, et l’autre main pointée en direction de la figure ailée qui se trouve sur sa gauche, et qui représente le Génie de la Victoire française. Il se tient à côté d’un palmier et grave la liste des extraordinaires victoires de Montenotte, Millesimo, Dego, Ceva, Mondovi, et du passage du Pô, sur un bouclier qui pend de l’arbre victorieux ».
Le portrait de Napoléon fut acheté par John Henry Petty, comte de Wycombe (1765-1809), peu après avoir été terminé. Il s’était embarqué dans un Grand Tour de l’Italie en 1793, en commençant par Florence et en faisant le tour de la péninsule, avant d’arriver à Turin en février 1796, et de rejoindre Milan peu après. Pendant une courte période, Napoléon reçut le soutien des whigs en Grande-Bretagne. L’acquisition du portrait de Napoléon triomphant par Appiani fut un choix politique astucieux de la part de Wycombe, puisque ce portrait fut utilisé pour défendre l’accession au pouvoir de Napoléon. En rentrant en Angleterre, Wycombe écrivit à son ami, lord Holland : « [Bonaparte] n’a effectivement pas de modèle en dehors de l’Antiquité. C’est un jeune homme chanceux, qui devrait désirer disparaître de cette terre, puisque les honneurs d’une apothéose pourraient lui être conférés, alors que sa gloire est encore récente et qu’il pourrait ainsi cesser d’être l’objet de jalousie et d’appréhension de la part d’hommes inférieurs ».
Wycombe commanda bientôt une gravure de la peinture à John Raphael Smith, qui fut diffusée à Londres à partir de janvier 1800. Alors que l’image de Napoléon apparaissait déjà en Grande-Bretagne sous la forme de caricatures dans les gravures satiriques, c’était la première basée sur un portrait peint d’après nature.
Le portrait de Napoléon par Appiani fut vendu après la mort de la veuve de Wycombe en 1833 [chez Christie’s, à Londres, le 2 mai 1835, lot 71, comme « école française », pour la somme de £2 12s 6d, à un certain Clark. Il passe ensuite à un William Russell et, à sa mort, est à nouveau vendu chez Christie’s, à Londres, les 5 et 6 décembre 1884, lot 170, cette fois pour £32 11s, à un certain Davis, probablement Frederick Davis, installé 100 Bond Street, pour le compte d’Archibald Philip Primrose, 5e comte de Rosebery.] En 1885, il entre dans la collection du 5e comte de Rosebery, un grand collectionneur d’œuvres d’art et d’objets en lien avec Napoléon. Il est depuis exposé à Dalmeny House, dans une salle consacrée à la collection napoléonienne du 5e comte, l’une des plus importantes de ce genre en dehors de France. [Il appartient aujourd’hui à Neil Archibald Primrose, 7e comte de Rosebery.]
Dans son ascension vers l’Empire, Napoléon imitait les méthodes militaires et diplomatiques des grands chefs de l’ancien monde. Il était profondément inspiré par les héros de l’Antiquité, tels qu’Alexandre le Grand et Jules César, et il s’appropriait certains aspects du langage visuel de leurs anciennes civilisations pour créer son propre vocabulaire du pouvoir, souhaitant transmettre un sens de la permanence, de la gloire et de la grandeur. A travers cela, Napoléon définit l’art et la mode de son empire. Sa fière posture et le génie de la victoire inspiré de l’âge classique témoignent des début d’une manipulation volontaire de son image.
L’exposition Envisioning an Empire: Napoleon and Josephine Reunited After 200 Years coïncide avec le bicentenaire de la mort de Napoléon sur l’île de Sainte-Hélène. Napoléon avait lui-même déclaré : « il n’y a pas d’immortalité, mais simplement le souvenir qu’on laisse dans l’esprit des gens ». Même s’il est mort en exil, le souvenir du général qui a presque créé un empire européen continue de symboliser la grandeur et de fasciner les générations successives.

Andrea Appiani (1754-1817), Josephine Bonaparte Crowning the Myrtle Tree, 1796.
Huile sur toile, 98 x 73,5 cm

Copyright © 2021 Robilant+Voena

Le gracieux portrait de Joséphine Bonaparte couronnant le myrte a été peint par Andrea Appiani pendant l’été 1796, peu après l’arrivée en Italie de la future impératrice tout juste mariée. Il devait répondre au premier portrait de son époux, peint par Appiani après la bataille de Lodi du 10 mai précédant. A ce jour, c’est le plus ancien portrait en pied connu de Joséphine.
Les circonstances de la commande sont rappelées dans une poésie laudative, contenue dans un pamphlet non daté mais contemporain, intitulée Ad Andrea Appiani egregio pittor Milanese in occasione di aver fatto I ritratti del General francese Bonaparte e della Cittadina sua sposa (A Andrea Appiani, fameux peintre milanais, à l’occasion de la création des portraits du général français Bonaparte et de son épouse, la citoyenne Bonaparte). L’auteur, Angelo Petracchi, un poète romain connu sous le pseudonyme d’Eurindo Epirotico, nous apprend qu’Appiani, qu’il compare à Appelle de Cos et Raphaël, après avoir terminé le portrait de Napoléon en « nouveau Bélisaire », tourne son pinceau vers « celle qui l’a rendu fou d’amour ». Joséphine, note-t-il en vers, « est représentée portant dans ses mains une couronne où les roses et les marguerites sont entremêlées de laurier et de chêne, et elle couronne la myrte avec sa gerbe, comme un sacrifice à l’amour ». Petracchi continue en louant la « langoureuse » beauté de la future impératrice et note notamment « ses yeux de Créole, ses yeux doux et plaintifs, presque irrésistibles, le principal objet du désir de ses nombreux soupirants ».
Sur le portrait, Joséphine est représentée en déesse de l’amour, simplement et élégamment vêtue d’une de ces robes de mousseline froissée qu’elle affectionne et qui rappellent les robes de l’antiquité. Dans un ancien rituel de sacrifice, elle offre une couronne au myrte, l’arbre sacré de Vénus. La couronne rassemble des roses roses et rouges, allusion à l’un des prénoms de Joséphine (Marie Josèphe Rose Tascher de la Pagerie), des lys, symbole traditionnel de pureté, et des feuilles de chêne et de laurier, emblèmes de son héroïque époux. Des « ne m’oubliez pas », le surnom du myosotis, sont mélangés avec les fleurs des amoureux. D’autres fleurs à la portée symbolique entourent le tronc du myrte, notamment des tournesols (admiration, loyauté et longévité), des marguerites (innocence et pureté), des asters (associées à Vénus) et d’autres lys et myosotis. Peint avec précision, le feuillage s’avère être un bel hommage à cette femme qui deviendra une incroyable collectionneuse de spécimens botaniques, l’ « impératrice botaniste » de Malmaison.
Ces symboles d’union étaient tout à fait appropriés dans la mesure où le couple s’était récemment marié, le 9 mars 1796. Comme Napoléon partait pour l’Italie deux jours plus tard, le mariage avait été hâtif, célébré avec de nombreuses irrégularités, notamment de fausses déclarations sur les dates de naissance, afin de réduire la différence d’âge entre les deux époux : la mariée fut rajeunie et le marié doté de quelques années de plus. Quoiqu’il en soit, dans les tableaux d’Appiani, ils pouvaient s’identifier aux amoureux de la mythologie qu’étaient Mars et Vénus.
En effet, des références à des histoires d’amour de l’Antiquité sont dissimulées dans la composition architecturale des peintures et dans le paysage d’arrière-plan. Les statues d’Eros, le dieu de l’Amour, et d’Himeros, le dieu de l’amour non partagé et du désir sexuel, président la scène depuis leur niche, tandis que des bas-reliefs représentant d’un côté Léda et le Cygne, d’un autre Europe et le Taureau, décorent la balustrade. Plus loin, le triomphe d’Amphitrite se déroule sur les eaux. Ce triomphe complète les sujets matrimoniaux de l’œuvre et font peut-être allusion au fait bien documenté que Joséphine avait d’abord résisté à la cour entreprise par Napoléon. Amphitrite, qui avait fui les avances de Neptune, retourne à lui après qu’on l’eût persuadée de devenir son épouse. Quant à Europe, elle a donné son nom à un continent et le fils qu’elle a eu de Zeus, Minos, roi de Crête, a donné naissance à la civilisation minoenne, qui est le point de départ de l’histoire européenne. Cette scène évoque peut-être les ambitions de conquête de Napoléon, autant que son espoir en une union féconde avec Joséphine, puisque la naissance d’un fils permettrait de consolider son héritage et son empire.
Un dessin préparatoire, aujourd’hui dans les collections du château de Malmaison, près de Paris, montre Joséphine légèrement plus grande qu’elle apparaît sur le portrait final. Sur ce dessin, elle a la même taille que Napoléon sur la peinture de Dalmeny House. On peut supposer qu’Appiani a réduit la taille du personnage de Joséphine afin de faire de la place pour son important programme iconographique, composé d’éléments architecturaux et floraux. De la même manière, les caractéristiques assez communes du visage de Joséphine sur le dessin suggèrent qu’il a commencé son œuvre avant même de rencontrer son modèle, peut-être sur ordre de Napoléon.
Le Napoléon Bonaparte et le Génie de la Victoire d’Appiani célèbre la conquête de l’Italie par le général et commémore l’ascension du nouvel arbitre de l’Europe. Le portrait de Joséphine revêt un caractère bien différent. Bien que rempli de symboles des espoirs du couple quant à leur union et de leurs aspirations à fonder une dynastie, il offre également une image joyeuse et romantique de l’épouse chérie de Napoléon. Ensemble, les portraits forment une paire de portraits nuptiaux légèrement en retard. L’absence de formalisme du tableau de Joséphine, en même temps que son atmosphère magique, entre histoire et mythe, offrent un aperçu du modèle en tant qu’épouse et amoureuse, bien différent des nombreux portraits officiels qui ont forgé son image. Ici, elle est simplement une belle femme aimée par l’homme le plus puissant du monde.
Il est presque certain que Wycombe acheta également le portrait de Joséphine, qui fut lui aussi envoyé en Angleterre et a peut-être été vendu par sa veuve en 1835. Napoléon n’était plus vraiment à la mode à cette époque et, dans la mesure où le tableau n’était pas signé, il a été attribué par erreur à Pietro Benvenuti et nommé La Sybille.

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