# 9 // Liberty of the Clink

Si vous passez par Southwark et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à Clink Street.
Avant-hier, nous suivions William Shakespeare autour du Globe. Ce qui avait attiré les Lord Chamberlain’s Men de ce côté de la Tamise, c’était la protection offerte par la Liberty of the Clink. En droit anglais, une liberty est un territoire où l’autorité du roi a été transférée, non pas à des corps constitués, comme dans les cités et les comtés, mais à des personnes privées. C’est une sorte de seigneurie – ici, on dirait un manoir, manor – où le seigneur est l’unique détenteur du pouvoir. Cela peut nous paraître concevable pour la période médiévale, mais force est de constater que ce genre de statut n’a été supprimé qu’à la fin du XIXe siècle, en avril 1889. Il reste toutefois deux exceptions, Middle Temple et Inner Temple, qui, même s’il ne s’agit pas de liberties, constituent des enclaves presque totalement indépendantes de la Cité de Londres.
Mais revenons à la Clink. Au début du XIe siècle, Henri Ier Beauclerc accorde un vaste territoire à l’abbaye de Bermondsey, autour du village qui se trouve à l’extrémité du pont de Londres. En 1149, une partie de ce territoire est vendu à l’évêque de Winchester, Henri de Blois, le frère du roi Etienne. Celui-ci en fait une liberty, la Liberty of Winchester. Du coup, le territoire (28 ha) ne relève pas du comté de Surrey, auquel il appartient d’un point de vue strictement géographique, et encore moins de la cité de Londres, située de l’autre côté du pont.
L’autorité des évêques de Winchester sera symbolisée, à travers les siècles, par leur demeure, Winchester House, dont il reste aujourd’hui le pignon de la grande salle (photographie de gauche), mais surtout par leur prison. En tant que détenteurs du pouvoir judiciaire dans leur territoire, les évêques se devaient d’avoir leur prison, notamment pour enfermer les mauvais payeurs. Cette prison devint connue sous le nom de Clink, peut-être pour rappeler le bruit des portes de fer qui se refermaient sur les prisonniers, à moins que ce ne soit celui de leurs chaînes. Du coup, on parla bientôt de la Liberty of the Clink. Aujourd’hui, un musée rappelle l’histoire de cette geôle et des horribles conditions infligées aux détenus (photographie du milieu).
Mais la Liberty offrait également de nombreux avantages. Comme vous l’aurez compris, l’interdiction des théâtres et des troupes n’y avait pas cours : c’est ce qui a attiré Shakespeare et ses amis. Les mœurs y étaient beaucoup plus libres puisque la prostitution n’y était pas interdite. Les prostituées étaient même sous la protection de l’évêque. On les appelait les « oies de Winchester » (Winchester Geese) ! L’expression « se faire mordre par une oie de Winchester » signifiait quant à elle « attraper une maladie vénérienne ».
Mais ces femmes, dites de petite vertu, posaient un problème. De par leurs activités, leur taux de mortalité était beaucoup plus élevé que celui de la majorité des femmes de l’époque, pourtant déjà très haut. Or, leur profession leur interdisait d’être enterrées en bonnes chrétiennes. Un des évêques de Winchester décida donc d’ouvrir un cimetière non consacré dans sa Liberty of the Clink. La première mention date de 1598, mais il est certainement beaucoup plus ancien. Vers 1769, on commença également à y enterrer les miséreux du quartier, qui étaient fort nombreux. Il fut finalement fermé en 1853… et redécouvert, 150 ans plus tard, lors des travaux de la Jubilee Line. Les archéologues du Museum of London estiment que 15 000 personnes y sont inhumées, souvent empilées les unes sur les autres. Cross Bones, situé sur Redcross Way, est devenu aujourd’hui un espacé mémoriel, géré par une association. La grille est encombrée de rubans, de messages, de fleurs, hommages des habitants d’aujourd’hui aux habitants d’hier (photographie de droite).
Quant à la Liberty de Clink, elle a été supprimée, comme les autres, en 1889, et rattachée au nouveau comté de Londres.

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