Si vous passez par Chislehurst et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à Camden Place.
Depuis le portail du Chislehurst Golf Club, vous pourrez admirer la façade principale de ce charmant manoir, qui fut un petit coin de terre française au milieu de la campagne anglaise, à la fin du XIXe siècle (photographie de gauche).
1870. Le mois de septembre est une succession d’événements dramatiques pour la famille impériale. 1er septembre : défaite de Sedan. 2 septembre : Napoléon III est prisonnier des Prussiens. 4 septembre : la République est proclamée, Eugénie quitte les Tuileries et se réfugie chez son dentiste américain. 8 septembre : Eugénie retrouve son fils, Louis-Napoléon, le Prince Impérial, à Hastings. 20 septembre : l’impératrice et sa suite s’installent à Camden Place.
Le manoir tire son nom de l’historien William Camden, qui vécut ici de 1609 jusqu’à sa mort, en 1623. Un siècle plus tard, en 1717, une nouvelle demeure, de style géorgien, fut édifiée à la place de l’ancien Camden Place. Au fil des décennies, elle fut agrandie et améliorée, notamment par l’architecte Charles Dance le Jeune, dont nous avons parlé avant-hier, à propos de Newgate Prison. Vers 1760, le domaine fut racheté par Sir Charles Pratt, un juriste londonien, de tendance radicale (entendez progressiste), qui allait devenir Lord High Chancellor of Great Britain (1766-1770) puis Lord President of the Council (1784-1794) et donc un des plus hauts personnages de l’Etat. En récompense, Sir Charles devint Lord Pratt en 1765, quand il fut élevé au titre de Baron Camden, of Camden Place in the County of Kent. Vingt ans plus tard, il devint le 1er comte Camden. En 1791, trois ans avant sa mort, il développa un nouveau quartier dans l’un de ses autres domaines, au nord de Londres : c’est Camden Town.
C’est donc dans l’ancienne demeure de ce progressiste que l’empereur déchu, libéré par les Prussiens, allait rejoindre sa famille, en mars 1871. Tout empereur autoritaire qu’il avait été, il se trouvait sans doute des points communs avec Lord Camden, lui qui aurait dit : « L’impératrice est légitimiste ; le Prince Napoléon [son cousin] est républicain ; Morny [son demi-frère] est orléaniste ; moi-même je suis socialiste ; il n’y a que Persigny qui soit bonapartiste, et il est fou ». Mais la vie familiale, loin du fardeau de la Cour et du gouvernement de la France, fut de courte durée puisque l’empereur s’éteignit à Camden Place le 9 janvier 1873, à l’âge de 64 ans. Une chapelle ardente fut dressée dans le hall du manoir (photographie du milieu), où 60 000 personnes vinrent s’incliner devant la dépouille de Napoléon III. Le 15 janvier, il fut inhumé dans l’église catholique Sainte-Marie de Chislehurst, à quelques centaines de mètres de Camden Place.
L’année précédente, le Prince Impérial avait été autorisé à rejoindre l’Académie royale militaire de Woolwich, située à quelques kilomètres, pour y apprendre l’artillerie, comme son père. Ce choix finira par lui être fatal. En 1879, une guerre éclate en Afrique du Sud, entre le Royaume-Uni et les tribus zoulous. Ses anciens camarades de Woolwich sont envoyés sur le front et Louis-Napoléon rêve de les y rejoindre. Il pense qu’il lui est nécessaire de connaître l’épreuve du feu pour prétendre régner un jour sur la France. Sous la pression de la reine Victoria, une grande amie de sa mère, et malgré les réticences des autorités militaires, il est finalement autorisé à s’embarquer pour l’Afrique, où il ne sera qu’un simple observateur. Malgré ces précautions, il tomba sous les coups de sagaie des Zoulous, le 1er juin 1879. Sa dépouille fut rapatriée à Londres et il fut inhumé au côté de son père, dans l’église Sainte-Marie. Plus tard, les cercueils de Napoléon III et du Prince Impérial furent transférés dans la crypte du monastère Saint-Michel de Farnborough, édifié par Eugénie au sud de Windsor et tout proche de sa nouvelle demeure. Elle quitta donc Camden Place pour rejoindre les deux hommes de sa vie. Elle fut inhumée auprès d’eux, il y a tout juste un siècle, en juillet 1920.
En plus de la stèle placée sur ordre de la reine Victoria à l’endroit de la mort de Louis-Napoléon, en Afrique du Sud, le souvenir du Prince Impérial est conservé à Chislehurst : la route qui passe devant Camden Place s’appelle Prince Imperial Road et un monument a été élevé en sa mémoire au bord de la route (photographie de droite). Orné des abeilles et des violettes des Bonaparte, il porte les inscriptions : « Napoleon – Eugene Louis Jean Joseph – Prince Imperial – Killed in Zululand – 1st June 1879″, » ‘I shall die with a sentiment of profound gratitude for Her Majesty the Queen of England, for all the Royal Family and for the Country where I have received during eight years such cordial hospitality’ (Last testament of the Prince) – In memory of the Prince Imperial and in sorrow at his death, this cross is erected by the dwellers at Chislehurst – AD 1880″.
Un grand merci à Juli Carpenter, directrice du Chislehurst Golf Club, et à Maddy, son assistante, qui ont eu la gentillesse d’accueillir l’auteur de cet article à Camden Place, le 23 février 2018.


