# 40 // Bunhill Fields

Si vous passez par Moorgate et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à Bunhill Fields.

C’est un ancien cimetière, véritable havre de paix en plein cœur de la capitale, aux portes de la Cité de Londres.

Mais revenons d’abord sur son emplacement. Le terme de Moorgate signifie que le rempart de la cité était percé d’une porte, qui donnait sur des marais, ce qu’on appelle aujourd’hui Moorfields. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, pendant des siècles, la ville s’est étalée le long de la route qui menait à Shoreditch, d’une part, et le long de celle qui menait à Hoxton, d’autre part, c’est-à-dire plus ou moins en prolongement de Bishopsgate et Cripplegate, tandis que la zone intermédiaire était restée vide, à cause des marécages. Sur les plans de l’époque géorgienne, et même plus tard, on trouve encore d’immenses espaces non-construits (voir The A to Z of Georgian London, Londres, London Topographical Society, 1982).
Pourquoi cette zone était-elle marécageuse ? On dit que c’est le rempart de la ville qui avait bloqué le cours de la rivière Walbrook et rendu la zone perpétuellement inondée. Et puis, au XVe siècle, les frères chartreux (Charterhouse) et les dirigeants de St Bartholomews (à la fois une église, un établissement monastique et un hôpital, voir la Balade # 35), décident de détourner les eaux de la Walbrook vers le cours de la Fleet, ce qui permet l’assèchement de la zone.
Une vieille poterne est transformée en véritable porte (Moorgate) en 1415. Celle-ci est agrandie en 1472 et en 1511. La zone située à l’extérieur des remparts reste malgré tout peu urbanisée, notamment parce que Moorgate est mal desservie par les rues de la Cité. Comme nous l’avons vu dans la Balade # 12, on profite de l’espace pour installer, en 1498, le terrain d’entrainement des artilleurs, qui existe toujours sous le nom d’Artillery Ground. Cette vaste étendue sert également à loger une partie des Londoniens chassés de la ville par le Grand incendie de 1666. Rappelons que celui-ci a détruit plus de 13 000 maisons et privé de domicile de 70 à 80 000 personnes. Ce n’est finalement qu’à la fin du XVIIIe siècle, avec l’aménagement de Finsbury Square, qu’on commence à développer un quartier, mais de vastes espaces restent plus ou moins vides. L’un d’entre eux est Bunhill Fields.

L’origine de ce nom est assez macabre. Cela viendrait de Bone Hill, c’est-à-dire la colline des os ! En 1549, en effet, l’ossuaire de la cathédrale Saint-Paul est démoli et des monceaux de reliques humaines doivent être relogés (l’équivalent d’un millier de charriots). Les autorités prennent la décision de les empiler dans Moorfields et de les recouvrir d’une couche de terre. Bone Hill, ou Bunhill, est née.
Puis, en 1665, la Corporation de la Cité de Londres (c’est-à-dire le gouvernement de la ville) décide d’y inhumer des personnes tuées par la grande épidémie de peste qui sévit en ville (l’un des effets bénéfiques du Grand incendie, l’année suivante, est de débarrasser la ville des rats qui répandent la maladie). C’est alors que la Corporation prend une décision essentielle pour la suite de l’histoire : le site est loué à un particulier, Monsieur Tindal, qui est autorisé à l’utiliser comme lieu de sépulture. Bunhill Fields devient donc un cimetière privé. Il est entouré d’un mur, mais n’a jamais été consacré par l’Eglise d’Angleterre, si bien que n’importe qui peut s’y faire inhumer, dès lors qu’il a les moyens de payer sa sépulture. C’est ainsi que le cimetière de Moorfields devient un lieu « à la mode » pour ceux qu’on appelle les Dissenters, les « dissidents » ou « non-conformistes », c’est-à-dire les protestants qui ne se reconnaissent pas dans l’Eglise d’Angleterre. Ce n’est sans doute pas un hasard si John Welsey, fondateur du méthodisme, installe son église de l’autre côté de la rue.
Finalement, la Cité de Londres reprend la gestion du site en 1791 et prend la décision, en décembre 1853, de fermer le cimetière, en vertu du Burial Act de 1852 qui stipule qu’un cimetière plein doit être fermé. La dernière inhumation se déroule le 5 janvier 1854, celle d’une certaine Elizabeth Howell Oliver. Toutefois, quelques personnes supplémentaires y sont enterrées dans les années suivantes, puisque cela est encore possible dans les caveaux familiaux. La dernière semble avoir été Madame Gabriel, de Brixton, en février 1860.
Pour éviter que le site ne soit repris par la Commission ecclésiastique, qui est propriétaire du lieu et souhaite y construire des bâtiments, le Parlement passe une loi en 1867, le Bunhill Fields Burial Ground Act 1867. Deux ans plus tard, le 14 octobre 1869, le lord maire de la Cité de Londres inaugure un nouveau parc public dans ce lieu hors du temps (photographie de gauche).

On considère qu’environ 123 000 personnes sont inhumées à Bunhill Fields. Comme nous l’avons dit, beaucoup d’entre eux sont des non-conformistes, qu’ils soient baptistes, unitariens, calvinistes, presbytériens. Mais on trouve également quelques personnes associées aux puritains, notamment des membres de la famille Cromwell : son gendre, le lieutenant général Charles Fleetwood, mais aussi l’épouse, des enfants et des petits-enfants du major Henry Cromwell, lui-même petit-fils de Cromwell. Toutefois, les deux plus célèbres « habitants » de Bunhill Fields sont William Blake (1757-1827), peintre, graveur et poète romantique, et surtout Daniel Defoe (vers 1660-1731), l’auteur de Robinson Crusoe (voir photographie du milieu).
Remarquons que le Thomas Hardy cité sur le pilier (photographie de droite) n’est ni le fidèle lieutenant de l’amiral Nelson (on se souvient de ses derniers mots à la bataille de Trafalgar : « Kiss me, Hardy »), ni le célèbre écrivain évoqué dans la Balade # 38 sur St Pancras Old Church (il avait réaménagé le cimetière, alors qu’il était architecte ; ses cendres se trouvent dans le Poet’s Corner de l’abbaye de Westminster).