Si vous passez par le Mall et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à Buckingham Palace.
Quelques mots d’abord, pour préciser qu’on ne doit pas prononcer le Mall à l’américaine (mole), comme le National Mall de Washington, D.C., mais à l’anglaise, comme un email. Le Mall, tout comme Pall Mall, fait référence à un sport, le jeu de mail, venu d’Italie. On l’appelle ainsi parce qu’il se jouait à l’aide d’un maillet. C’est en quelque sorte l’ancêtre du croquet, mais aussi du golf et même du billard. Par extension, c’est devenu le terrain où l’on jouait à ce jeu, très à la mode dans l’Angleterre du XVIIe siècle. Les souverains disposaient bien sûr de leur propre terrain, dans le parc du palais de Saint-James. Plus tard, ils sont devenus deux des artères les plus emblématiques du quartier royal.
Ce qui nous intéresse aujourd’hui, n’est ni le Mall, ni le Victoria Memorial qui se trouve à son extrémité, ni même le palais de Buckingham, qui feront sans doute l’objet d’autres articles. Ici nous parlerons de la grille de Buckingham Palace. Rappelons simplement que le palais fut d’abord Buckingham House, une résidence aristocratique rachetée par Georges III pour son épouse, la reine Charlotte (celle de la Balade # 24 sur Frogmore House), puis considérablement agrandie par leur fils, George IV (celui de la Balade # 19), et finalement habitée par leur petite-fille, la reine Victoria, dès 1837. Notre Mall est beaucoup plus tardif, puisqu’aménagé sous Edouard VII, le fils de cette dernière, comme en témoigne l’inscription de l’Admiralty Arch, qui se trouve à l’autre extrémité de l’avenue. De la même manière, l’emblématique monument à la reine Victoria a été dessiné dès après sa mort et inauguré au début du règne de son petit-fils, Georges V, le 16 mai 1911.
La grille de l’avant-cours de Buckingham Palace est une sorte de synthèse de toute cette histoire. C’est dans le contexte de l’aménagement de l’accès processionnel au palais que l’avant-cours a été conçue, sous le règne d’Edouard VII donc. C’est pour cela que l’on trouve son chiffre sur l’un des piliers (photographie de gauche). L’inscription EVIIR, c’est-à-dire, en latin, « Edwardus VII Rex », figure sur un cartouche ovale, entouré d’une couronne, a priori d’oliviers, et orné de nombreux éléments sculptés : deux cornes d’abondance remplies de fleurs, fruits et légumes ; quelques attributs des arts (musique, peinture) ; draperies ; guirlande constituée des trois symboles du Royaume-Uni, la rose d’Angleterre, le chardon d’Ecosse et le trèfle d’Irlande.
Un peu plus loin (photographie du centre), un autre pilier en est l’exact copie par symétrie, sauf que le cartouche renferme un chiffre différent. On aurait pu penser qu’il s’agissait d’un W, pour William, en référence à Guillaume IV qui, de mauvais gré, continua les travaux engagés par son frère aîné, Georges IV. Il aurait préféré continuer à vivre tranquillement à Clarence House (il avait été duc de Clarence avant de monter sur le trône), plutôt que dans cet immense palais en travaux. Bien heureusement pour lui, ceux-ci n’étaient toujours pas achevés à sa mort et c’est donc sa nièce, Victoria, qui prit possession du palais. Et c’est justement à elle que fait référence ce pilier : il s’agit du V et du A entrelacés de la reine Victoria et de son « Dearest Albert« , le Prince Consort. Est-ce que c’est un hommage du fils, Edouard VII, à ses parents, lors de l’aménagement de l’avant-cour ? Sans doute, mais pas complètement. Selon Historic England, les piliers avaient été conçus par Edouard Blore en 1847 et réutilisé par Aston Webb dans les années 1900. Le premier avait transformé le Buckingham « en U » de John Nash en le fermant par une aile supplémentaire, du côté du Mall, donnant au palais cette forme carrée qu’on lui connait aujourd’hui. Pour cela, il avait dû se débarrasser de l’arc de triomphe de marbre qui servait d’entrée solennelle à la résidence royale… Il le déplaça dans un coin d’Hyde Park. C’est le fameux Marble Arch ! Un demi-siècle plus tard, Aston Webb remodela complètement la façade et, donc, réutilisa les piliers de Blore. Reste à savoir si le V&A date de V&A ou d’EVIIR…
Un troisième élément est à peu près datable (photographie de droite). Il s’agit de la serrure de la grille centrale, agrémentée du chiffre de Georges V, le fils d’Edouard VII. Les grilles sont plus anciennes, puisqu’elles datent de 1905. Elles ont été réalisées par Walter Gilbert et Louis Weintgarten, de la Bromsgrove Guild of Applied Arts, une entreprise de décoration créée par le premier en 1898 et disparue en 1966. C’est à eux qu’on doit également la splendide Canada Gate, sur le flanc de la place circulaire, et qui est l’entrée principale de Green Park. Mais la serrure est donc postérieure à la grille, puisqu’elle date du règne de Georges V (1910-1936). Toutefois, si on y regarde de plus près, c’est bien « The Bromsgrove Guild – Bromsgrove – Worcestershire » qui est écrit dans les cartouches en-dessous de la serrure. La réponse est finalement assez simple : comme le Mall, Admiralty Arch et le Victoria Memorial, la construction de la grille a commencée sous le règne d’Edouard VII et terminée sous le règne de Georges V, avec des éléments datant du règne de Victoria. V&A, EVIIR, GV !
Il y a bien sûr d’autres éléments qui décorent cette grille : les armoiries du Royaume-Uni ; le lion anglais et la licorne écossaise ; saint Georges, saint-patron de l’Angleterre, terrassant le dragon ; d’innombrables couronnes et quelques angelots.


