# 12 // Armoury

Si vous passez par Moorgate et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à Artillery Garden.
Pour découvrir ce jardin privé de 2 ha (20 000 m²), suivez Chiswell Street depuis Finsbury Square et tournez dans la ruelle à droite, l’extrémité de Finsbury Street. Vous vous trouverez face à un énorme portail qui clôt le domaine londonien de l’Honourable Artillery Company (photographie de gauche).
L’histoire de cette institution militaire est assez compliquée. Alors simplifions ! Ses origines remonteraient à l’année 1087, mais son existence est formalisée par Henri VIII le 25 août 1537. Ce jour-là, il accorde une charte à la Guilde de Saint-Georges (Guild of St George), qui devient la Fraternity of Artillery of Longbows, Crossbows and Handgonnes, ce que nous pourrions vaguement traduire par Confrérie des Archers, Arbalétriers et Arquebusiers. Le nom d’Artillery Company apparait pour la première fois dans les archives en 1658, puis celui de Honourable Artillery Company en 1685, mais ce n’est qu’en 1860 que la reine Victoria lui accorde officiellement ce nom. Selon les lettres patentes accordées par Henri VIII, sa mission était de défendre le royaume, ce que fit brillamment la compagnie au fil des siècles, en participant notamment aux deux guerres mondiales. La notion de défense du royaume fut plus subjective pendant la Guerre civile, puisque certains membres de la compagnie se battirent du côté du Parlement, d’autres restèrent loyaux à Charles Ier, d’autres encore passant d’un camp à l’autre au fil des événements.
Aujourd’hui, la Honourable Artillery Company est à la fois un organisme de charité et un régiment de l’armée de réserve, avec des missions de renseignement militaire. Les réservistes, pour la plupart habitants de la Cité de Londres ou du Grand Londres, sont tenus de s’entraîner un soir par semaine, un week-end par mois et deux semaines par an. Ils ont été déployés au Kosovo, en Irak, en Afghanistan et dans plusieurs pays d’Afrique. Ce sont eux, également, qui tirent les Gun Salutes à la Tour, lors des anniversaires royaux. C’est le plus ancien régiment de l’armée britannique, dont le siège se situe dans Finsbury Barracks, un édifice néomédiéval élevé en 1857 par l’architecte Joseph Jennings sur City Road (photographie du milieu).
Ce régiment de réserve est doublé par un détachement d’officiers de polices : le HAC Detachment of Special Constabulary, qu’on appelle communément les Specials. Après une formation de six mois dans une école de police, ils secondent les forces de police de la Cité de Londres, notamment pour les grands événements que sont le Marathon de Londres ou la Parade du Lord Maire.
Deux sous-unités ont également un rôle cérémoniel au sein de la Cité de Londres.
Les Piquiers et Mousquetaires (Pikemen and Musketeers) ont été créés en 1925 et ont reçu une charte royale en 1955. Il s’agit de vétérans du Regiment ou des Specials qui, à titre bénévole, forment la garde d’honneur du Lord Maire de la Cité de Londres, escortant son carrosse lors de la Parade ou restant en faction à Guildhall ou Mansion House lors des grands événements protocolaires, notamment les banquets offerts aux chefs d’Etat étrangers lors des visites d’Etat. Ils sont vêtus et armés comme leurs prédécesseurs de l’époque de Charles Ier.
Quant à la Light Cavalry, c’est une sous-unité montée, basée à Windsor, et qui assure également quelques missions protocolaires. Ce sont eux, notamment, qui escortent la Lord Mairesse, épouse du Lord Maire, lorsqu’il y en a une. Précisons qu’il n’y a que deux femmes qui ont occupé les fonctions de Lord Maire depuis 1189 : la première, Dame Mary Donaldson (devenue plus tard The Lady Donaldson of Lymington) en 1983 et Dame Fiona Woolf en 2013. Je ne sais pas si la Light Cavalry escortait alors leur éventuel mari.
En 1538, la Confrérie des Archers, Arbalétriers et Arquebusiers s’entrainait dans le quartier de Spitalfields, en dehors des remparts de la Cité de Londres, dans ce que l’on appelait le Terrain d’artillerie : Artillery Ground. C’est là que se trouvent aujourd’hui Gun Street, Artillery Lane et Artillery Passage. En 1658, la Compagnie s’installa dans un autre terrain découvert, à l’extérieur des remparts, à Moorfields. Quelques années plus tard, en 1665, il devint le voisin du cimetière de Bunhill Fields, ouvert par les autorités de la Cité pour enterrer les nombreuses victimes de la peste. Le cimetière a été fermé en 1854 et transformé en parc, mais la HAC occupe toujours Artillery Ground, renommé Artillery Garden (photographie de droite).
Dès la fin du XVIIe siècle, la Compagnie y avait édifié une armurerie, reconstruite en 1735 par l’architecte Thomas Stibbs. On dit qu’elle coûta 1690 livres sterling, dont 500 furent payées par le roi Georges Ier. Armoury House existe encore. On y a ajouté un clocher en 1802, deux ailes en 1828, un cottage pour le Sergent-Major en 1850 et une grande salle d’exercice à l’arrière du bâtiment.
Depuis 1660, les Capitaines-Généraux de la Compagnie sont les souverains du royaume d’Angleterre, puis du Royaume-Uni, ou des membres éminents de la famille, par exemple le prince Georges de Danemark, époux de Marie II, ou le prince Albert, Prince consort de la reine Victoria. Depuis le 6 février 1952, c’est la reine Elisabeth II qui tient ce rôle. D’autres personnalités ont appartenu à la Compagnie, comme le prince Rupert, cousin de Charles II et Jacques II, George Monck, qui restaura la monarchie en 1660 ou, plus récemment Edward Heath, devenu Premier ministre en 1970.

# 11 // Old Bailey

Si vous passez par la cathédrale Saint-Paul et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à Old Bailey.
C’est à la fois le nom d’une rue, qui court entre Ludgate Hill, au sud, et le carrefour formé par Newgate Street, Holborn Viaduct et Giltspur Street, au nord, et le surnom du tribunal qui se trouve là.
Mais revenons d’abord sur ce nom : Old Bailey. Si vous êtes féru de castellologie, vous saurez que le bayle est l’espace situé entre deux remparts concentriques d’une cité ou d’un château, ou entre leur rempart unique et une palissade extérieure, parfois simplement construite en bois. Old Bailey nous rappelle que nous nous trouvons juste à l’extérieur des fortifications romaines de Londinium, construites entre 190 et 225. D’ailleurs, Newgate Street, juste au nord, fait référence à l’une des portes de l’enceinte, Newgate. On a longtemps pensé qu’elle était d’époque médiévale, puisque nommée « Nouvelle porte » ou « Porte neuve », mais les dernières recherches tendent à prouver une origine antique. Ce que l’on sait, en tout cas, c’est que, en 1188, l’ancienne porte avait été transformée en prison : Newgate Prison, la prison de Newgate.
C’était le principal lieu d’enfermement de la Cité de Londres, puis de Londres, destiné aux endettés et aux félons, ce qui recouvre des crimes supposés très variés. Parmi les « locataires », citons Casanova (bigamie), Daniel Defoe (sédition), Ben Jonson (duel), William Kidd (piraterie), William Penn (trouble à l’ordre public), Oscar Wilde (indécence). Mais c’est surtout l’emprisonnement pour dette qui conduisit ici des bataillons de prisonniers, si bien qu’il fallu agrandir Newgate plusieurs fois. Deux éminents architectes y travaillèrent successivement : Sir Christopher Wren (cathédrale Saint-Paul, Hampton Court, Kensington Palace, Royal Chelsea Hospital, etc.) et George Dance (transformations de Guildhall, Mansion House, The Monument, etc.). La prison de Newgate fut finalement fermée en 1902… pour céder sa place à l’actuel Old Bailey.
Depuis le Moyen Âge, les autorités judiciaires de la Cité de Londres tenaient leur procès dans des immeubles des environs, puis un tribunal permanent fut édifié, avant 1585, et reconstruit à plusieurs reprises. En 1824, une seconde salle d’audience fut aménagée. Dix ans plus tard, en 1834, le statut du tribunal allait changer. Avant cette date, Old Bailey était le tribunal de la Cité de Londres. On estime que plus de 100 000 procès s’y sont tenus entre 1674 et 1834.
Après 1834, il est rattaché au système judiciaire du royaume et devient la Central Criminal Court of England and Wales, la cour criminelle centrale d’Angleterre et du Pays de Galles. Comme son nom l’indique, c’est une cour pénale, qui juge des crimes. Aujourd’hui, 92 tribunaux composent la Crown Court, et seul celui de Londres, toujours surnommé Old Bailey, est qualifié de « Central ». En effet, en plus des cas relevant du Grand Londres, on peut aussi y déférer un certain nombre de cas provenant d’autres juridictions d’Angleterre ou du Pays de Galles.
Jusqu’en 1902 donc, Old Bailey voisinait avec la prison de Newgate. En conséquence, les exécutions avaient lieu, ici, dans la rue ! En 1783, la potence fut déplacée de Tyburn à Newgate. Entre ces deux dates (1783 et 1902), 1169 personnes ont été exécutées ici. La dernière décapitation date de 1820, la dernière exécution pour sodomie de novembre 1835, la dernière pendaison en public du 26 mai 1868, la dernière pendaison du 6 mai 1902, juste avant la fermeture de la prison. Les exécutions publiques pouvaient attirer une foule considérable. Les condamnés étaient conduits à travers un passage qui séparait le tribunal et la prison et était poétiquement nommé le Dead Man’s Walk, la « Promenade de l’homme mort »… Au cours de cette « promenade », ils recevaient insultes, crachats, légumes pourris et pierres ! Parfois, ils étaient simplement enterrés dans ce sinistre passage entre les deux bâtiments. La foule était telle qu’il y eu de nombreux incidents. Une fois, plusieurs dizaines de personnes moururent écrasées alors qu’un mouvement de foule parcourut les 40 000 spectateurs ! Il fallut même construire un tunnel, pour que le prêtre de l’église du Saint-Sépulcre, de l’autre côté de la rue, puisse accéder à la prison pour assister les condamnés, sans avoir à se frayer un chemin entre ces milliers de personnes en furie. En 1902, la rue devint plus calme…
L’actuel tribunal a été construit entre 1902 et 1907 par l’architecte Edward William Mountford, connu pour son style dit baroque édouardien. C’est justement Edouard VII qui inaugura le bâtiment le 27 février 1907. C’est un édifice de trois étages, en pierres de Portland. Le rez-de-chaussée, de style rustique, supporte deux niveaux de style ionique. L’élément principal est bien sûr le dôme, qui rappelle celui de Saint-Paul. A 60 mètres au-dessus du niveau de la rue, il est couronné par une statue de la Justice, Lady Justice en anglais, de 3,7 mètres de haut et 2,4 mètres d’envergure. Fondue en bronze par Frederick William Pomeroy, elle est recouverte de feuilles d’or. Dans ses mains, on retrouve les attributs habituels de la Justice : l’épée et la balance équilibrée. En revanche, son regard n’est pas voilé.
Entre 1968 et 1972, une nouvelle aile a été édifiée au sud, portant à 18 le nombre de salles d’audience. Aujourd’hui, plusieurs milliers de personnes s’y rendent chaque jour : juges, accusés, avocats, témoins, spectateurs, sans compter les centaines de personnes qui travaillent ici. Si la partie judiciaire relève de la Couronne, le bâtiment appartient toujours à la Cité de Londres, est entretenu par elle et une grande partie du personnel est rémunéré par elle. D’ailleurs, le Lord Maire et les Anciens (Aldermen), de par leurs fonctions judiciaires, ont toujours le droit de siéger, mais ce droit n’est plus en usage. Toutefois, lors d’une audience, le juge n’utilisera jamais le fauteuil central, au cas où le Lord Maire décide de venir s’y asseoir !

# 10 // The New Adelphi

Si vous passez par le Strand et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous sur John Adam Street.
Avant hier, nous vous avons parlé du nouveau quartier construit entre 1768 et 1772 par les frères Adam. Nous avions expliqué que la plus grande partie de leur projet avait été démolie, pour laisser place à des immeubles plus modernes. C’est bien dommage, puisque, au-delà de sa valeur architecturale, The Adelphi était entré dans l’histoire des arts, en tant que demeure d’illustres écrivains : Sir J. M. Barrie (Peter Pan), Thomas Hardy (Loin de la foule déchaînée, Tess d’Uberville), George Bernard Shaw (Pygmalion). David Garrick, père du théâtre anglais moderne, était également l’un des résidents. C’est là, aussi, que naquit la fameuse London School of Economics and Political Science, l’une des universités les plus prestigieuse au monde (19 prix Nobel, 52 chefs d’Etat dont John Fitzgerald Kennedy et la reine Margrethe II de Danemark, mais aussi quelques personnalités françaises comme Delphine Arnault ou Erik Orsenna). C’est en effet au 9 John Street, Adelphi que furent donnés les premiers cours en octobre 1895, avant de s’installer au 10 Adelphi Terrace.
Etant donné l’intérêt artistique et historique du lieu, il fallut l’intervention du Parlement et même une loi, The Adelphi Act 1933, pour permettre la destruction de The Adelphi et la construction du New Adelphi. Malgré tout, en 1936, la démolition de 24 des demeures géorgiennes conçues par Robert Adam et ses frères suscita un véritable scandale chez les défenseurs du patrimoine.
Leurs héritiers seraient sans doute tout aussi virulents si, aujourd’hui, on menaçait le New Adelphi. Le bâtiment est en effet devenu iconique, l’un des meilleurs exemples du style Art déco à Londres (photographie de gauche). Edifié entre 1936 et 1938, sur les plans de l’architecte Stanley Hamp, du cabinet Colcutt et Hamp, il consiste en un double E (ou un H avec une barre supplémentaire) de béton armé recouvrant une armature de fer. La façade sur la Tamise et quelques autres éléments ont été recouverts de pierre de Portland, le reste étant en briques apparentes. La composition, avec ses décrochements arrondis, notamment au niveau des bow-windows et des fenêtres, est purement Art déco (photographie du milieu).
Le décor sculpté est tout aussi symbolique des années 1930. Sur les façades latérales (Robert Street et Adam Street), des bas-reliefs représentent les signes du zodiaque, l’agriculture, l’industrie, ainsi que les principales villes du pays. Mais ce sont les quatre statues regardant la Tamise qui sont les véritables stars du New Adelphi (photographie de droite). Gilbert Ledward, l’un des plus éminents sculpteurs de l’entre-deux-guerres, fit appel à trois de ses confrères pour réaliser, en 1937, ces quatre allégories : l’Aurore (Dawn, Bainbridge Copnall), la Contemplation (Contemplation, Arthur J Ayres), l’Inspiration (Inspiration, Gilbert Ledward) et la Nuit (Night, Donald Gilbert). Signalons que Ledward est l’auteur du Guards Division Memorial, à St. James’s Park, et Copnall celui des statues qui ornent le RIBA (Royal Institute of British Architects), sur Portland Place, entre Regent’s Street et Regent’s Park.
L’ensemble vient d’être restauré par le studio Aukett Swank, qui a débarrassé l’immeuble des éléments ajoutés au fil des décennies (hormis les deux étages supplémentaires du côté de la Tamise) et rendu son lustre Art déco à cette icone du paysage londonien.

# 9 // Liberty of the Clink

Si vous passez par Southwark et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à Clink Street.
Avant-hier, nous suivions William Shakespeare autour du Globe. Ce qui avait attiré les Lord Chamberlain’s Men de ce côté de la Tamise, c’était la protection offerte par la Liberty of the Clink. En droit anglais, une liberty est un territoire où l’autorité du roi a été transférée, non pas à des corps constitués, comme dans les cités et les comtés, mais à des personnes privées. C’est une sorte de seigneurie – ici, on dirait un manoir, manor – où le seigneur est l’unique détenteur du pouvoir. Cela peut nous paraître concevable pour la période médiévale, mais force est de constater que ce genre de statut n’a été supprimé qu’à la fin du XIXe siècle, en avril 1889. Il reste toutefois deux exceptions, Middle Temple et Inner Temple, qui, même s’il ne s’agit pas de liberties, constituent des enclaves presque totalement indépendantes de la Cité de Londres.
Mais revenons à la Clink. Au début du XIe siècle, Henri Ier Beauclerc accorde un vaste territoire à l’abbaye de Bermondsey, autour du village qui se trouve à l’extrémité du pont de Londres. En 1149, une partie de ce territoire est vendu à l’évêque de Winchester, Henri de Blois, le frère du roi Etienne. Celui-ci en fait une liberty, la Liberty of Winchester. Du coup, le territoire (28 ha) ne relève pas du comté de Surrey, auquel il appartient d’un point de vue strictement géographique, et encore moins de la cité de Londres, située de l’autre côté du pont.
L’autorité des évêques de Winchester sera symbolisée, à travers les siècles, par leur demeure, Winchester House, dont il reste aujourd’hui le pignon de la grande salle (photographie de gauche), mais surtout par leur prison. En tant que détenteurs du pouvoir judiciaire dans leur territoire, les évêques se devaient d’avoir leur prison, notamment pour enfermer les mauvais payeurs. Cette prison devint connue sous le nom de Clink, peut-être pour rappeler le bruit des portes de fer qui se refermaient sur les prisonniers, à moins que ce ne soit celui de leurs chaînes. Du coup, on parla bientôt de la Liberty of the Clink. Aujourd’hui, un musée rappelle l’histoire de cette geôle et des horribles conditions infligées aux détenus (photographie du milieu).
Mais la Liberty offrait également de nombreux avantages. Comme vous l’aurez compris, l’interdiction des théâtres et des troupes n’y avait pas cours : c’est ce qui a attiré Shakespeare et ses amis. Les mœurs y étaient beaucoup plus libres puisque la prostitution n’y était pas interdite. Les prostituées étaient même sous la protection de l’évêque. On les appelait les « oies de Winchester » (Winchester Geese) ! L’expression « se faire mordre par une oie de Winchester » signifiait quant à elle « attraper une maladie vénérienne ».
Mais ces femmes, dites de petite vertu, posaient un problème. De par leurs activités, leur taux de mortalité était beaucoup plus élevé que celui de la majorité des femmes de l’époque, pourtant déjà très haut. Or, leur profession leur interdisait d’être enterrées en bonnes chrétiennes. Un des évêques de Winchester décida donc d’ouvrir un cimetière non consacré dans sa Liberty of the Clink. La première mention date de 1598, mais il est certainement beaucoup plus ancien. Vers 1769, on commença également à y enterrer les miséreux du quartier, qui étaient fort nombreux. Il fut finalement fermé en 1853… et redécouvert, 150 ans plus tard, lors des travaux de la Jubilee Line. Les archéologues du Museum of London estiment que 15 000 personnes y sont inhumées, souvent empilées les unes sur les autres. Cross Bones, situé sur Redcross Way, est devenu aujourd’hui un espacé mémoriel, géré par une association. La grille est encombrée de rubans, de messages, de fleurs, hommages des habitants d’aujourd’hui aux habitants d’hier (photographie de droite).
Quant à la Liberty de Clink, elle a été supprimée, comme les autres, en 1889, et rattachée au nouveau comté de Londres.


# 8 // Adamstown

Si vous passez par le Strand et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous sur John Adam Street.
C’est une rue parallèle au Strand, entre Villiers Street et Adam Street. Avant-hier, nous vous avons parlé de cette rue qui commença par s’appeler Duke Street. Vous souvenez-vous ? « George Villiers Duke of Buckingham » ! Mais c’est en fait un peu plus compliqué que cela… John Adam Street est l’union de deux rues préexistantes, situées dans le prolongement l’une de l’autre : la susnommée Duke Street et une certaine John Street. John Street est à relier avec deux autres rues : la susnommée Adam Street et une certaine Robert Street (photographie de gauche), qui existe encore. Vous suivez ? John Street, Robert Street et Adam Street font référence à John et Robert Adam, tout comme George Street, Villiers Street, Duke Street, Of Alley et Buckingham Street faisaient référence à George Villiers, duc de Buckingham. Dans le même quartier, on a utilisé cette méthode assez rare qui consiste à donner des prénoms à des rues, pour former un nom complet, en les associant aux rues voisines.
Mais qui étaient John et Robert Adam ? Les fils de William Adam (1689-1748), le plus éminent architecte écossais de l’époque, à qui l’on doit notamment Hopetoun House, près d’Edimbourg, et Duff House, près d’Aberdeen. Mais aussi les frères de James et William. John, Robert, James et William n’ont rien à voir avec les Dalton, mais, comme leur père, avec l’architecture. Si Robert Adam (1728-1792), désormais inhumé dans le Coin des Poètes à l’abbaye de Westminster, est le plus connu et le plus talentueux, le fameux « style Adam » fut bien une histoire de famille. Ensemble ou séparément, ils édifièrent, parmi tant d’autres chefs-d’œuvre, le Pulteney Bridge de Bath, le siège de la Royal Society of Arts, le premier Theatre Royal, Drury Lane, de nombreux hôtels particuliers à Londres, notamment Apsley House, et une multitude de demeures campagnardes : Harewood House, Keddleston Hall, Osterley Park, Syon House, Kenwood House, Stowe…
Les frères Adam furent aussi les promoteurs d’un nouveau quartier à la mode, The Adelphi (« Les frères », en Grec), justement situé ici, entre le Strand et la Tamise, entre ce qui fut la demeure des ducs de Buckingham et l’actuel Savoy. Construit entre 1768 et 1772, The Adelphi consistait en 24 terrace houses, c’est-à-dire des maisons individuelles unifiées par une longue façade commune, comme on en trouve encore un peu partout à Londres, notamment autour de Regent’s Park. Onze d’entre elles se trouvaient le long de la rivière, surplombant un soubassement constitué d’arcades, aménagées en entrepôts et directement reliées aux quais de la Tamise. La plupart de ces demeures ont été démolies, comme nous le verrons dans un prochain article, mais l’un des éléments de cette longue façade au bord de la Tamise a survécu, au 11 Adelphi Terrace.
En plus de quelques demeures du côté du Savoy (photographie du milieu), une autre relique de The Adelphi se trouve sur l’actuelle John Adam Street, du côté du Strand : c’est le siège de la Royal Society for Arts, Manufactures and Commerce, fondée en 1754 sous le nom de Society for the Encouragment of Arts, Manufactures and Commerce, et plus connue sous le nom de Royal Society of Arts (RSA) (photographie de droite : la façade qui donne du côté du Strand et qui est plus moderne). Il ne faut la confondre ni avec la Royal Academy of Arts, qui ne s’intéresse qu’aux arts, ni avec la Royal Society, beaucoup plus ancienne (1660) et qui s’intéresse aux sciences. La RSA est une société savante avec un champ d’étude beaucoup plus large, de l’art aux sciences, en passant par l’industrie, la citoyenneté et l’écologie. Selon l’Oxford English Dictionary, le terme sustainability (durabilité) aurait d’ailleurs été utilisé pour la première fois au sein de l’institution en 1980.
Elle est patronnée par le Souverain et souvent présidée par d’éminents membres de la famille royale, parfois les héritiers du trône : le prince Albert, époux de la reine Victoria (1843-1861) ; leur fils, Albert Edouard, prince de Galles, futur Edouard VII (1863-1901) ; le fils de ce dernier, Georges, prince de Galles, futur Georges V (1901-1910) ; la princesse Elisabeth, duchesse d’Edimbourg, avant qu’elle n’accède au trône (1947-1952) ; son époux, Philippe, duc d’Edimbourg (1952-2011), auquel à succédé leur fille, Anne, Princesse royale. Parmi ses membres, elle compte ou a compté Robert Adam, Isembard Kingdom Brunel, Marie Curie, Dame Judi Dench, Charles Dickens, Bob Dylan, Benjamin Franklin, Thomas Gainsborough, Stephen Hawking, William Hogarth, P.D. James, Karl Marx, Robert Baden-Powell, Joshua Reynolds, Peter Ustinov, William Wilberforce… Du beau monde, donc !

# 7 // Le Globe

Si vous passez par Southwark Bridge et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à Park Street.
Pour y aller, rien de plus simple : quand vous êtes à l’extrémité du pont, côté Bankside, descendez les escaliers, juste après l’ancien siège du Financial Times. Au numéro 123, vous trouverez la Old Theatre Court.
Avant-hier, nous avons expliqué pourquoi Shakespeare et les autres Lord Chamberlain’s Men avaient quitté Shoreditch pour s’installer à Bankside, précisément… à cet endroit ! Une plaque très ouvragée (photographie de gauche) rappelle que le Globe, le nouveau théâtre où officiait le Barde, se tenait ici entre 1598 et 1613. Il fut en effet détruit par un incendie le 19 juin 1613, mais fut reconstruit au même endroit l’année suivante. Il fut finalement fermé, comme tous les autres théâtres de Londres, en septembre 1642. Les troupes de théâtre furent parmi les premières victimes de la victoire des Parlementaires contre le roi Charles Ier, lors de la Première guerre civile : les Puritains avaient pris le pouvoir et les plaisirs de la vie étaient désormais considérés comme immoraux et séditieux, parce qu’associés à la décadence du régime monarchique. Mais c’est une autre histoire, puisque Shakespeare était mort et enterré depuis 1616.
Derrière la grille de la Old Theatre Court, des panneaux expliquent l’histoire du lieu et de sa redécouverte, en 1989, par le service archéologique du Grand Londres, aujourd’hui rattaché au Museum of London. Les fouilles n’ont pas pu aller bien loin, puisque les bâtiments construits au-dessus des fondations du théâtre sont classés. Toutefois, le tracé des éléments trouvés ont été marqués au sol et on devine bien la forme circulaire du Globe. Son nom, « THE GLOBE », apparaît d’ailleurs sur le sol. Malheureusement, un tuyau d’arrosage le couvrait à moitié lors de notre visite et la photographie prise ce jour-là n’était pas exploitable !
A 230 mètres de là, sur les bords de la Tamise, le théâtre de Shakespeare a été reconstruit et ouverte au public en 1997 (photographie du milieu). C’est l’acteur et metteur en scène shakespearien Sam Wanamaker qui a porté le projet et le site inclus d’ailleurs une autre salle de spectacle qui porte son nom. Le Shakespeare’s Globe – c’est son nom officiel – est une interprétation des éléments découverts par les archéologues et les historiens et concernant d’autres théâtre élisabéthains. Il existait aussi des représentations du Globe sur des plans et vues de l’époque. C’est devenu aujourd’hui une des icones du paysage londonien, notamment de Bankside.
William est également présent un peu plus loin, à l’entrée du pont ferroviaire de Cannon Street, aussi connu sous le nom de tunnel de Clink Street, du côté du fameux pub Anchor. En 2016, à l’occasion du 400e anniversaire de la mort de Shakespeare, un « street artist » australien, Jimmy C., réalisa l’effigie du Barde (photographie de droite). C’est à lui que l’on doit également le portrait devenu mythique de David Bowie à Brixton.

# 6 // Watergate

Si vous passez par Charing Cross et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à Victoria Embankment Gardens.
Vous y tomberez sur un petit édifice assez étonnant : York Watergate. Avant-hier, nous évoquions le séjour de Pierre le Grand à Deptford. D’après les informations que l’on trouve sur internet, il débarqua le 11 janvier 1698, en provenance des Pays-Bas. Son navire fut amarré à York Watergate, où il fut accueilli par les représentants du roi Guillaume III.
Depuis le Moyen Âge, la rie gauche de la Tamise, entre la cité de Londres et le village royal de Westminster, consistait en une succession de magnifiques demeures appartenant aux principaux personnages de la Cour, grands aristocrates ou prélats. L’une d’elle était le Norwich Palace, résidence londonienne des évêques de Norwich. En 1536, elle passa au duc de Suffolk, le meilleur ami d’Henri VIII. Comme celui-ci s’était emparé de la résidence des archevêques d’York, un peu plus loin, pour en faire son palais, devenu Whitehall, le roi accorda l’ancien Norwich Palace aux archevêques d’York. On parla alors de York House. Quelques décennies plus tard, elle passa à un autre favori royal, sans doute d’ailleurs plus que favori, le puissant Georges Villiers, 1er duc de Buckingham. Quant Alexandre Dumas le décrit comme l’amoureux d’Anne d’Autriche dans Les trois mousquetaires, il oublie de préciser qu’il fut peut-être aussi celui du roi Jacques Ier !
On dit qu’au fil des siècles, les grands seigneurs avaient pris l’habitude de voyager par bateau, sur les eaux de la Tamise, plutôt que par la route qui est aujourd’hui le Strand. Cela semblait plus sûr, et sans doute aussi plus prestigieux. Du coup, toutes les demeures alignées le long du fleuve disposaient d’une entrée fluviale : watergate en anglais. Celle de York House, devenue Buckingham House, fur édifiée par Georges Villiers aux alentours de 1626. Il paraîtrait que l’édifice, peut-être conçu par le grand Inigo Jones, s’inspirait de la fontaine des Médicis au palais du Luxembourg, à Paris.
C’est donc là que, selon la tradition, Pierre Ier aurait débarqué en 1698. Sauf que Georges Villiers, 2e duc de Buckingham, avait vendu sa propriété à des promoteurs en 1672. La demeure et le domaine avaient été démantelés et de nouvelles rues percées. La vente stipulait que celles-ci devaient rappeler le souvenir des anciens propriétaires : George Street, Villiers Street, Duke Street, Of Alley , Buckingham Street, soit « George Villiers, Duke of Buckingham ». Aujourd’hui, George Street a été renommée York Buildings (mais il existe toujours une George Court dans son prolongement), Duke Street est devenue John Adam Street, tandis que Of Alley s’appelle désormais York Place. Seules Villiers Street et Buckingham Street continuent d’évoquer le souvenir du favori de Jacques Ier et de son fils. Du coup, s’il n’y avait plus de somptueuse demeure aristocratique ici, pourquoi le tsar y aurait-il débarqué ? Merci de me le dire si vous avez la réponse !
Aujourd’hui, la somptueuse York Watergate se trouve à l’extrémité de Buckingham Street, dans les Victoria Embankment Gardens. Si la porte est toujours là, où est passée l’eau ? Elle a tout simplement reculé de plusieurs dizaines de mètres, lorsque les rives de la Tamise ont été aménagées sous le règne de la reine Victoria.

# 5 // Shakespeare

Si vous passez par Shoreditch et que vous avez un moment à perdre, arrête-vous à Curtain Road.
A l’angle de Curtain Road et de New Inn Yard, sur la façade d’une agence immobilière, vous pouvez découvrir deux plaques commémoratives.
La plaque rectangulaire rappelle que se tenait ici le premier théâtre d’Angleterre, qui s’appelait tout simplement The Theatre. Au Moyen Âge, beaucoup de troupes étaient encore itinérantes et se produisaient dans la rue, sur des scènes temporaires, comme on le voit dans de nombreux films ou séries télévisées. Si le théâtre médiéval fut d’abord une expression religieuse, il devint vite profane, et parfois même quelque peu antireligieux. Il avait également une connotation immorale. Mais il attirait beaucoup de monde ! Dans les années 1570, les autorités de la Cité de Londres interdirent les représentations et expulsèrent les troupes. Ce n’était pas mieux dans les comtés voisins. Mais certains territoires échappaient aux règles strictes des cités et des comtés, on les appelait les libertés, liberties en anglais. A Shoreditch, aux portes de la Cité de Londres, il y avait la Liberty of Holywell, héritage de l’ancien prieuré augustinien de Halliwell. C’est là que le comédien James Burbage fit édifier le premier théâtre permanent d’Angleterre, en 1576. Il semblerait qu’il avait comme associé son beau-frère, un certain John Brayne. Quelques années plus tôt, ce dernier avait fait édifier un premier théâtre à Whitechapel, mais celui n’existait déjà plus, et ne peut donc pas être considéré comme le premier théâtre permanent de Londres. Le Theatre de James Burbage commença à attirer de nombreuses troupes, et notamment, à partir de 1594, celle du Chambellan de la reine Elizabeth Iere, The Lord Chamberlain’s Men. Richard Burbage, le fils de James, tenait les rôles principaux. Mais la véritable star était l’auteur des pièces, un certain William Shakespeare.
La seconde plaque, circulaire, est une référence au Barde. Né en 1564 à Stratford-upon-Avon, il s’installa à Londres à la fin des années 1580 ou au début des années 1590. En 1594, il était devenu l’un des Lord Chamberlain’s Men et se produisait donc au Theatre, à Shoreditch. Mais la troupe eu quelques difficultés avec le propriétaire du terrain et se réfugia dans un autre théâtre, tout proche, le Curtain Theatre, ouvert en 1577. Dans tous les cas, les premières pièces de Shakespeare furent produites à Shoreditch, dans l’un ou l’autre de ces théâtres. Il s’agit de Roméo et Juliette, d’Henry V et d’Hamlet. Finalement, en 1598, Burbage, Shakespeare et leurs compères décidèrent de s’installer de l’autre côté de la Cité de Londres et de la Tamise, dans une autre Liberty qui semblait mieux porter son nom, celle de la Clink. C’est ainsi que le Globe fut édifié.
Si Southbank, héritier de la Liberty of the Clink, et le West End sont aujourd’hui les quartiers des théâtres, il ne faut pas oublier que Shoreditch le resta pendant très longtemps. Ce n’est qu’avec la Seconde guerre mondiale que Shoreditch High Street et les rues avoisinantes cessèrent définitivement d’accueillir certaines des plus célèbres salles de spectacles de l’époque victorienne.
Au-delà de ces deux plaques, le quartier cache un sublime hommage à Shakespeare et son épopée théâtrale. Dans New Inn Street, juste derrière l’agence immobilière de Curtain Road, et en face du siège britannique d’Amnesty International, une petite maison de ville est désormais ornée d’une fresque représentant la fameuse scène du balcon de Roméo et Juliette.
Roméo : « It is my lady, O, it is my love! » […]
Juliette : « O Romeo, Romeo! Wherefore are thou Romeo! »

# 4 // Pierre le Grand

Si vous passez par Greenwich et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à Glaisher Street. C’est le quai qui longe la Tamise, en direction de London Bridge, au-delà de la passerelle qui enjambe la rivière Ravensbourne. Juste après la passerelle, vous tomberez sur une curieuse statue.
C’est celle de Piotr Alekseievitch Romanov, tsar de toutes les Russies. En 1721, le Sénat, qu’il avait créé, lui attribua le titre d’empereur, plus occidental, et le surnom de Pierre le Grand. Et grand, il l’était, effectivement : 2,03 m !
Cette statue commémore le séjour de Pierre en Angleterre. En 1697, le jeune souverain de 25 ans, entreprit la « Grande Ambassade », un long voyage dans cette Europe occidentale qui l’inspirait tant. Après la Prusse et les Pays-Bas, où il travailla comme (presque) simple ouvrier dans un chantier naval, il arriva sur les rives de la Tamise, toujours (presque) incognito. Il débarqua à Westminster le 11 janvier 1698. De février à avril, il logea avec sa suite à Sayes Court, une demeure qui appartenait à Sir John Evelyn, le célèbre diariste, à l’emplacement de l’actuel Sayes Court Park, à Deptford. Comme à Amsterdam, le jeune tsar continua à apprendre l’art de construire des bateaux et travailla dans les chantiers navals de Deptford.
Trois siècles plus tard, l’impressionnante statue, offerte par le Peuple de Russie en souvenir de ce séjour, a été inaugurée par le prince Michael de Kent qui, comme chacun sait (!?), ressemble étrangement à son grand-père, le roi Georges V, et au cousin de celui-ci, l’empereur Nicolas II de Russie. Elle représente le tsar, debout à côté d’un trône, et accompagné d’un nain, qui faisait partie de sa suite. Deux canons les encadrent, rappelant que Pierre était également venu en Europe pour apprendre les secrets de la guerre moderne, et notamment les progrès de l’artillerie.
Les photographies, prises en plein soleil, rendent assez peu honneur à ce curieux monument.

# 3 // Temple Bar

Si vous passez par les Royal Courts of Justice et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous devant le Temple Bar Memorial.
C’est le monument qui se trouve au milieu de la rue, et marque la frontière entre la Cité de Londres et la Cité de Westminster, et donc entre Fleet Street et le Strand.
Au Moyen Âge, la Cité de Londres avait étendu sa juridiction au-delà des murs de l’antique Londinium et avait installé des portes dans les anciens faubourgs, afin de contrôler les personnes et les biens qui entraient et sortaient. Parfois, il s’agissait de simples barrières et on a conservé le nom de bars, comme on parle d’ailleurs des barrières de l’octroi à Paris. Ici, on parlait de Temple Bar, puisqu’elle jouxtait le domaine des Templiers et, aujourd’hui encore, Temple Church et les corporations judiciaires que sont Inner Temple et Middle Temple.
C’était l’entrée la plus prestigieuse de la Cité de Londres, puisqu’elle se trouvait sur la route processionnelle qui reliait Londres à Westminster. Ainsi, pendant plusieurs siècles, il était d’usage que le souverain passe la nuit précédant son couronnement à la Tour de Londres, puis se rende à l’Abbaye de Westminster avec tout le faste de la monarchie anglaise. Selon une autre tradition, le souverain, lorsqu’il venait visiter la Cité de Londres, était accueilli à Temple Bar par les représentants de la Corporation de Londres. Une légende prétend que le roi ou la reine devait attendre l’autorisation du Lord Maire, ce qui est bien sûr totalement faux. En revanche, le Lord Maire devait présenter au monarque l’Epée d’Etat (« Sword of State »), en signe de loyauté.
Dans le cadre des travaux d’embellissement qui firent suite au Grand Incendie de 1666, Charles II demanda à Sir Christopher Wren d’édifier une porte monumentale à Temple Bar. Temple Bar Gate fut édifiée entre 1669 et 1672. La construction, de style baroque, présentait des statues de Charles II et de son père, le roi décapité Charles Ier, du côté de Westminster, et des statues de ses grands-parents, Jacques Ier et Anne de Danemark, du côté de la Cité de Londres. Deux siècles plus tard, la porte de Wren était devenue un obstacle pour la circulation. Sur ordre de la Corporation de la Cité de Londres, elle fut donc démontée en 1878. Onze jours furent nécessaire pour dissocier les 2 700 blocs de pierre. Après avoir appartenus à différents propriétaires privés, ils furent rachetés par le Temple Bar Trust et remonté au pied de la cathédrale Saint-Paul, pour servir d’entrée à Paternoster Square. Depuis le 10 novembre 2004, on peut donc à nouveau admirer la somptueuse Temple Bar Gate de Christopher Wren.
Quant à la frontière entre les cités de Londres et de Westminster, elle fut marquée dès 1880 par le Temple Bar Memorial, le monument dont nous parlions au début de cet article. Le piédestal, orné des attributs des arts, des sciences, de la navigation et autres réalisations humaines, présente deux statues en bronze de la reine Victoria et de son fils, alors prince de Galles. Cela rappelle que la souveraine a été la dernière à franchir Temple Bar Gate, en 1872, lorsque la famille royale était venue assister à un service d’action de grâce à la cathédrale Saint-Paul, pour célébrer la guérison du futur Edouard VII, après une grave attaque de fièvre typhoïde. La scène est d’ailleurs représentée sur un des bas-reliefs. Au sommet, un dragon, l’un des emblèmes héraldiques de la cité de Londres, semble protéger la ville. C’est l’un des treize dragons qui, depuis la fin des années 1960, marquent quelques-unes des entrées de la Cité de Londres. Les deux dragons de Victoria Embankment sont plus anciens puisqu’ils ornaient le vieux Coal Exchange dès 1849. Les onze autres sont des versions réduites de ces derniers, fondues dans les années 1960.