# 41 // Belgravia

Si vous passez par Amazon Prime Video et que vous avez un (long) moment à perdre, arrêtez-vous sur Belgravia.

Il ne s’agit pas ici du quartier, dont nous parlerons cependant, mais de la série télévisée de 2020, tirée du livre éponyme de Julian Fellowes, paru en 2016.

Rappelons que Julian Alexander Kitchener-Fellowes, né le 17 août 1949, n’en est pas à son premier essai. C’est à lui que l’on doit notamment les scénarii de Gosford Park, le film de Robert Altman pour lequel il a reçu l’Oscar en 2002, et de Les jeunes années d’une reine (The Young Victoria). Mais on le connait surtout pour la série Downton Abbey, ainsi que les films dérivés. Dans Belgravia, comme dans Downton Abbey et dans Gosford Park, il explore un sujet qui passionne les Britanniques, les relations entre les maîtres et les domestiques. Les puristes se souviendront sans doute de deux autres exemples : la série Upstairs, Downstairs (il y a en fait deux séries, l’une de 1971, l’autre de 2010) et le somptueux film de James Ivory intitulé Les Vestiges du Jour (The Remains of the Day, 1993), avec Emma Thompson et Anthony Hopkins dans les rôles principaux, et tiré du roman éponyme de Kazuo Ishiguro, couronné par l’Académie suédoise du prix Nobel de littérature en 2017.
Fellowes, qui est aussi acteur (il a joué notamment dans le Jane Eyre de Franco Zeffirelli, dans un James Bond, Demain ne meurt jamais, et dans Place Vendôme, le film de Nicole Garcia), est connu à la ville sous le nom de The Right Honourable The Lord Fellowes of West Stafford, puisqu’il a été fait baron par la reine Elizabeth le 13 janvier 2011. Depuis, il siège à la Chambre des lords sur les bancs des tories.
Pour terminer avec ce délicieux personnage, signalons que, depuis 1998, il associe à son nom celui de sa femme, née lady Emma Joy Kitchener, l’arrière-petite-nièce du fameux lord Kitchener of Karthoum. Fellowes est d’ailleurs personnellement concerné par l’un des problèmes évoqués dans Downton Abbey : parce qu’elle est une femme, lady Fellowes n’a pas pu hériter du titre de comtesse Kitchener à la mort de son oncle. Faute d’héritier mâle, le titre s’est éteint en 2011. Aussi, lorsque, la même année, les parlements des royaumes du Commonwealth ont décidé de supprimer la règle de préférence masculine dans le cadre de la règle de primogéniture pour l’ordre de succession au trône, a-t-il milité, en vain, pour un équivalent dans la paierie. Deux ans plus tard, la « Downton Abbey Law« , officiellement l’Equality (Title) Act, fut rejetée par le Parlement.

Si l’essentiel de la série se déroule dans le quartier de Belgravia, l’intrigue débute à Bruxelles, à une époque dont nous avons beaucoup parlé dans notre section Napoléon. Tout commence lors du fameux bal de la duchesse de Richmond, dans la nuit du 15 au 16 juin 1815. Cet événement mondain est devenu iconique dans l’histoire militaire britannique, puisqu’il se déroule quelques heures avant la bataille des Quatre-Bras et deux jours avant celle de Waterloo, et que la plupart des officiers du duc de Wellington étaient présents. Beaucoup ne reviendront pas. C’est le point de départ de Belgravia, qui se poursuit 26 ans plus tard, à Belgravia donc.
James Trenchard, un marchand qui a fait fortune en tant que fournisseur des armées pendant les guerres contre l’Empereur, est désormais l’associé de Thomas Cubbitt (1788-1855), le richissime entrepreneur qui a changé le visage de Londres en construisant les nouveaux quartiers à la mode que sont Belgravia, Pimlico et Bloomsbury. On lui doit également l’aile du palais de Buckingham qui donne sur le Mall (dont la façade sera reconstruite au début du XXe siècle, voir la Balade # 26), mais aussi Osborne House, la résidence privée de la reine Victoria et du prince Albert sur l’île de Wight, ou encore le plan de Battersea Park. Signalons que Cubbitt est un ancêtre de Camilla, duchesse de Cornouailles.
A part quelques personnages de la scène du bal de Bruxelles (Wellington, Ponsonby, le prince d’Orange, le duc et la duchesse de Richmond), ainsi que la duchesse de Bedford qui apparaît ensuite, tous les autres protagonistes sont purement fictionnels. Ainsi, la duchesse de Richmond, fille du duc de Gordon, n’avait pas de sœur prénommée Caroline et mariée à un comte de Brockenhurst. Il n’y a d’ailleurs jamais eu de tel titre dans les pairies d’Angleterre, d’Ecosse, de Grande-Bretagne ou du Royaume-Uni. Si, œuvre de Julian Fellowes oblige, on retrouve bien sûr le face à face entre les maîtres et les domestiques, surtout au sein de la famille Trenchard, on découvre aussi celui qui oppose la haute aristocratie, avec en tête les Brockenhurst, et les roturiers parvenus que sont les Trenchard. Surtout que ceux-là habitent dans une demeure construite par ceux-ci, Belgravia.

L’immense quartier de style néoclassique a donc été développé par Thomas Cubbitt (sans Trenchard), des années 1820 aux années 1850, à la demande de Richard Grosvenor (1795-1869), 2e marquis de Westminster. Son fils, Hugh Lupus Grosvenor (1825-1889) deviendra le 1er duc de Westminster en 1874. Aujourd’hui, c’est le 7e duc, Hugh, âgé de 30 ans (né en 1991), qui possède le Grosvenor Estate, soit notamment 2 millions de mètres carrés en plein cœur de Londres. En mai 2021, sa fortune était estimée à 13 milliards de dollars ! Dans la série, les Bellassis (nom de famille des comtes de Brockenhurst) et les Trenchard sont donc les « locataires » des Grosvenor.
Situé au sud d’Hyde Park et à l’ouest du palais de Buckingham, le quartier de Belgravia est centré sur Belgrave Square, qui tire son nom du titre de vicomte Belgrave, également porté par les Grosvenor. Construit entre 1826 et les années 1840, c’est l’une des plus grandes places de Londres et l’une des adresses les plus prestigieuses du Royaume-Uni. Si une grande partie des bâtiments qui l’entourent abrite désormais des ambassades ou résidences d’ambassadeurs (Allemagne, Espagne, Norvège, parmi tant d’autres) et quelques autres institutions (Institut culturel italien, Caledonian Club, Royal College of Defence Studies, etc.), ce fut autrefois le lieu de vie de certaines des personnalités les plus en vue du pays : la mère de la reine Victoria, le duc de Kent (oncle de la reine Elizabeth : ses cousins, l’actuel duc de Kent et la princesse Alexandra, y sont nés), les ducs d’Abercorn, de Devonshire, de Richmond, mais aussi lord Pirrie (le propriétaire des chantiers navals qui ont construit le Titanic).
Autre élément de Belgravia, Eaton Square est nommé d’après Eaton Hall, le siège de la famille Grosvenor, dans le Cheshire. Précisons que Grosvenor Square et le quartier de Mayfair (là où se tenait la Foire de mai, May Fair), situés à l’est d’Hyde Park et au nord de Piccadilly, furent développés par un ancêtre de la famille un siècle plus tôt.

La série fait aussi référence à Kew Gardens et à Bishopsgate, mais Londres est finalement peu visible dans Belgravia, puisque la plupart des scènes ont été tournées en Ecosse, dans la New Town d’Edinbourg, notamment à Moray Place, mais aussi à Hopetoun House, la somptueuse demeure néoclassique située aux portes de la capitale écossaise. Nous avons également cru reconnaître les City Chambers dans la vieille ville d’Edimbourg, sur le Royal Mile, en face de la cathédrale Saint-Gilles.
Il y a toutefois quelques endroits connus des Londoniens : les fameuses serres de Syon House (la demeure londonienne des ducs de Northumberland, photographie de gauche) remplacent celles de Kew ; les jardins paysagers du palais de Hampton Court (photographie du milieu) tiennent lieu de Green Park ; l’Athenaeum Club est finalement le seul décor réel, en tout cas pour son extérieur si caractéristique (photographie de droite).

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