Un tableau évoquant la paix d’Amiens
Château de Malmaison
par Rémi Cariel
Conservateur en chef du patrimoine
chargé des peintures, sculptures et arts graphiques
Claude-Louis DESRAIS (Paris, 1746-1816), Allégorie de la paix d’Amiens, plume et lavis d’encre de Chine sur papier vergé 27,9 x 40,7 cm, Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, inv. : M.M.48.13.61.
L’œuvre est visible sur le site de l’agence photographique
de la Réunion des Musées Nationaux / Grand Palais en cliquant ici.
La paix d’Amiens est le nom donné à la brève période de paix qui s’amorce avec le traité d’Amiens signé le 25 mars 1802 entre le Royaume-Uni d’une part et la France, l’Espagne et la République batave, d’autre part.
Buonaparte présente l’olivier de la paix aux puissances de l’Europe : c’est le titre sous lequel la gravure des frères Le Campion fut gravée, à partir du dessin préparatoire de Desrais présenté ici. Le genre de l’allégorie est chahuté à cette époque, car elle rappelle l’Ancien Régime ; Napoléon y est défavorable. Dans les tableaux présentés au concours de 1802 célébrant la Paix d’Amiens, des artistes mêlèrent volontiers éléments réalistes (traits du Premier Consul par exemple) à l’allégorie (cf. Bruno Foucart, « La Paix d’Amiens et les artistes », in Actes du colloque La Paix d’Amiens, Amiens, mai 2002). Desrais, qui a dessiné d’autres scènes allégoriques à graver, tente de s’adapter à cette évolution. Les nuées, qui abondent – l’artiste est un adepte du lavis – assurent une mince transition entre le premier plan, historique, et le registre allégorique, au ciel.
Bonaparte est encadré sur sa gauche par le roi d’Angleterre, le pape, le roi du Portugal, le Grand Turc ; sur sa droite, par l’empereur de Russie, les rois de Naples et de Prusse, l’empereur d’Allemagne et le roi d’Espagne. Le Premier Consul, couronné et distribuant les branches d’olivier occupe – comme il se doit pour une estampe française – une place centrale mais le roi d’Angleterre (George III), le pape (Pie VII) et le souverain turc s’imposent aussi par leur stature. Leur présence permet de rappeler le Concordat signé avec l’Eglise en 1801 et entré en vigueur en 1802 et le traité avec la Sublime Porte conclu le 25 juin 1802. Bonaparte apparait ainsi comme un pacificateur sur tous les fronts (Russie incluse), répondant ainsi à une forte attente populaire.
Deux éléments classiques du vocabulaire symbolique de la paix sont présents au second plan : l’ange de la mort ferme les portes du temple de Janus, signe de la fin des hostilités ; une figure laurée tient une corne d’abondance et un caducée, symbolisant la prospérité en général, et dans le commerce et l’industrie particulièrement. L’atonie économique avait été l’un des moteurs du traité : la paix devait à nouveau réduire les impôts induits par les dépenses de guerre, stimuler les échanges et l’activité. Moins fréquent est l’arc-en-ciel, signe d’alliance entre Dieu et les hommes dans la Bible. Le thème de l’alliance, coiffant la scène, est évoqué ici sur un mode profane, avec les signes du zodiaque. Il semble que les grands hommes, et non plus Dieu, dirigent entièrement les affaires du monde.