Si vous passez par la Tour de Londres et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à All Hallows-by-the-Tower.
C’est l’église qui se dresse à côté de l’esplanade de la Tour, du côté de Tower Hill et de la Cité de Londres (photographie de gauche, en haut).
Même si elle est souvent considérée comme l’église la plus ancienne de Londres, il est compliqué de dresser son histoire. Les mentions qui semblent la désigner comme église-sœur de l’abbaye de Barking, construite à la même époque, c’est-à-dire dès le VIIe siècle, pourraient en fait se référer à un autre édifice londonien. De la même manière, l’arc d’époque saxonne découvert à la suite des bombardements de la Seconde Guerre mondiale pourrait confirmer qu’il s’agit bien d’une église très ancienne (photographie du milieu, en haut), mais de récentes découvertes dans d’autres églises londoniennes peuvent à l’inverse laisser penser qu’il s’agit simplement du réemploi d’une ancienne structure saxonne dans un nouvel édifice qui, lui, pourrait être aussi tardif que le XIe siècle. Quant aux restes d’un pavement romain, dans la crypte, il n’est bien sûr qu’une relique de l’ancienne cité de Londinium et il n’a jamais été question d’associer All Hallows à une antique église des premiers siècles (photographie de droite, en haut).
Cette église de Tous les Saints, jadis associés à la Vierge Marie, fut évidemment d’abord rattachée à l’Église de Rome, avant de passer à l’Église d’Angleterre au moment de la Réforme. Dès lors, elle entre véritablement dans l’histoire de Londres et du royaume d’Angleterre, à travers une série d’associations avec d’illustres personnages et de grands événements.
Du fait de sa proximité avec la Tour, c’est naturellement dans cette église qu’étaient déposés les corps des hautes personnalités exécutées à Tower Hill. C’est donc ici que, le 6 juillet 1535, fut exposé le corps de Thomas More, le célèbre philosophe humaniste. Il fut d’abord le mentor et le Lord Chancelier d’Henri VIII, avant que celui-ci n’ordonne sa décapitation, peut-être à contre-cœur, parce qu’il avait refusé de prêter le serment d’allégeance établi par le Supremacy Act de 1534. En reconnaissant le souverain anglais comme chef suprême de l’Église d’Angleterre, cette loi entrainait de facto la rupture avec Rome. Thomas More refusa de renier son allégeance au Saint-Père et paya ce choix de sa vie. Il fut canonisé par Pie XI le 19 mai 1935 et est depuis un saint de l’Église catholique.
Autre saint catholique, victime des persécutions d’Henri VIII, le cardinal Fisher (photographie de gauche, en bas). Évêque de Rochester, il fut en quelque sorte le chef des prélats loyaux au Saint-Siège lors de la guerre politico-théologique qui opposa leur souverain à Rome. Rappelons que la rupture avec la Papauté trouva son origine dans une simple question matrimoniale. Alors qu’il avait d’abord combattu farouchement la Réforme luthérienne, ce qui avait convaincu Léon X de lui attribuer le titre de « Défenseur de la Foi », Henri VIII finit par se retourner contre Rome quand Clément IX refusa d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon, fille des Rois Catholiques (Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, ceux qui ont achevé la Reconquista et permis à Christophe Colomb de découvrir l’Amérique) et tante du très influent empereur Charles Quint. Contrairement à More, ce n’est pas le Supremacy Act qui couta la vie à John Fisher, mais le Succession Act du 23 mars 1534. Après avoir finalement imposé l’annulation de son mariage sans l’autorisation du Saint-Siège, Henri VIII s’était marié avec Anne Boleyn, qui lui avait donné une fille, la princesse Elizabeth. Le Succession Act excluait la princesse Mary, fille de la reine Catherine et désormais considérée comme bâtarde, pour la remplacer comme héritière par sa demi-sœur, la future Elizabeth Ière. Tous les sujets du royaume devaient prêter le serment de reconnaître la nouvelle héritière, ce que refusa de faire l’évêque Fisher, puisqu’il considérait l’annulation du mariage comme nulle et non avenue. Pour lui, c’est Elizabeth qui était illégitime, et non Mary. Il fut emprisonné à la Tour de Londres dès le 11 avril 1534. Un an plus tard, le 20 mai 1535, le nouveau pape Paul III décida de l’élever à la dignité de cardinal. Henri VIII considérait que le Saint-Siège n’avait plus aucune autorité sur l’Église en Angleterre et il ordonna l’exécution de John Fisher, ce qui fut fait le 22 juin. Si sa tête fut exposée à l’entrée du Pont de Londres, son corps fut rapidement inhumé à All Hallows-by-the-Tower. Il y repose toujours. Il a été canonisé le même jour que Thomas More.
Bien sûr, toutes les histoires associées à cette église ne sont pas aussi funestes ! C’est là que fut baptisé un certain William Penn en 1644 (photographie du milieu, en bas). Fils d’un amiral de la flotte britannique, lui-aussi nommé William Penn, il sera le fondateur de la secte des Quakers, mais aussi de la Pennsylvanie (4 mars 1681), l’une des treize colonies qui donna naissance aux États-Unis d’Amérique. Philadelphie, sa ville principale, fut même la première capitale de la jeune république, jusqu’à l’achèvement de la ville de Washington, en 1799.
Autre connexion avec les États-Unis : le 26 juillet 1797, l’Américain John Quincy Adams épousait ici Louisa Catherine Johnson (photographie de droite, en bas). Jusqu’à Melania Trump, c’était la seule First Lady à avoir vu le jour en dehors du territoire américain. Née à Londres le 12 février 1775, elle était la fille illégitime d’un marchand américain et la nièce de Thomas Johnson, qui fut gouverneur du Maryland et juge à la Cour Suprême des États-Unis. Quant à John Quincy Adams, il n’était pas n’importe qui, puisque son père, John Adams, avait été élu Président des États-Unis (le deuxième, après la fin du mandat de George Washington) quelques semaines seulement avant le mariage. John Quincy devait lui succéder à la Maison Blanche, en tant que sixième Président, de 1825 à 1829. All Hallows-by-the-Tower est ainsi la seule église du monde à avoir été le cadre du mariage (Donald Trump a épouse Melania à Palm Beach, en Floride).
En dehors de ces illustres personnages, l’église est également associée à un événement central de l’histoire londonienne, évoqué dans la Balade # 43. C’est en effet du haut de son clocher que Samuel Pepys assista à l’avancée du Grand incendie de 1666. Signalons que l’église avait été sauvée des flammes, parce que l’amiral William Penn avait ordonné aux ouvriers d’un chantier naval tout proche de détruire les maisons des alentours. All Hallows n’eut pas cette chance pendant la Seconde Guerre mondiale : telle fut en grande partie détruite pendant le Blitz. Il fallut de longues années pour la reconstruire et elle ne fut finalement à nouveau consacrée qu’en 1957. On peut aujourd’hui y découvrir des fonds baptismaux sculptés en 1682 par Grinling Gibbons, considérés comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre du sculpteur.
Terminons ce récit par l’évocation d’une charmante tradition, comme seuls les Britanniques savent encore les maintenir. En 1381, alors que son époux, sir Robert Knolles, guerroyait en France, une noble dame des environs acheta un jardin sur Seethling Street, juste en face de sa demeure. Pour ne pas avoir à traverser la rue, elle fit construire une passerelle reliant ses deux propriétés. Elle pouvait ainsi aller soigner et admirer ses roses, sans avoir à se salir les pieds dans la boue des rues londoniennes. Mais il s’agissait-là d’un délit et la Corporation de Londres, l’institution qui gouvernait alors et gouverne toujours la Cité de Londres, lui infligea une amende. Celle-ci consistait à remettre une rose chaque année au Lord Mayor ! Tombée dans les oubliettes de l’Histoire, cette jolie cérémonie fut ravivée en 1924 par le vicaire d’All Hallows-by-the-Tower. Depuis lors, c’est de l’église que part la délégation chargée de remettre la rose de Lady Knolles (ou Knollys) au premier édile, à Mansion House (voir la Balade # 30).





