# 48 // Accession Day

Si vous passez par le Mall et que vous avez un instant à perdre, arrêtez-vous au pied du King George VI & Queen Elizabeth Memorial.

Il s’agit d’un escalier qui monte à Carlton Gardens et qui est orné des statues des anciens souverains, parents de la reine Elizabeth II (photographie de gauche). La sculpture du palier supérieur représente le roi George VI, dans son grand uniforme d’officier général de la Royal Navy. Inaugurée en 1955 par sa fille aînée, elle est l’œuvre de William McMillan. La partie inférieure, avec l’effigie de la fameuse Reine-Mère, date de 2009, soit quelques années après sa mort. Le sculpteur Philip Jackson l’a représentée à l’âge de 51 ans, celui qu’elle avait lorsque son époux s’est éteint dans leur résidence royale de Sandringham, dans le Norfolk. C’était le 6 février 1952. Cela fera tout juste 70 ans au lendemain de la publication de cette balade. Ce sera donc aussi le 70e anniversaire du règne de la reine Elizabeth II, en d’autres termes, le 70e anniversaire de l’Accession Day, le jour de l’Accession. C’est de cet événement dont nous souhaitons vous parler aujourd’hui.

Au moment du décès de son père, la jeune princesse Elizabeth est en escale au Kenya, au cours d’un voyage qui devait la mener en Australie et en Nouvelle-Zélande, avec son époux, le prince Philip, duc d’Édimbourg. La nouvelle souveraine est donc à plusieurs milliers de kilomètres de son royaume lorsqu’elle succède automatiquement à son père. La chose est rare, mais pas unique. On se souvient d’un des derniers Valois qui régnait sur la Pologne lorsque la mort de son frère aîné, Charles IX, le porta sur le trône de France, en 1574. Quatre jours après avoir appris la nouvelle, Henri III, puisque c’est de lui qu’il s’agit, s’enfuit du palais royal de Cracovie… Mais il lui faudra de longs mois pour rentrer en France, le roi préférant passer du bon temps dans les riches et joyeuses cités italiennes, et notamment dans la sulfureuse Venise. Dans un cas de figure comparable, Jacques Ier d’Angleterre fut plus rapide. À la mort d’Elizabeth Ière, de la dynastie des Tudors, c’est son cousin, Jacques VI, roi d’Écosse de la dynastie des Stuarts, qui lui succède. Une fois quitté Édimbourg, pour n’y plus jamais revenir, il ne fallut qu’un mois au nouveau roi pour arriver à Londres. Autres temps, autres mœurs… et autres moyens de transport : en 1952, l’avion de la nouvelle reine se posa sur le sol britannique dès le 7 février, au lendemain de la mort de son père. L’image est bien connue de cette jeune reine vêtue de noire, accueillie sur le tarmac de London Airport (aujourd’hui Heathrow) par le fidèle Winston Churchill, alors Premier ministre, mais aussi Clement Atlee, son prédécesseur travailliste, Anthony Eden, alors Secrétaire d’État aux Affaires étrangères (équivalent de notre ministre des Affaires étrangères) et lord Woolton, Lord President of the Council, sans oublier le duc de Gloucester, plus jeune frère du défunt roi et oncle de la nouvelle souveraine. Tous portaient alors chapeau melon ou haut-de-forme.

Néanmoins, c’est bien la veille qu’une partie des cérémonies d’accession se sont déroulées, en l’absence du nouveau souverain. Le mercredi 6 février donc, vers 5h00 du soir (le roi est mort tôt le matin), plusieurs dizaines de gentlemen se sont rassemblés dans l’un des salons du vieux palais de Saint-James. Ce n’est pas un hasard, puisque depuis l’incendie du palais de Whitehall en 1698, le palais de Saint-James est le siège officiel de la monarchie britannique, celui de Buckingham n’étant que la résidence officielle du souverain à Londres. Ces messieurs (qui compteront sans doute parmi eux nombre de dames à l’avènement du prochain souverain) forment l’Accession Council (Conseil d’Accession ou, en français plus juridique, Conseil d’Adhésion). Il s’agissait alors de tous les membres du Privy Council (le Conseil privé du monarque, lui-même composé d’une multitude de politiciens aguerris), mais aussi du Lord Mayor de Londres (on prononce Lord Maire, voir la Balade # 30) et de ses échevins, les Aldermen, ou encore des hauts commissaires des autres royaumes du Commonwealth. Alors qu’elle devenait reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Elizabeth II devenait en effet également souveraine d’une trentaine de royaumes. Si, aujourd’hui, elle règne encore sur (par ordre alphabétique) Antigua-et-Barbuda, l’Australie, les Bahamas, le Bélize, le Canada, la Grenade, la Jamaïque, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, les îles Salomon et Tuvalu, elle a aussi régné sur la Barbade, Ceylan, les Fidji, la Gambie, le Ghana, le Guyana, le Kenya, le Malawi, Malte, l’île Maurice, le Nigéria, le Pakistan, la Rhodésie, le Sierra-Leone, l’Afrique du Sud, le Tanganyika, Trinidad-et-Tobago et l’Ouganda.

Comme son nom l’indique, l’Accession Council a pour tâche de préparer l’accession du nouveau souverain, en d’autres termes de le proclamer, mais surtout pas de le choisir, puisque la succession est prévue à la fois par la loi et par l’hérédité. Ainsi, on peut dire qu’en vertu de la loi, Elizabeth II a succédé automatiquement à son père, à la mort de ce dernier. La cérémonie du palais de Saint-James ne se tient que pour formaliser un état de fait. Toutefois, en l’absence du nouveau souverain, le protocole fut incomplet ce jour-là. Les membres de l’Accession Council se limitèrent à approuver le texte officiel de la proclamation, qui fut publié dès le lendemain, le 7, dans un supplément de la London Gazette, l’organe de presse officiel de la Couronne. La liste des dizaines de signataires y était également publiée, avec à leur tête le Lord Chancelier, Gavin Simonds, et l’inévitable Winston Churchill. Plus loin, on reconnait quelques grands noms de l’aristocratie, mais aussi de la sphère politique (Harold MacMillan, Anthony Eden), sans oublier lord Mountbatten of Burma, oncle du prince Philip et dernier vice-roi des Indes.

La seconde partie du cérémonial se déroula le 8 février, à 10h00 du matin, toujours au palais de Saint-James, mais cette fois en présence de la reine Elizabeth. Celle-ci, accompagnée de son mari, n’avait pas un grand chemin à faire, ce matin-là, puisqu’elle résidait encore à Clarence House, l’une des annexes du palais. Quelques temps plus tard, le jeune couple allait s’installer au palais de Buckingham, tandis que la Reine-Mère ferait le chemin inverse, quittant Buckingham Palace pour Clarence House. Signalons que la veuve de Georges VI fut nommée ainsi parce que le titre de reine douairière était déjà attribué, en l’occurrence à la reine Mary, veuve de George V. Celle-ci résidait juste en face du palais de Saint-James, à Marlborough House. Elle devait s’éteindre le 24 mars 1953, quelques semaines seulement avant le couronnement de sa petite-fille, le 2 juin.

Après la cérémonie dans les salons feutrés du palais, des dignitaires se réunirent sur le balcon qui surplombe la cour extérieure du palais, Friary Court, la bien-nommée Proclamation Gallery (photographie du milieu). À 11h00 du matin, le Garter King of Arms, sir George Bellew, procéda à la lecture du texte de la proclamation adopté l’avant-veille, entouré de ses pairs et accompagné d’une garde d’honneur tirée des Coldstream Guards, stationnée dans la cour. Sous la tutelle de l’Earl Marshal (un titre héréditaire porté par les ducs de Norfolk, premiers pairs du royaume), le Garter King of Arms est le plus important des membres du College of Arms, l’autorité héraldique du Royaume-Uni (hors cosse). Il est composé de rois d’armes, de hérauts d’armes et de poursuivants d’armes, qui, en plus de leurs fonctions protocolaires, attribuent des blasons à ceux qui le requièrent et effectuent des recherches généalogiques. On dit que la reine et son mari, le prince Philip, assistèrent à la scène à travers une des fenêtres du palais.

Au même moment, les canons tonnaient à Westminster et dans la cité de Londres, pour les habituels et si impressionnants Gun Salutes : 41 coups de canon furent tirés par The King’s Troop, Royal Horse Artillery à Hyde Park et 62 à la tour de Londres, par l’Honourable Artllery Company (voir Balade # 12). Si le nombre réglementaire est de 21 coups de canon, 20 autres viennent s’y ajouter s’ils sont tirés d’un parc royal ou d’un palais royal, et 21 supplémentaires lorsque la cérémonie se déroule dans la cité de Londres (soit 21 + 20 + 21 = 62 à la tour de Londres).


La proclamation publique n’était que la première d’une longue série. Quittant la Proclamation Gallery, les membres du College of Arms s’engouffrèrent dans des carrosses de la Cour et, escortés de cavaliers de la garde royale, partirent en direction de la Cité de Londres. La proclamation fut renouvelée à Trafalgar Square, puis à Temple Bar, le lieu qui marque la frontière entre la cité de Westminster et la cité de Londres (voir la Balade # 3). Enfin, le Garter King of Arms et ses collègues grimpèrent sur les marches du Royal Exchange (photographie de droite). En présence des autorités de la cité de Londres, la proclamation fut à nouveau lue.

Le même genre de scène se déroula dans les capitales des autres Nations britanniques (à Édimbourg, en Écosse ; à Belfast, en Irlande du Nord ; à Cardiff, au pays de Galles), sans oublier les capitales des autres monarchies sur laquelle Elizabeth s’apprêtait à régner (le 6 février, à Rideau Hall, au Canada (en anglais et en français) ; le 7 février, devant Parliament House, en Australie, mais aussi en Afrique du Sud ; le 8 février, à Ceylan, au Pakistan, à Chypre, aux Malouines, au Kenya… ; le 11 février, en Nouvelle-Zélande).

C’est ainsi que débuta, il y a tout juste 70 ans, le plus long règne de l’histoire des îles britanniques et le second Âge d’Or élisabéthain. God Save the Queen, Long Live the Queen, May the Queen Live Forever!

NB : Quelques-uns des éléments cités ici sont visibles en vidéo. On peut également consulter cette seconde vidéo, où le protocole utilisé pour l’annonce officielle du couronnement est identique à celui de l’Accession Day.

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