Si vous passez par le Strand et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous sur John Adam Street.
C’est une rue parallèle au Strand, entre Villiers Street et Adam Street. Avant-hier, nous vous avons parlé de cette rue qui commença par s’appeler Duke Street. Vous souvenez-vous ? « George Villiers Duke of Buckingham » ! Mais c’est en fait un peu plus compliqué que cela… John Adam Street est l’union de deux rues préexistantes, situées dans le prolongement l’une de l’autre : la susnommée Duke Street et une certaine John Street. John Street est à relier avec deux autres rues : la susnommée Adam Street et une certaine Robert Street (photographie de gauche), qui existe encore. Vous suivez ? John Street, Robert Street et Adam Street font référence à John et Robert Adam, tout comme George Street, Villiers Street, Duke Street, Of Alley et Buckingham Street faisaient référence à George Villiers, duc de Buckingham. Dans le même quartier, on a utilisé cette méthode assez rare qui consiste à donner des prénoms à des rues, pour former un nom complet, en les associant aux rues voisines.
Mais qui étaient John et Robert Adam ? Les fils de William Adam (1689-1748), le plus éminent architecte écossais de l’époque, à qui l’on doit notamment Hopetoun House, près d’Edimbourg, et Duff House, près d’Aberdeen. Mais aussi les frères de James et William. John, Robert, James et William n’ont rien à voir avec les Dalton, mais, comme leur père, avec l’architecture. Si Robert Adam (1728-1792), désormais inhumé dans le Coin des Poètes à l’abbaye de Westminster, est le plus connu et le plus talentueux, le fameux « style Adam » fut bien une histoire de famille. Ensemble ou séparément, ils édifièrent, parmi tant d’autres chefs-d’œuvre, le Pulteney Bridge de Bath, le siège de la Royal Society of Arts, le premier Theatre Royal, Drury Lane, de nombreux hôtels particuliers à Londres, notamment Apsley House, et une multitude de demeures campagnardes : Harewood House, Keddleston Hall, Osterley Park, Syon House, Kenwood House, Stowe…
Les frères Adam furent aussi les promoteurs d’un nouveau quartier à la mode, The Adelphi (« Les frères », en Grec), justement situé ici, entre le Strand et la Tamise, entre ce qui fut la demeure des ducs de Buckingham et l’actuel Savoy. Construit entre 1768 et 1772, The Adelphi consistait en 24 terrace houses, c’est-à-dire des maisons individuelles unifiées par une longue façade commune, comme on en trouve encore un peu partout à Londres, notamment autour de Regent’s Park. Onze d’entre elles se trouvaient le long de la rivière, surplombant un soubassement constitué d’arcades, aménagées en entrepôts et directement reliées aux quais de la Tamise. La plupart de ces demeures ont été démolies, comme nous le verrons dans un prochain article, mais l’un des éléments de cette longue façade au bord de la Tamise a survécu, au 11 Adelphi Terrace.
En plus de quelques demeures du côté du Savoy (photographie du milieu), une autre relique de The Adelphi se trouve sur l’actuelle John Adam Street, du côté du Strand : c’est le siège de la Royal Society for Arts, Manufactures and Commerce, fondée en 1754 sous le nom de Society for the Encouragment of Arts, Manufactures and Commerce, et plus connue sous le nom de Royal Society of Arts (RSA) (photographie de droite : la façade qui donne du côté du Strand et qui est plus moderne). Il ne faut la confondre ni avec la Royal Academy of Arts, qui ne s’intéresse qu’aux arts, ni avec la Royal Society, beaucoup plus ancienne (1660) et qui s’intéresse aux sciences. La RSA est une société savante avec un champ d’étude beaucoup plus large, de l’art aux sciences, en passant par l’industrie, la citoyenneté et l’écologie. Selon l’Oxford English Dictionary, le terme sustainability (durabilité) aurait d’ailleurs été utilisé pour la première fois au sein de l’institution en 1980.
Elle est patronnée par le Souverain et souvent présidée par d’éminents membres de la famille royale, parfois les héritiers du trône : le prince Albert, époux de la reine Victoria (1843-1861) ; leur fils, Albert Edouard, prince de Galles, futur Edouard VII (1863-1901) ; le fils de ce dernier, Georges, prince de Galles, futur Georges V (1901-1910) ; la princesse Elisabeth, duchesse d’Edimbourg, avant qu’elle n’accède au trône (1947-1952) ; son époux, Philippe, duc d’Edimbourg (1952-2011), auquel à succédé leur fille, Anne, Princesse royale. Parmi ses membres, elle compte ou a compté Robert Adam, Isembard Kingdom Brunel, Marie Curie, Dame Judi Dench, Charles Dickens, Bob Dylan, Benjamin Franklin, Thomas Gainsborough, Stephen Hawking, William Hogarth, P.D. James, Karl Marx, Robert Baden-Powell, Joshua Reynolds, Peter Ustinov, William Wilberforce… Du beau monde, donc !


